Il faut dabord que je
raconte comment nous nous sommes réellement rencontrés : je le connaissais
depuis deux ou trois ans, lui étant le Commissaire Général,
moi, cheftaine adjointe puis cheftaine dune section dÉclaireuses.
Il avait, paraît-il, jeté loeil sur moi, mais, avec mon manque
dintuition, je ne men étais pas aperçue.
De septembre à décembre 1929, jétais à Berlin pour continuer à préparer la licence dallemand. Comme javais raté lexamen de littérature allemande on juin 1929, mes parents mont généreusement payé le voyage Berlin-Paris et retour, pour que je puisse subir avec succès lépreuve de novembre. Jai dailleurs été reçue.
Cest à ce moment que jai un jour déjeuné chez Mme Gamzon avec elle et Castor, qui voulait me mobiliser pour le secrétariat des E.I., afin de superviser la secrétaire appointée. Je lui ai répondu que je retournais à Berlin pour deux mois, mais quensuite je serais à la disposition des E.I..
De retour à Berlin, jétais logée au pair dans une famille juive assez assimilée, pour moccuper tous les après-midi dune gentille fillette de 12 ans, lui parler français et laccompagner à ses leçons. Un soir, je reçois un coup de téléphone; cétait Castor, arrivé à Berlin pour y installer un appareil de musique électrique, le Radiotone, que fabriquait la petite usine où il travaillait (cet appareil était dailleurs selon moi, assez mauvais). Nous avons déjeuné ensemble le lendemain, et nous sommes sortis presque tous les soirs.
Il a commencé assez vite à parler avenir et mariage. Mais je nétais pas encore décidée. A ce petit homme maigre et vif, jaurais préféré un garçon plus grand et plus costaud; je voyais quil était plein de plans pour lavenir, mais je ne pressentais pas encore ses extraordinaires ressources dénergie.
Sur le judaïsme, dune manière générale, nous étions daccord. Javais découvert le peuple juif durant mes séjours on Allemagne. Lui le sentait instinctivement puisque son père était un juif russe (on réalité dorigine polono-lithuanienne) et sa mère fille du grand rabbin de Lyon très française.
Au moment où jai rencontré Robert, jétais déjà sioniste, surtout sous linfluence de Lily Simon. Un soir, alors que nous arpentions le Kurfurstendamm, jai dit à Robert que je voudrais aller en Palestine pour aider à bâtir le pays. Il ma répondu quil voulait faire carrière en France, quil était un bon ingénieur, quil avait déjà à son actif de petites inventions, et quil était sûr de pouvoir avancer dans cette voie: Je ne dis pas a-t-il ajouté, quà lépoque de ma retraite, je ne serais pas prêt à aller minstaller on Palestine pour y vivre sous ma vigne et mon figuier, comme il est dit dans la Bible. Jy reviendrai plus tard.
Par ailleurs, jétais socialiste et lui, libéral à la française, pas spécialement préoccupé par les problèmes politiques.
La-dessus, sans que rien nait été décidé, il est reparti pour Paris. Quant à moi, je suis allée faire des sports dhiver à Seefeld près dInnsbruck, et suis rentrée, début janvier, à Paris. Nos relations ont repris, très pures comme il se devait pour les E.I. dalors, (il ma tout de même embrassée dans un taxi), et début mars nous avons décidé de nous fiancer.
Toute sa famille maternelle était dorigine lorraine, et ma belle-mère se targuait que ses grands-parents avaient toujours parlé français, alors que ma grand-mère paternelle parlait plutôt alsacien. Elle était très patriote française et adorait Lyon, ville où elle avait grandi et qui, à moi, ne mavait jamais paru très sympathique.
Son mari, Lazare Gamzon, était le fils aîné dune famille polonaise, arrivée vers 1880 à Saint-Etienne où ils avaient déjà des parents. Très jeune, Lazare se révéla un brillant élève, et fut admis à lÉcole des Mines de Saint-Étienne. Il a été ensuite envoyé comme ingénieur aux mines de Penarroya en Espagne. Après leur mariage, ma belle-mère ly a suivi pendant près dun an, mais est revenue accoucher à Lyon. Ensuite, il a été nommé à St-Eloy-les-Mines, près de Montluçon et il est mort très jeune des suites dun accident de voiture à cheval.
Mais tout cela ne nous préoccupait pas outre mesure. Nous étions jeunes, nous nous aimions, nous pouvions travailler, alors, pourquoi se faire du souci ?
Jai passé mon dernier certificat de licence début juillet 1930. Mon père, qui avait à soccuper de clients du Brésil, a voulu retarder le mariage. Finalement, nous nous sommes mariés civilement le 30 juillet (javais une très jolie robe pour ce mariage civil), et religieusement à la synagogue de la rue Buffault, le 4 août 1930 (lendemain du 9 Av).
Nous sommes allés en voyage de noces à Guétary, sur la côte basque. A notre retour, en attendant de trouver un appartement à louer, ce qui nétait pas si facile à cette époque, nous avons loué un petit meublé à Viroflay ; Robert devait faire une période militaire à Versailles, et comme il travaillait à Grenelle, Viroflay était à mi-chemin. Mes débuts en cuisine ont été plutôt désastreux et ce que jai appris plus tard à cuisiner, je le dois à Mémé Gamzon.
Je crois que fin septembre nous avons trouvé lappartement cherché, rue Lacretelle, près de la porte de Versailles, au septième étage, un trois pièces très aéré et ensoleillé, où nous avons décidé davoir une cuisine casher avec deux vaisselles.
Mais, entre temps, nous avons ou la surprise dun voyage à Londres. La maison où Robert travaillait était on rapport avec une firme de Londres et il est parti seul pour un séjour qui devait durer quelques mois. Je lai rejoint une semaine plus tard, faisant la traversée Dieppe-Newhaven avec mon amie Anna Bernstein. Après deux nuits dans un grand hôtel impersonnel, nous sommes allés loger dans une pension de famille juive, Elgin Avenue, au nord-ouest de Londres. Cest à ce moment que jai été enceinte du bébé qui allait devenir Lia.
(...) Entre temps, laccord entre la firme de Londres et celle de Paris ne sétant pas concrétisé, nous sommes rentrés au bout de trois semaines.
(...) Et les E.I. dans tout cela? Castor continuait à sen occuper. Je crois que je faisais partie du Conseil Directeur et jentretenais les relations avec la F.F.E. (Fédération Française des Éclaireuses), dont nos filles dépendaient.
(...) Jai accouché dans une belle clinique, à Boulogne; les douleurs ont duré 26 heures et ont été assez pénibles ; on navait pas encore découvert laccouchement sans douleur, qui délivre on partie de la tension. Quelle joie de tenir son bébé dans ses bras ; mais aussi quelle responsabilité devant ce petit être qui dépend entièrement de vous! Cétait mes deux sentiments de jeune mère.
Pour ce qui est des E.I., Djigo Hirsh avait imaginé dorganiser un camp mondial du scoutisme juif, qui a ou lieu à Colleville, sur la Manche, fin juillet 1931. Y ont pris part des scouts juifs dAllemagne (cétait avant Hitler), de Belgique, dAngleterre, de Roumanie, je crois de Suisse, un de Palestine, et les E.I. naturellement. Castor était resté à Paris jusque après la naissance de Lia, et les a rejoints un peu plus tard. Le camp a été très réussi; les participants ont fondé une "Union Mondiale du Scoutisme Juif" qui, elle, na eu quune existence éphémère.
Page précédente | Page suivante |