109. à Monseigneur Arthur ELCHINGER, Strasbourg

L’Évêque de Strasbourg, Monseigneur Elchinger, n’a pas manqué au rendez-vous des félicitations lorsqu’André Neher a été nommé chevalier de la Légion d’honneur. Celui-ci l’en remercie en témoignant d’optimisme sur les relations interreligieuses, optimisme altéré cependant par une récente Déclaration du Vatican.


Jérusalem, le 18 avril 1975

Monseigneur et cher ami,


Votre message à l’occasion de ma nomination dans la Légion d’Honneur m’a beaucoup ému. J’y vois un signe de votre fidélité dans l’amitié et la route commune : vous savez combien j’y suis sensible et je vous en remercie de tout cœur, de ce cœur dont les caprices physiques sont surmontés par la Joie de demeurer (définitivement maintenant, puisque j’ai pris ma retraite anticipée au 1er janvier 1975) dans cette Jérusalem qui nous révèle chaque jour, à ma femme et à moi-même, de nouvelles et mystérieuses merveilles.


Cette année, Vendredi-Saint coïncidait avec l’offrande de la gerbe d’orge au deuxième jour de la Pâque juive (Lévitique 23, v. 9-14) et, évidemment, avec le "vendredi" musulman, Chabbat hebdomadaire de l’Islam. Quelles rencontres fraternelles de processions, d’individus, de prières, en ce jour, dans les ruelles, débordantes de pèlerins, de la Via Dolorosa, du Chouk Saladin, de l’Esplanade du Mur des "Lamentations", qui sont maintenant des "Jubilations" : comme nos cœurs ont vibré à ces "travaux pratiques" d’œcuménisme, de pré-messianisme – et comme nous avons pensé à vous, à nos rêves communs depuis trente ans bientôt, et qui se cristallisent ici.


Le récent document issu du Vatican (1) nous a beaucoup déçus ; c’est un grave pas en arrière par rapport à la Déclaration de l’Épiscopat français, à laquelle vous aviez pris une si grande part (2). Quoi qu’il en soit, cette Déclaration de l’Épiscopat français reste dans l’Histoire, et il faudra y revenir, tôt ou tard. Nous prions pour que ce soit tôt, de peur que tard ne soit trop tard – et nous œuvrons pour que ce tôt se réalise.


Un exemple : la semaine dernière, le Père (dominicain) Marcel Dubois, citoyen israélien, professeur de scolastique à l’Université Hébraïque de Jérusalem, a fait une conférence sur les relations de Jacques Maritain avec le judaïsme et avec l’État d’Israël. Je présidais la soirée et j’ai évoqué ma dernière rencontre avec Jacques Maritain, en juin 1972, à Kolbsheim, chez les Grunelius, dans ce parc où il repose maintenant (3). Cet hommage "œcuménique" à un Catholique fervent, Amant d’Israël, à Jérusalem (en langue hébraïque, bien sûr), avec lecture de textes de Maritain (traduits en hébreu) affirmant la justification théologique de l’État d’Israël dans la Promesse juive et chrétienne, je crois qu’il était dans la ligne et dans l’esprit de notre effort conjugué et fraternel.


Chalom – depuis Jérusalem.

André Neher

Notes :
  1. Il s’agit probablement des "Communiqués du Comité international de liaison entre l’Église catholique et le judaïsme", Rome, 1975. Textes publiés dans Les églises devant le judaïsme, Documents officiels, 1918-1978, Textes rassemblées, traduits et annotés par Marie-Thérèse Hoche et Bernard Dupuy, Paris, Cerf, 1980, p. 363.
  2. La Déclaration de l’Épiscopat français, du 16 avril 1973, beaucoup plus engagée en faveur d’Israël que les décisions du Concile Vatican II, a eu un très grand retentissement. Monseigneur Elchinger, qui en avait été l’un des principaux rédacteurs, avait à l’époque largement consulté André Neher à ce sujet et avait sollicité ses conseils et remarques ; et l’influence, directe ou indirecte, d’André Neher sur les positions prises alors par l’épiscopat français ne fait pas de doute. Le texte de cette déclaration a plus tard été publié dans Les églises devant le judaïsme. Documents officiels, 1948-1978, op. cit., p. 177 et suiv.
  3. Cf. supra, lettre de Jacques Maritain à André Neher du 21.8.1972.
Lexique :


© : A . S . I . J . A. judaisme