119. à Monseigneur Arthur ELCHINGER, Strasbourg

L’Évêque de Strasbourg, Monseigneur Elchinger, a reçu le livre d’André Neher Le dur bonheur d’être Juif. Sa lecture l’a beaucoup intéressé et il a communiqué ses réactions à André Neher. Celui-ci lui répond et lui fait part d’une analyse des relations judéo-chrétiennes en Israël, en l’invitant à se rendre sur place.


Jérusalem, le 16 mai 1978

Monseigneur et cher ami,


Votre lettre si fraternelle, en écho à mon interview Le dur bonheur d’être Juif, m’a beaucoup ému. Je vous remercie de vos remarques, de votre commentaire, de votre invite à poursuivre le dialogue que nous menons depuis de si longues années, au niveau de la pensée et de l’action, dans le respect profond de nos inéluctables mais stimulantes divergences.


Mon expérience israélienne m’apprend que beaucoup de patience et d’énergie sont nécessaires encore pour lutter contre ce que Jules Isaac a appelé "l’enseignement du mépris". Je suis en contact ici, plus qu’en France évidemment, avec des Chrétiens de toute nuances (arabes, grecs, orthodoxes, arméniens…) et l’ignorance du judaïsme y est encore grande, primitive, enracinée dans les vieux préjugés. Un travail efficace de rencontres se fait depuis la réunification de Jérusalem par Israël en 1967, mais les Catholiques romains sont ici bien en recul par rapport à leurs frères occidentaux. Tout ce que vous pourrez faire, par conséquent, dans ce domaine, à partir du Secrétariat pontifical pour les relations religieuses avec le judaïsme, tout ce que votre expérience hors pair et votre autorité d’évêque engagé pourront apporter en contribution au travail de ce Secrétariat, aura des conséquences ici et portera des fruits d’autant plus importants que la coexistence entre Juifs et Chrétiens est, en Israël, une réalité sociale et pacifique, que l’ignorance ne devrait pas freiner dans son épanouissement.


C’est à comprendre, à accepter, à intensifier cette dimension que devraient aujourd’hui tendre les efforts du Secrétariat pontifical pour les relations religieuses avec le judaïsme, car, encore une fois, ces relations religieuses sont inséparables des relations avec l’État d’Israël. Des voix chrétiennes, catholiques, le disent très haut, celle, pour n’en citer qu’une, du Frère Marcel Dubois, citoyen israélien d’origine française, professeur de Dogmatique chrétienne médiévale à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Mais est-elle suffisamment entendue ? Ses "Lettres" de la Maison Saint-Isaïe à Jérusalem parviennent-elles jusqu’à vous ? Son témoignage comporte le même aspect précieux que le mien : ils viennent d’hommes, juifs ou chrétiens, qui ne se laissent pas leurrer par les défigurations politiques de l’heure, mais qui vivent en Israël, avec Israël, et y perçoivent le rythme de l’Histoire Éternelle.


Comme un voyage de vous, Excellence, en Israël, serait souhaitable ! Vous y découvririez, en toute liberté, avec cette liberté qui est la vôtre et la nôtre, l’essence du judaïsme, à la source commune de nos fois.

Et vous y seriez reçu par tous et, bien sûr, tout d’abord par ma femme et par moi-même, dans la joie de notre affectueuse amitié et de notre route fraternelle de Vie et de Vérité.


André Neher



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