Léon BLUM, un Juif
par Roland SCHWOB
Extrait du Bulletin de nos Communautés


Portrait de Léon Blum sur un timbre que lui a dédié le Service philatélique d'Israël
Blum
La mort de Léon Blum a été considérée, par des hommes venus d'horizons très divers, comme une perte irréparable à la fois pour son Parti, pour le Socialisme international, pour la Démocratie, pour la Paix du monde. On n'a pas - ou peu - parlé, par contre, de ce que cette mort signifie pour le judaïsme.

Certes, Léon Blum, de par son activité militante, n'était pas fréquemment en mesure d'extérioriser sa religion. Bien mieux, encore qu'élevé dans un milieu croyant et très pieux, Léon Blum n'a presque plus pratiqué la religion depuis qu'il a atteint sa majorité. Mais jamais, durant toute son existence qui se confondait avec son appartenance à un Parti reconnu pour son esprit laïque, Blum ne cacha son origine. Il ne voulait voir aucun heurt possible dans sa triple qualité de Socialiste, de Français et de Juif.

"Je suis né en France, disait-il un jour, dans le coeur même de Paris. J'ai été élevé en Français, dans des écoles françaises. Mes camarades sont français et les fonctions que j'ai remplies l'ont été au service de la France... Je sens nettement qu'aucun élément de l'esprit français ne m'est étranger, ni de l'honneur français, ni de la culture française, aussi raffinée soit-elle. Eh bien je n'en ai pas moins le sentiment d'être juif. Et jamais je n'ai remarqué entre ces deux phrases de ma conscience la moindre opposition..."
. Un de ses biographes, M. Marc Vichniac, a pu écrire à son sujet : "Né juif français, il le reste. Sa personnalité et son activité sont marquées du double sceau de son origine et de sa culture".

Lors de l'Affaire Dreyfus, Léon Blum ne tarda pas à prendre position. Alors que dans leur ensemble, les Juifs n'avaient aucun désir particulier de s'engager en faveur d'un coreligionnaire peut-être coupable, Blum ne demeura pas longtemps dans cette réserve et il s'associa à l'élite intellectuelle qui se dépensa pour Dreyfus. Sans doute, peut-on dire, d'autres mobiles que sa religion ont pu entraîner Blum dans ce combat. Cependant il ne faut pas oublier que ce n'est que par l'Affaire qu'il entra dans la politique active et que sa position n'était pas guidée par l'appartenance à un groupe, mais par les seuls impératifs de sa conscience. La philosophie généreuse qui l'animait dès alors n'était-elle pas engendrée précisément par son origine, par ce culte de la Justice qui caractérise notre religion, - et qu'il a d'ailleurs lui-même dégagé ?

En effet Blum, homme de lettres, a eu l'occasion, dans ses Nouvelles Conversations de Goethe avec Eckermann d'émettre sur le judaïsme des appréciations qui méritent d'être relevées, même si on ne les partage pas. Il dit de la race juive qu'elle est

"clairvoyante, elle sait prévoir. Accoutumée aux dangers, dressée par la persécution, elle perçoit avec un flair presque animal l'approche des cataclysmes révolutionnaires."
Plus loin, il écrit encore :
"Les Juifs sont résignés. Ils ont supporté la dispersion, l'esclavage, la vie ingrate, le mépris, et pendant tant de siècles, le labeur obscur perdu à des tâches imposées."
Et, dans cette conversation où par la bouche de Goethe, Blum exprime sa pensée, on peut relever :
"Je n'ai jamais rencontré de gens aussi débarrassés de notions ou de traditions religieuses. C'est au point qu'il est impossible, -comme vous le savez, de formuler le dogme juif. Dans le peuple, la religion n'est qu'un ensemble de superstitions familiales auxquelles on obéit sans conviction aucune, seulement par respect envers les ancêtres qui s'y sont conformés pendant vingt-cinq siècles ; pour les gens éclairés, elle n'est plus rien. Et cependant la race est profondément croyante, éminemment capable de foi." Et si on lui demande ce qu'est cette foi, il répond : "Elle est toute rationnelle. Elle tient en un mot : la Justice. Le Juif a la religion de la Justice... ; l'idée seule de la Justice inévitable a soutenu et rassemblé les Juifs dans leurs longues tribulations... Et ce n'est point, comme les Chrétiens, d'une autre existence qu'ils attendent la réparation et l'équité... C'est ce monde-ci, ce monde présent et vivant, avec ses vieilles gens et ses vieux arbres, qui doit s'ordonner un jour selon la Raison, faire prévaloir sur tous la règle, faire rendre à chacun son dû.. . Si le Christ a prêché la charité, J…voulait la. Justice. La Bible dit : un juste - quand l'Evangile dit : un saint."

