La fondation et l'évolution de
l'école Aquiba de Strasbourg
(1948-1969)
par Jean DALTROFF
Extrait de l'Almanach du KKL Strasbourg, 5758-1998
L' Ecole Aquiba qui accueille
plus de 600 élèves propose un enseignement de matières
générales dans le cadre de son contrat d'association avec l'Etat
et un enseignement de matières juives diversifié, adapté
à toutes les tendances.
Seule école juive de l'Est de la France à assurer une scolarité
de la 11eme à la Terminale, l'Ecole Aquiba a 50 ans comme l'État
d'Israël. Cette coïncidence chronologique, n'est pas fortuite. La
renaissance de l'Etat juif après la shoah, devait nécessairement
s'accompagner d'une renaissance spirituelle. Il est vrai qu'en 1945, la collectivité
juive française ne comptait plus que 200 000 personnes
alors qu'elle atteignait 300 000 personnes en 1939 (1).
Elle avait perdu plus d'un tiers de ses effectifs tant en raison des combats,
des exécutions, des morts dans les camps d'internement et des victimes
des déportations (76 000 déportés dont 2 500 survécurent).
Le rôle qui incombait aux organisations juives dans le relèvement
du judaïsme français était fondamental. Cependant les dirigeants
et les guides spirituels manquaient, les lieux de culte avaient été
détruits ou endommagés, des communautés entières,
essentiellement rurales avaient disparu (2). La paix retrouvée,
l'aspiration majeure paraissait bien être de reprendre le cours de la
vie normale là où il avait été abandonné
en 1940. Ce qui était vrai des individus l'était aussi de la
communauté constituée d'organisations de tous les types : cultuelles
d'abord, culturelles, caritatives et politiques ensuite (3).
Dans ce contexte, le judaïsme traditionnel connaissait un renouveau surtout
parmi la jeunesse. Des lieux de rencontre susceptibles d'approfondir la connaissance
du judaïsme voyaient le jour. L'école
Gilbert Bloch à Orsay favorisait le développement de l'enseignement
philosophique juif. Des mouvements de jeunesse d'inspiration religieuse étaient
créés. Se fondait aussi une presse juive ; une émission
de radio, "Ecoute Israël" se mettait en place. L'Etat d'Israël
créé le 14 mai 1948 devenait une donnée inséparable
de l'identité juive en France.
On inaugurait également de nouveaux établissements différents
des écoles consistoriales du début du siècle l'école
Maïmonide à Paris, (fondée dès 1935 dirigée
par Marc Cohn) et l'école Aquiba à Strasbourg.
La fondation de l'ECOLE AQUIBA (octobre 1948)
La communauté juive de Strasbourg en 1945 avait payé un lourd
tribut : près d'un millier de personnes avait disparu. Tous les rabbins
de la ville avaient disparu soit en exil (les
rabbins
Runès et
Victor
Marx) soit en déportation (les rabbins
Brunschwig
et
Hirschler).
Pour les juifs qui revinrent s'installer à Strasbourg, le désastre
était considérable d'autant plus que la
synagogue
du quai Kléber avait disparu. La reconstruction communautaire fut
rendue possible par l'action conjuguée de la Commission administrative
présidée par
Edouard Bing,
du Consistoire à la tête duquel se trouvait
Lucien
Cromback et du rabbinat dirigé à
titre intérimaire
jusqu'en avril 1947 par
Abraham
Deutsch (4). Son action fut primordiale dans la sphère
du cultuel (organisation des premiers offices à la
synagogue
de la rue Kageneck, remise en marche du bain rituel) et dans le domaine
socio-éducatif (abattage rituel, Société des Dames, le
Vestiaire, le lancement du "
Bulletin
de nos Communautés", l'organisation de l'enseignement religieux
ou talmud thora et la création de l'Ecole Aquiba).
La fondation de l'École Aquiba était "une réponse
aux événements qui venaient de traumatiser la communauté
juive jusqu'à l'ébranler dans ses fondements mêmes"
(5) a pu écrire le Professeur Benno Gross, le Directeur
de l'École Aquiba de 1948 à 1969
(6). II ne
s'agissait plus de se contenter d'une simple restauration du passé. L'impératif
prioritaire était de permettre aux générations futures
d'apprendre à conférer une signification positive à leur
différence et de comprendre le sens profond de la destinée juive.
