Dès septembre 1945, me semble-t-il, le grand rabbin de France Isaïe Schwartz prend l'initiative d'instituer en France une journée destinée à commémorer d'année en année la mémoire des victimes juives de la barbarie nazie : il choisit le premier jour des Selihoth en rite ashkenaze, c'est-à-dire le dimanche avant Rosh Hashana. Mais en une autre journée de l'année s'impose aussi le souvenir des Six millions : le jour du jeûne du 9 Av où sont récitées des élégies, des Qinoth, en souvenir des massacres perpétrés contre les Juifs à travers les âges.
C'est la raison pour laquelle en février 1947, M. Léon Meiss, un homme de haute valeur qui était alors président du Consistoire central ainsi que du CRIF, prend une initiative restée jusqu'ici, je crois, unique en son genre. Il s'adresse à ce petit reste des rabbins de France qui a échappé à la déportation et à la mort pour lui demander de composer "une élégie perpétuant le souvenir des martyrs de la persécution nazie". Le texte, destiné à la liturgie du 9 Av, pourrait être écrit en français et traduit par l'auteur (ou par un spécialiste) en hébreu. On choisirait ensuite, parmi les textes reçus, celui qui paraîtrait le plus apte à prendre place parmi les Qinoth de Tisha Be-Av.
Parmi les destinataires de la lettre écrite sur ordre de Léon Meiss par Marcel Sachs, secrétaire général du Consistoire central, figure André Neher, alors jeune professeur d'allemand au lycée Kleber de Strasbourg, et qui vient d'obtenir l'année précédente le diplôme et le titre de rabbin.
Il applaudit à cette initiative et se met aussitôt à l'œuvre avec son frère Richard. Les deux frères à cette époque écrivaient toujours de concert. En moins d'un mois, ils ont achevé le texte de l'élégie sollicitée.
Il semble bien que leur élégie ait été la seule reçue par Léon Meiss. C'est sans doute la raison pour laquelle le projet ne devient jamais réalité, ce qu'André Neher a toujours ressenti comme une faillite de notre génération, tant en Israël que dans la Gola. Il avait été heureux qu'une émouvante Qina en hébreu, due au poète et savant Yehuda Bialer, soit récitée dans quelques synagogues de Jérusalem, elle était aussi dite à Strasbourg, mais il déplorait qu'elle n'ait pas été beaucoup plus largement répandue. L'auteur pourtant avait été une des têtes pendantes de Yad Vashem à ses débuts.
En mars 1947, dans la lettre accompagnant l'envoi de leur élégie en français au président Meiss, André Néher donne les précisions suivantes : "Nous l'avons composée en nous inspirant, tant pour la forme que pour le fond, du genre traditionnel de la Qina de Tisha Be-Av. Les évocations du drame moderne ont été intégrées dans la coupe et la terminologie des versets bibliques. Le texte hébreu vous parviendra sous peu".
(…) Le texte français, resté inédit pendant plus de quarante ans, est publié ici pour la première fois à l'occasion du Yom Hashoa qui a été chaque année pour André Neher une journée d'émotion profonde et d'intense réflexion.
Elégie sur les martyrs de la Shoah composée par André et Richard Neher Quand nos pères s'asseyaient pour pleurer en souvenir de Sion, Nous, leurs enfants, que nous reste-t-il encore ? Mais devant Dieu, le silence est louange. Dieu, Tu es éternel Racontez-le à vos enfants et que vos enfants Cieux et terre ont écouté, mondes et infinis ont entendu O, fierté d'Israël étendue sur ces hauteurs, Hélas, que chacun de nous se frappe la poitrine, O, frère, qui as dit avec moi la Qina, Amen, veamen ! |
קִנָּה עַל קְדוֹשֵי הַשוֹאָה
מאת אנדרה ורישאר נהר
עֵת יָשְבוּ אֳבוּתֵנוּ בְּזָכְרָם אֶת צִיּוֹן גַּם בָּכוּ מְרוֹרוֹת וְלִבְנַיהֶם אָנוּ מָה עוֹד נוֹתָר? אַךְ לִפְנֵי א-דוני דּוֹמִיָּה תְּהִילָה. אַתָּה א-דוני , לְעוֹלָם תֵּשֵב לְמַעַן תְּסַפְּרוּ זׂאת לִבְנֵיכֶם וּבְנֵיכֶם לִבְנֵיהֶם, הֶאֶזִינוּ הַשָּׁמָיִם וְהָאָרֶץ, עוׂלָם וּמְלוׂאוׂ הָיוּ שׁוׂמְעִים הן דבר א-דוני הו זכרון נאמן, מתת ימי קדם אתה הצבי ישראל הנטש על במות הרים, אוי, קרעו לבבכם כלכם, נעדר בל יהי, ואתה אחי, אשר עמי קנה קוננת, אמן ואמן! תרגום מצרפתית: סמי גרינברג
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