Mais Léon Blum ne s'est pas cantonné dans cette littérature qui lui donne d'ailleurs déjà à elle seule une place dans la pensée juive. Il va entrer en contact avec les activités juives, et, chef d'un parti ouvrier, c'est tout naturellement vers les organisations juives du travail qu'ira son intérêt premier. Dès 1920, il participera à l'oeuvre de l'ORT. On sait que le but de ce groupement est d'encourager, d'organiser aussi, de canaliser la vie ouvrière, artisanale, paysanne juive. Estimant que dans la situation présente du Judaïsme, le retour là des travaux manuels est une nécessité., Léon Blum fut à la disposition de l'ORT. Mais il s'intéressa aussi à d'autres groupements et d'une façon générale, il se pencha sur ce grand mouvement appelé le sionisme. Certes, il n'a jamais été, au sens orthodoxe du terme, un sioniste car, n'ayant jamais voulu séparer nous l'avons souligné plus haut -ses qualités de Français et de Juif, il n'a pu considérer la Palestine que comme une terre de refuge. Mais il est entré à l'Agence Juive pour la Palestine (où il a siégé comme représentant de la Gauche non-sioniste) et au Congrès de Zurich en 1929, il a exalté l'esprit du peuple juif. Depuis la, renaissance d'Israël sur le plan international, Léon Blum a suivi avec joie et admiration l'oeuvre de reconstruction. Il a été un conseiller et un guide pour les représentants de l'Etat nouveau et ses contacts avec les plus hautes autorités israéliennes ont été fréquents.

Ainsi ce chef politique français, cet homme qui, à trois reprises a été chef du Gouvernement français, fut un Juif sincère, convaincu malgré son abstention aux manifestations du culte, de la vitalité d'une race dont il était complètement pétri. Les mesures dont il a été l'objet durant la guerre n'ont pas diminué sa fidélité. Son courage, notamment devant la fameuse Cour de Riom, a été un objet de fierté pour tous ses coreligionnaires. Livré aux Allemands et déporté à Buchenwald, un miracle seul, le désir aussi peut-être, de la part des Nazis, de se conserver un otage précieux, ont fait qu'il a pu rentrer en France en 19415. Dans sa semi-retraite, il a continué là s'intéresser à toutes les phases de la vie juive, car son esprit avait suffisamment d'envergure pour envisager une multitude de problèmes.

Aujourd'hui, il n'est plus. Avec lui disparaît un homme dont nous n'avons pas là juger ici l'activité politique, mais dont c'est le devoir de chacun de rendre hommage à l'intelligence lucide et au coeur généreux. C'était un de ceux que lui-même appelait un "Juif de la grande race". Il avait une confiance inébranlable en la destinée du monde, et on vient de nous apprendre, le jour de ses obsèques, que la seule fois où on l'a vu en proie au désespoir, en mai et juin 1940, il exprimait sa douleur par la parole biblique : "J'enfouis ma tête sous la cendre."

Sous les injures de ses adversaires, Léon Blum disait un jour : "On ne m'outrage aucunement en me rappelant la race dont je suis né, que je n'ai jamais reniée et vis-àvis de laquelle je ne conserve que des sentiments de reconnaissance et de fierté." Nous croyons qu'à leur tour les Juifs doivent se faire un devoir de professer, envers Léon Blum, reconnaissance et fierté.


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