3. à Léon MEISS

En février 1947, Léon Meiss (1), alors Président du Consistoire Central ainsi que du CRIF, prend une initiative demeurée jusqu'à présent unique en son genre : il ouvre une sorte de "concours" adressé à ce petit reste des rabbins de France qui a échappé à la déportation et à la mort, pour lui demander de composer "une élégie perpétuant le souvenir des martyrs de la persécution nazie", élégie qui entrerait dans la liturgie du 9 Ab. Parmi les destinataires de la lettre écrite par Marcel Sachs, Secrétaire général du Consistoire central, figure André Neher. Il venait d'obtenir l'année précédente le titre de rabbin. André Neher applaudit à cette initiative et se met aussitôt à l'œuvre avec son frère Richard. Mais il semble bien que leur élégie ait été la seule reçue par Léon Meiss. C'est sans doute la raison pour laquelle le projet ne devint jamais réalité, ce que André Neher a toujours ressenti comme une faillite de notre génération, tant en Israël qu'en Diaspora.
Le texte de cette élégie ("qina"), resté inédit jusqu'à sa publication en 1990 dans Tribune Juive, a été repris dans Annette Wieviorka : Déportation et Génocide (Plon, Paris, 1992, pp. 399-400).


Strasbourg, le 16 mars 1947

À Léon MEISS, Président du Consistoire Central


Cher Monsieur le Président,

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l'élégie (Qina)

Veuillez trouver ci-joint le texte français de l’élégie que vous avez bien voulu nous charger de rédiger. Nous l’avons composée en nous inspirant, tant pour la forme que pour le fond, du genre traditionnel de la Qina de Ticha be ab.
Les évocations du drame moderne ont été intégrées dans la coupe et la terminologie des versets bibliques. Le texte hébreu vous parviendra sous peu (2).


[...[ Je vous prie, cher Monsieur le Président, de bien vouloir agréer l’expression de mon respectueux dévouement.

André Neher


Notes :
  1. Léon Meiss (1893-1966), Conseiller à la Cour d’appel à la veille de la guerre, a terminé sa carrière de magistrat comme président honoraire de la Cour de cassation. Amené par les événements de la deuxième guerre mondiale à prendre des responsabilités juives de première importance, révoqué par suite du statut des Juifs sous l’Occupation, il s’associe au travail du Consistoire Central replié à Lyon et en assume la présidence après l’arrestation, en 1943, de Jacques Helbronner, qui l’avait présidé jusque là. Animé d’un grand amour pour le judaïsme et d’une passion pour l’unité, il prône dès cette époque la création du Comité Représentatif des Juifs de France (CRIF), toutes tendances confondues. À la tête du Consistoire Central dans les années décisives de la « reconstruction », Léon Meiss sera le symbole de la renaissance du judaïsme français, auquel il entend redonner un nouvel élan, essayant particulièrement de donner plus d’importance et d’impact au Séminaire rabbinique. Il renonce à la présidence du Consistoire Central en 1948 mais continue, jusqu’à ce que des raisons de santé l’en empêchent, à jouer un rôle important dans la vie juive en France, étant à la tête de plusieurs organisations, aussi différentes que les Éclaireurs Israélites de France et l’O.R.T. Son renom de magistrat d’une parfaite intégrité et son dévouement à la cause juive ont fait de lui un conseiller très écouté dans les années d’après-guerre, mais pas toujours suivi, tant ses idées, visant à une rénovation profonde des structures, allaient souvent à contre-courant des sentiers battus. Il avait pour André Neher une grande admiration et était lié d’une vive amitié à la famille Neher.
  2. Pour les raisons déjà indiquées, aucune suite n'a été donnée. André et Richard Neher n'ont donc jamais mis au point le texte hébreu de cette élégie, resté à l'état de brouillon. Mais ceux qui sont familiers avec la tradition juive se rendront compte combien les expressions hébraïques "classiques" sont là en filigrane et auraient rendu très aisée l'écriture de cette Qina en hébreu. A la demande de Rina Neher, la Qina a finalement été traduite en hébreu par Samy Grinberg (avec l’aide de Francine Kaufmann) et elle est accessible sur le site des Juifs d’Alsace et de Lorraine

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