L'éducation juive devait retrouver les sources vivantes de l'étude
(connaissance de l'hébreu, contact direct avec les textes de la Bible
et du Talmud, commentaires littéraires et philosophiques) et les réalités
des structures sociales de la communauté. L'école juive à
plein-temps voulait ainsi répondre à ce double impératif.
C'est dans cette perspective que fut fondée, sous le patronage du
Grand Rabbin Deutsch et sous la direction de Benjamin Gross, en octobre 1948,
l'Ecole Aquiba, établissement primaire et secondaire
(7). L'école, en ouvrant ses portes le jeudi 7 octobre
à la classe de 7e et le jeudi 14 octobre pour les classes de 6e et
au-dessus, comprenait 30 élèves dans ses locaux situés
9, rue du Fossé-des-Tanneurs à Strasbourg. Les différentes
classes étaient mixtes. L'enseignement général était
conforme aux programmes des collèges et lycées en section classique
et moderne. L'école préparait aux différents examens
d'Etat. Les matières juives étaient enseignées à
raison de huit à dix heures par semaine (Hébreu moderne, Bible,
éléments du Talmud, Histoire et Littérature juive, palestinographie)(8).
L'Ecole Aquiba à ses débuts, rue du Fossé
des Tanneurs. Au premier rang, au centre de la photo, Benno Gross, son directeur,
et
Abraham Deutsch, son
fondateur. Photo d'époque, collection particulière. CLIQUEZ
SUR LA PHOTO POUR L'AGRANDIR
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Le développement de l'Ecole (1948-1953)
En moins d'une année, l'école Aquiba conquit sa place parmi les
institutions juives d'Alsace-Lorraine. La rentrée des classes, en octobre
1949 vit plus que doubler le nombre des élèves. L'Ecole comprenait
maintenant toutes les classes depuis la 9e jusqu'à la première.
Une annexe fonctionnait pour les classes élémentaires de 10e'
et 11e et le jardin d'enfants (Rabbin Brunschwig) et groupait à elle
seule une cinquantaine d'élèves. Le but de l'Ecole était
de permettre aux élèves de vivre une vie juive dans le sens des
traditions en axant l'effort vers la création d'une atmosphère
harmonieuse où l'enseignement général et l'enseignement
juif se complétaient sans se heurter.
L'Ecole à ses débuts se heurtait à deux principaux problèmes
:
1) les critiques contre la création de cet établissement ;
2) les locaux insuffisants pour les débuts d'une Ecole.
C'est que d'aucuns avaient cru devoir élever des protestations contre
la fondation de cet établissement en prétendant qu'elle constituait
un retour à l'idée du ghetto "qu'elle retrancherait un certain
nombre de jeunes de la vie collective, dans
le sens de la
communauté française"
(9). Les responsables
de cette nouvelle école avaient répondu à ces critiques
en insistant sur l'idée que l'école voulait revaloriser les études
juives en les intensifiant, qu'elle préparait ses élèves
à une appréciation plus juste des nécessités du
judaïsme actuel et qu'elle allait devenir une pépinière de
cadres.
Francis Potocki, professeur de mathématiques dans ses
Souvenirs d'un
professeur 1950-1957, souligne les difficultés matérielles
auxquelles les professeurs et les élèves se heurtaient : "Durant
les premières années de son existence, l'Ecole était installée
dans un appartement dont la cuisine tenait lieu de laboratoire de physique,
avec pour tout matériel d'expériences, quelques éprouvettes
(...) ; le latin était enseigné dans un amphithéâtre
original : la cage d'escalier ! Situation en or si l'on pense que d'autres cours
se tenaient, qui dans un débarras, qui dans des salles aux murs troués
et tout éclat de voix de la salle voisine était particulièrement
malvenu. Les récréations, dans une ruelle sombre,
consistaient
à éviter d'être écrasé par les voitures qui
s'aventuraient dans ces parages"
(10).
Le compte-rendu de la distribution des prix (1949-1950) montrait le chemin parcouru
en moins de 2 ans
(11).
