L’amitié entre André Neher et Albert Hazan, depuis l’arrivée de ce dernier à Strasbourg en février 1961, n’a cessé de s’intensifier. Rabbin et aumônier militaire, mais aussi pédagogue, Albert Hazan a fondé à Strasbourg la Communauté séfarade et l’a animée avec le rayonnement de ses chants, de sa présence et de son enseignement. André Neher a beaucoup apprécié d’y prier à ses côtés. Le fort lien qui les unit n'est pas seulement fondé sur leur affection mutuelle, mais aussi sur une commune réflexion philosophique et religieuse, et également sur leur engagement et leur action côte à côte autour de nombreux projets communautaires, dont, en 1962, la création d’A.J.I.R.A., pour l’aide aux « rapatriés » d’Algérie. Albert Hazan a fait son alya à Jérusalem en été 1968, où il a été nommé aumônier de la police et des prisons en Israël. Après Strasbourg, c’est donc à Jérusalem que l’amitié entre les deux hommes se poursuivra jusqu’au décès d’André Neher.
Mais Albert Hazan est à Jérusalem lorsque, le 24 février 1970, André Neher est hospitalisé d’urgence en soins intensifs dans le service de Cardiologie de l’hôpital civil de Strasbourg pour un très grave infarctus. Il y restera huit semaines, dans un état de faiblesse extrême. Renée Neher est constamment auprès de lui, passe-droit exceptionnel dû à l’intervention du Professeur Henri Metzger, proche des Neher, qui a compris que sans la présence permanente de son épouse, André Neher, dont la vie est en danger, ne guérirait pas.
En avril 1970, André Neher est toujours hospitalisé mais reprend lentement des forces. Sa première lettre est pour son ami Albert Hazan et sa femme Raymonde. Il y insiste sur le dévouement et l’efficacité son épouse.
Strasbourg, le 15 avril 1970
Mes si chers Albert et Raymonde, vos bonnes lettres nombreuses, débordantes d’amitié, les dessins des enfants, vos pensées que nous sentons constamment avec nous, tout cela m’a bien accompagné et aidé.
Les détails sur tes activités m’intéressent beaucoup – mais n’en fais pas trop, pense à moi ! La corde ne tient que jusqu’à une certaine limite.
Tes étaient au début un peu trop difficiles pour moi. Mais Renée a soigneusement gardé les lettres et me les lit maintenant, et j’en profite.
Béni soit le Créateur qui a créé l’Amitié.
Béni soit le Créateur qui a créé l’Épouse.
Tu te souviens, Albert, avoir dit un soir (lors du décès du Dr. Bernheim et qu’à tout prix, malgré une maladie de Raymonde, malgré l’approche du mariage de Danielle (1), tu voulais aller à Paris, et tu y es allé) : "Renée Neher, ce n’est pas la même chose" ?
Eh bien, de nouveau, Renée, ce n’était pas la même chose. Elle a compris dès le premier instant que la patience que tout le monde nous prêchait était elle-même partie intégrante de la souffrance, et elle a tissé autour de moi une toile de Pénélope, que dans mon impatience, mon incrédulité, ma révolte aussi, je déchirais parfois – et qu’avec la volonté, l’obstination, l’intelligence, l’efficacité, la disponibilité, l’amour que vous lui connaissez du temps d’A.J.I.R.A., elle a reconstitué fil par fil, reliant les choses grandes, importantes, décisives, aux plus simples, minimes, fugitives, créant ainsi les dimensions nouvelles de mon nouveau 'olam ha-zé.
Comment a-t-elle pu en même temps vous écrire à tous, s’occuper de la correspondance, de la maison, de la Fac, de l’avenir ? Ce sont les secrets de l’âme de l’échète 'hayil, Raymonde doit les connaître.
Notre Seder sera humble, à la chambre d’hôpital. Je pense à ceux infiniment plus durs des prisons du Caire et de Bagdad (2).
Et puis, vous tous, nous le sentons, vous serez en pensée avec nous.
Pour les questions (3), cela ira. J’en ai beaucoup de nouvelles à poser. Mais les réponses, j’avoue ne pas les avoir encore. Le le'hem 'oni nous inspirera.
Bien à vous, avec mon affection fraternelle et reconnaissante.
Votre
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