51. à Renée NEHER, Strasbourg

Élu le 16 mai 1965 Président de la Section française du Congrès Juif Mondial, André Neher participe, quelques jours plus tard, à une réunion de la Section Culturelle du C.J.M. qui, à l’échelon international, réunit des personnalités du monde entier. Elle se tient à Genève, d’où il écrit à sa femme, lui communiquant un "instantané" très vivant de cette rencontre.


Genève, le 30 mai 1965

Ma grande Renée chérie,


Un petit mot, que tu auras peut-être encore avant ton départ pour Paris. J’espère que voyages, Histoire (1), [École] Aquiba et conférence (plus le normal et l’anormal) ne te bousculent pas trop – je l’espère d’autant plus que je jouis, quant à moi, d’une détente "luxurieuse" (2), comme te l’indique déjà le papier à lettres de l’Hôtel du Rhône : tout est à l’avenant. Chambre très coquette et confortable, service aimable (ma gabardine est au pressing), journal du matin, etc., etc.


Les séances de la Conférence se tiennent dans un grand salon de conférences de l’hôtel ! L’essentiel s’est déroulé hier déjà : les grands principes. C’était un débat intéressant, avec tous ces gens venus des quatre coins du monde juif. Comme universitaires, en dehors de moi : Davies (3), Katz (ce dernier Recteur de [l’Université de] Tel-Aviv) et Mahler (qui était venu nous surprendre à Jérusalem) (4). Je suis donc le seul "universitaire" de la Gola. Les Américains donnent le ton : ce sont les grands "boss" du Joint, de l’A.J.C., du C.J.M., etc., etc. […]. Mon intervention a été écoutée… comme d’habitude… avec enthousiasme. Son importance a été soulignée par Nahum Goldmann, qui l’a lui-même traduite en anglais, en la munissant d’épithètes – "grande idée", "idée qui mérite tout un symposium", etc. – et presque tous les orateurs de la soirée sont revenus – pour ou contre – sur les idées lancées par le Professeur Neher. "Lesquelles ?", me diras-tu. Le violoncelle, naturellement ! (5) Mais aussi : Panim La-Am (6). Ça a beaucoup porté, ainsi que l’idée des "projets-pilotes" que j’ai présentée au nom du Dr Steinberg (7). Et maintenant, on va faire "Schavess mit" avec tout ça.


En tout cas, mon topo était clair et cela a frappé Goldmann : trois remarques, concernant 1) les hommes, 2) la méthode, 3) le fond du programme. J’avoue que les autres orateurs, même universitaires, sont beaucoup moins clairs. Ce n’est qu’en France qu’on sait faire un plan logique et l’annoncer.


Aujourd’hui, ce sera l’illogique des points de détail ! Je ne m’avancerai que prudemment dans cette jungle, mais j’ai quand même l’intention d’intervenir. Car finalement, la seule chose pour laquelle on vient, c’est précisément parler.

J’étais allé saluer Louis Kahn (8) et j’ai salué, en le croisant, Claude Kelman (9), du F.S.J.U., et Braunschvig est venu, un instant, me féliciter… de mon intervention et me parler des points A.I.U. du programme de la Foundation (10). Mais aucun ne m’a dit un mot pour la présidence du C.J.M. (que Goldmann avait mentionnée en me présentant, et Armand Kaplan (11) me dit que toutes les Organisations de France ont eu une lettre officielle). J’aurai aujourd’hui le "panim el panim" avec Kaplan et aussi Riegner! Kaplan prépare un numéro d’Information Juive et on téléphonera (bien sûr) à Strasbourg pour une photo.


Voilà – Assez bavardé de moi. Je me tourne vers toi, ma grande Renée, en t’embrassant bien bien fort et tendrement de tout mon cœur aimant.

Ton Bou (12)

Notes :
  1. Renée Neher revoit les épreuves du second tome de son Histoire juive de la Renaissance à nos jours, qui paraîtra peu après.
  2. Un brave père de famille juif alsacien très orthodoxe de leur connaissance employait toujours le mot "luxurieux" au lieu de "luxueux", ce qui faisait beaucoup rire les Neher.
  3. Historien et rabbin, Moshe Davies (New-York, 1916-Jérusalem, 1996) a été le premier Américain à obtenir son diplôme de Doctorat de l’Université Hébraïque de Jérusalem en 1942. Après son alya en 1965, il devient professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem et y enseigne l’histoire et les institutions juives américaines. Fondateur et directeur de l’Institut du judaïsme contemporain de l’Université Hébraïque de Jérusalem, il est spécialisé dans le domaine de la vie juive contemporaine et du judaïsme américain en particulier, et il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques dans ce domaine. Ses relations avec André Neher ont été extrêmement amicales.
  4. Il s’agit de Benzion Katz (1907-1968) et de l’historien Raphaël Mahler (1899-1977).
  5. Les dons oratoires et la voix chaude d’André Neher ont fait dire amicalement à Emmanuel Lévinas qu’il avait "un violoncelle dans la gorge". L’expression est restée entre André et Renée Neher.
  6. "Face à face avec le peuple" : titre et idée centrale de la communication d’André Neher.
  7. Aaron Steinberg (1891-1975) est le directeur résidant à Londres du Département Culturel du Congrès Juif Mondial, poste qu’il occupe depuis son installation en Angleterre en 1934 et qu’il tiendra jusqu’en 1971. Écrivain, il est l’auteur de plusieurs livres et essais.
  8. L’Amiral Louis Kahn (1896-1967) : président délégué de l’Alliance Israélite Universelle, président du Consistoire Central depuis 1963 jusqu’à son décès.
  9. Claude Kelman (1907-1996) : membre très actif du Comité Directeur du F.S.J.U.
  10. Il s’agit probablement de la Memorial Foundation.
  11. Longtemps Secrétaire de la Section française du Congrès Juif Mondial, Armand Kaplan (Budapest, 1920-Paris, 1984) est ensuite devenu Directeur du Bureau du Congrès Juif Mondial de Paris, puis Directeur des Affaires Internationales du Congrès Juif Mondial. Il a joué un rôle important dans la création et le développement des Colloques des intellectuels juifs de langue française, au cours desquels se sont tissés des liens d’amitié entre lui et André Neher.
  12. Surnom affectueux donné en famille à André Neher.
Lexique :


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