Dans la salle de la Moellerloge, les jeunes élèves de l'école
récitèrent des poésies de Bialik et interprétèrent
quelques scènes de Molière. Les jeunes filles présentèrent
quelques danses puis le Grand Rabbin Deutsch prit la parole, insistant sur les
efforts accomplis pour maintenir l'école juive moderne de Strasbourg,
formulant le voeu que bientôt se présente le mécène
qui puisse offrir à l'école Aquiba, le local correspondant à
la place de cet établissement dans la vie juive strasbourgeoise ! Puis
les grands élèves présentèrent "l'émission
de Jérusalem", la revue des activités de l'école incluant
la visite du président Weizmann. Après la lecture du palmarès,
Benjamin Gross, le directeur de l'école, salua les personnalités
présentes et félicita les brillants lauréats. Il souligna
la valeur de l'instruction juive de l'établissement, qui "loin de
constituer un empêchement pour le développement intellectuel de
l'enfant, enrichit sa culture et lui permet de prendre sa véritable place
dans la société". Enfin l'assistance eut droit à une
démonstration sportive des élèves de la classe de 61 dirigés
par Maître Roger, professeur d'éducation physique de l'Ecole.
En 1953, l'Ecole Aquiba comptait 150 élèves et 12 classes ; la
nécessité de trouver un
nouvel immeuble devenait
une priorité absolue
(12). Le comité de l'école
engagea des négociations pour l'acquisition d'une villa au 9 quai Zorn.
Ce comité était en concurrence avec le Consulat d'Allemagne. Mais
comme le souligne Abraham Deutsch, le Président fondateur de l'Ecole,
" il ne fut pas trop difficile de faire comprendre au vendeur que son choix
devait aller de soi au lendemain de la guerre"
(13).
Notes :
- Doris Bensimon et Sergio Della Pergola
: La population juive de France : socio - démographie et identité,
Paris, The Instituts of Contemporary Jewry - CNRS, 1986, p. 35. Retour
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- Esther Benbassa : Histoire des Juifs de France,
Paris, Le Seuil, "Coll. Points Histoire", 1997, pp.269 -270. Retour
au texte.
- Annette Wievorka : Les Juifs en France au lendemain
de la guerre : état des lieux, in Archivesjuives, n°
28/1 1p1 semestre, 1995, p 9. Retour
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- Abraham Deutsch
(Mulhouse 1902 - Jérusalem 1992). Rabbin de Bischheim en 1926. Directeur
du talmud-thora, il s'occupa de l'office des jeunes à la synagogue
du quai Kléber et mit sur pied la jeunesse juive de Strasbourg. Après
la défaite de 1940 il mit en place à Limoges les structures
nécessaires à la vie d'une communauté et fonda en 1943
le "Petit Séminaire
israélite de Limoges" où furent formés les futurs
cadres de la communauté de Strasbourg. Retour
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- Benno Gross, Le Judaïsme face aux défis
du XXe siècle, in Tradition et modernité 1948 - 1988,
Aquiba fête ses 40 ans, Strasbourg 1988 p.4. Retour
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- Les autres Directeurs furent Jean-Paul Amoyelle de 1969
à 1977, Jean Lévy 1977 à 1992 et Isaac Bibas depuis 1992. Retour
au texte.
- Bulletin de nos Communautés (par la suite
B.d.n.C.) n° 18, vendredi 10 septembre 1948, Une école
secondaire israélite à Strasbourg. II convient de souligner
l'inauguration de l'École
ORT rue Sellénick, le 4 mai 1947 marquant la renaissance de cette
école de travail plus d'un an avant l'Ecole Aquiba. Retour
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- B.d.n.C, n° 25, vendredi 16/12/1949. Retour
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- B.d.n.C., n° 21, vendredi 29 octobre 1948 :
Réflexions sur l'orientation professionnelle au début de
l'année scolaire. Retour
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- Francis Potocki : 1950-1957 : Souvenirs d'un professeur, dans Tradition et modernité 1948-1988, p.9. Retour
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- B.d.n. C. n° 14 vendredi 21 juillet 1950,
Distribution des prix à l'Ecole Aquiba, pp.9-10. Retour
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- B.d.n.C., n° 11, vendredi 28 mai 1954, l'Ecole
Aquiba p.12. Retour au texte.
- Aquiba fête ses 40 ans, revue citée,
p.3. Retour au texte.