Editions Orizons (Daniel Cohen éditeur), 13 rue de l'Ecole Polytechnique, 75005, Paris ; décembre 2014
ISBN : 978 -2-336-29861-0
Faisant suite à deux ouvrages consacrés au rire dans les œuvres d'Elie Wiesel et de Victor Hugo, ce livre s'attache à mettre l'accent sur la fascinante variété de ce thème, à la fois juif et non-juif, dans le texte biblique et littéraire.
Il touche à des œuvres aux optiques essentiellement différentes, voire discordantes ou antagonistes :
- La Genèse (Bereshit) et, à l'extrême opposé, l'œuvre d'Anna Langfus sur la Shoah.
- D'autre part, le rire noir au 19e siècle celui de Flaubert et de l'écrivain irlandais, spécialiste du roman gothique terrifiant, Charles Robert Maturin. Ainsi que le rire de certains auteurs utopistes, "fous du bon vouloir", à la réflexion insolite, Charles Fourier et Alexandre Weill.
Chapitres I et III :
Des extraits ont déjà été insérés précédemment sur le site sous les titres : Le rire du commencement et L'humour d'Alexandre Weill.
Extrait du chapitre IV :
A l'instar d'Elie Wiesel, d'André Schwarz-Bart ou de Romain Gary, étudiés précédemment (ce dernier par la regrettée Judith Kauffmann), d'autres auteurs mettront en relief le motif du rire, expression d'une "métaphore obsédante" de l'atroce expérience de la Shoah.
Exemple parmi d'autres et à titre d'illustration, l'épreuve concentrationnaire, associée au phénomène rieur, est relevée par Jean François Steiner dans un texte d'une ironie redoutable : le face à face entre victimes et bourreaux, lors d'une pseudo compétition sportive, organisée par le commandant du camp de Treblinka, en collaboration (!) avec les déportés, en train de fomenter, de leur côté et en grand secret, une révolte de la dernière chance (Treblinka, La Révolte d'un camp d'extermination, Fayard, 1966, pp. 283-284 ) :
"Adolphe n'eut bientôt plus rien à faire. La grande kermesse dépassa tous ses espoirs. Il s'était assis de manière à ne pas perdre "Lalka" des yeux, le beau Lalka, le cocu magnifique. Il le voyait rire et plaisanter, le visage épanoui, sûr de lui. Il sentait tout le mépris que Lalka éprouvait pour ces Juifs qui se vautraient dans l'indécence, à qui on avait tout pris, maisons, parents, liberté, vie, et qui riaient encore, se moquaient d'eux-mêmes.
Invisible dans cette masse, Adolphe se sentait le plus fort. Lui, le petit Juif méprisable, le petit juif du ghetto, la vermine, le sous homme, était en train de miner le bel édifice du grand officier blond et beau et noir, et qui se prenait pour Dieu. Il riait maintenant. Il croyait les connaître ses Juifs. Rien, il ne connaissait rien, il n'avait rien compris.
Ce fut un extraordinaire moment pour Adolphe. Toute sa haine rentrée s'exhalait. Il criait, riait, battait des mains … Plus il crierait et plus il rirait, et plus l'autre serait content. Mais c'était de sentir "Lalka" pris au piège qu'Adolphe riait. L'autre ne comprenant pas qu'il était berné, se réjouissait , et Adolphe, comprenant que l'autre ne comprenait pas, se réjouissait (…)
Ce fut une extraordinaire journée de dupes.
Il y avait des Juifs, et puis d'autres Juifs qui se moquaient d'eux, et puis un Allemand qui se moquait des Juifs, qui se moquaient d'autres Juifs, et puis tout en haut, un Juif qui se moquait de l'Allemand qui se moquait des Juifs, qui se moquaient des autres Juifs. Et bientôt, les Juifs tous ensemble iraient tordre le cou au bel Allemand qui riait, qui ne comprenait pas qu'il n'était plus le maître, que son royaume était miné et qu'il allait s'effondrer comme un château de cartes. Et tout cela parce qu'il n'avait pas compris qu'on peut tuer des Juifs, mais qu'on ne peut pas dompter "le peuple à la nuque raide".