Camille Sée
Camille Sée |
Sensibilisé très tôt aux problèmes de lenseignement, son mandat le porte à sintéresser particulièrement au fonctionnement des établissements pour jeunes filles que sont les maisons de la Légion dhonneur de Saint-Denis et dEcouen. Convaincu de la nécessité de donner légalité dans linstruction aux jeunes gens et aux jeunes filles - ces dernières étant encore privées denseignement secondaire - Camille Sée va livrer durant son mandat une âpre bataille parlementaire afin duvrer en ce sens. Cest le 28 octobre 1878 quil dépose à la Chambre un projet de loi visant à organiser, sur le plan national, lenseignement secondaire des jeunes filles. En dépit de lopposition virulente des partis conservateurs, la "Loi Sée" triomphe devant la Chambre en 1879 et est officiellement adoptée par le Sénat le 21 décembre 1880. Elle est complétée par la loi du 29 juillet 1881 instituant lÉcole normale des professeurs-femmes de Sèvres, dont la première directrice est la veuve de lancien ministre Jules Favre. Pourront alors se succéder les créations de lycées de jeunes filles en France, encouragées par la revue LEnseignement secondaire de jeunes filles fondée et dirigée par Camille Sée. Le nom de ce dernier sera donné à une rue et à un lycée de Colmar (18), et à un lycée de Paris.
Hommes de lettres, hommes didées
Il nest donc guère de carrière importante ayant échappé aux Sée, et la sphère intellectuelle ne fait pas exception. Lon peut citer ainsi, par exemple Edmond (né à Bayonne en 1875, fils du banquier François-Salomon Sée), auteur et critique de théâtre renommé, collaborateur de la Revue de France et de lOeuvre, et qui publie en 1930 Le Mouvement dramatique .
Colmar |
Avec Julien, lon trouve pas moins dune douzaine de membres de la famille Sée au sein du groupe colmarien de la Ligue de lEnseignement, à la fin du Second Empire. Il y a le banquier Abraham ainsi que ses fils et associés Germain et Joseph ; le négociant Simon avec ses fils Léopold, inspecteur dassurances, et Alexandre, limonadier; le banquier Joseph-Daniel, lavocat Abraham, le commis négociant Paul ; linstituteur Joseph Bloch-Sée et le banquier Simon Bickari-Sée. Plusieurs autres membres de la communauté juive de Colmar les rejoignent, ainsi le négociant Mathias Bernheim, le comptable de la banque Sée, Zacharie Gerst, le directeur du conservatoire de musique, Moïse Stem, le propriétaire Samuel Weill, etc. : au total, une concentration de Juifs sans précédent pour une association colmarienne de lépoque, dans laquelle figure également comme membre la "Société des jeunes gens israélites pour léducation des enfants pauvres".
Par ailleurs, de nombreux membres de la Ligue de lEnseignement adhèrent également à la Franc-Maçonnerie (20). Cest le cas de certains membres de la famille Sée qui, avec quelques autres israélites de la région colmarienne, sont les premiers Juifs à être admis au sein de la loge locale, la "Fidélité". On y retrouve en effet le banquier Joseph-Daniel, le limonadier Alexandre et le publiciste Julien Sée, ainsi que le comptable de la banque Sée, Zacharie Gerst, linstituteur Joseph Bloch-Sée et le banquier Simon Bickart-Sée (21). Lazare Sée, professeur à la Faculté de médecine de Strasbourg, est initié quant à lui à la loge "Les Frères réunis", établie dans la métropole alsacienne. Le futur préfet Eugène-Léon Sée, entre, alors quil est encore avocat à Paris (1872-1876), à la fameuse loge Alsace-Lorraine au sein de laquelle il côtoie Bartholdi, Chatrian, Erckmann, Joffre (alors capitaine), Jules Ferry, etc. (22). Quant au vénérable maître de cet atelier à lépoque, il nest autre que Gustave Dalsace - oncle de Michel-Emile Dalsace-Sée - Juif messin devenu vice-président du Conseil de lOrdre au Grand Orient de France.
Arrêtons ici cette galerie de portraits : lon pourrait encore y en accrocher dautres, tant sont variés les secteurs de la vie publique conquis par la famille Sée au cours du 19 ème siècle. Mais daller plus avant ne permettrait pas davantage de résoudre le mystère de cet étonnant faisceau de réussites sociales. Invoquer lextraordinaire puissance numérique dun "clan", capable daligner sur deux ou trois générations des dizaines de chefs de famille dans la force de lâge ? La réelle solidarité unissant ce réseau, décelable jusque dans les nombreuses unions entre cousins ? Lardeur conquérante dun milieu devant lequel souvrent désormais toutes les portes, alors quil était naguère interdit de charges publiques, confiné à la brocante rurale, au maquignonnage et au prêt à intérêt ? Le désir de servir au meilleur niveau un État républicain et laïc, acteur et garant de cette émancipation ?
Alliée aux évidentes qualités personnelles des diverses "vedettes" de la famille Sée, une combinaison de ces atouts et de ces motivations a sans doute pu agir. Mais létonnement demeure entier lorsque lon songe que tout sest joué en quelques décennies, et cela na pu échapper aux contemporains. "Ils sont partout" pouvaient ainsi éructer les antisémites, médiocres et envieux, imaginant pour léternité la noblesse aux armées, la bourgeoisie catholique au barreau, les Protestants aux affaires... et les Juifs nulle part. Cet état desprit, cette incapacité à appréhender les transformations sociales liées au véritable avènement de la France républicaine, pourra donner toute sa mesure au moment de l'Affaire Dreyfus - un autre Juif alsacien ayant opté pour la France et la carrière dofficier - dont lépilogue heureux ne devait malheureusement pas faire illusion.
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