Le judaïsme rural dans le Bruch de l'Andlau : l'exemple de Fegersheim Bertrand Rietsch
Publication de la Société d'Histoire
des Quatre Cantons (Benfeld, Erstein, Geispolsheim, Illkirch-Graffenstaden) - 2003 |
VI. LES NAISSANCES
Pour introduire ce chapitre, une lettre de Cerf Berr (32) datée de 1792 à la municipalité de Strasbourg sera plus significative que toute autre forme d'explication :
"... Cependant, je puis vous dire qu'il n'a jamais été tenu de registre à l'égard des circoncisions, les parents seuls en tenoient note, ainsi que pour les mariages, dont il y avait un contrat entre les parents contractans..."
En dehors de quelques éléments épars, il est donc impossible d'étudier les phénomènes liés à la natalité juive durant la majeure partie du 18ème siècle. L'essentiel de l'évolution de l'aspect natalité ne pourra s'apprécier que durant le 19ème siècle.
Il s'agit là du pendant de l'étude concernant les mariages. Afin de pouvoir appréhender les phénomènes liés à la natalité, plusieurs graphiques seront nécessaires.
Le premier graphique recense les naissances au cours du 19ème siècle, ou plus exactement entre 1794 et 1897 : ces dates encadrantes permettent de visualiser les grandes tendances relatives aux naissances juives dans notre village.
1. Répartition annuelle des naissances
Au premier abord, on remarquera les extrêmes : un pic maximal de 23 naissances en 1838, et un minima en 1871 et 1872 (1 naissance chaque année) suivi de trois années (1890-1891-1892) sans aucune naissance. La courbe de tendance en surépaisseur nous confirme ces chiffres : le sommet de cette courbe se situe vers 1835-1838, et à compter de cette date la courbe ne fait que décroître.
Les baisses de la natalité en 1810-1815, puis en 1871-1872 correspondent à des périodes de guerre et d'incertitude. Par ailleurs, le grand nombre d'émigrants des années 1867 à 1873 corrobore ce résultat. En ce qui concerne l'absence de naissances dans les années 1890, on remarquera que les dates correspondent à un creux sévère dans le nombre des unions.
2. Répartition mensuelle des naissances
Sur un total de 1306 naissances servant de base au tableau ci-dessus, les naissances sont assez également réparties dans l'année, à la seulé exception du mois de juillet (mois n° 7), où les naissances augmentent de près de 12 % par rapport à la valeur moyenne annuelle. Ces naissances correspondent à des procréations au mois d'octobre, qui semble être un mois d'activité conjugale plus intense que le restant de l'année.
3. Nombre moyen de naissances au 19ème siècle
Ont été comptabilisés dans ce paragraphe le nombre d'enfants nés de parents s'étant unis à Fegersheim (à l'exclusion des enfants nés dans des familles non mariées dans ce village) ; par ailleurs, les couples n'ayant pas eu d'enfants ont été éliminés des chiffres, sauf dans le cas ou les deux mariés étaient tous deux de Fegersheim. Ce procédé permet de ne pas tenir compte des couples ayant pu avoir des enfants avant de s'établir dans la commune, ou à l'inverse de ceux qui ont quitté la commune : dans les deux cas, des enfants ont pu naître soit avant l'établissement dans la commune soit après le départ de la famille de Fegersheim, ce qui fausserait l'étude.
Ces réserves faites, nous obtenons la répartition ci-dessus.
La moyenne des naissances durant le 19ème siècle est de 4,6 enfants par couple. Par ailleurs, sur un total de 845 naissances, dans 138 cas (soit environ 16 %) les enfants ne survivront pas au-delà d' un an.
4. Les naissances illégitimes
Nom de la mère |
Prénom de la mère |
âge à la naissance |
Prénom de l'enfant |
Date de naissance |
|
REISSELE | Nf | 28.02.1806 | |||
BLOCH | Jeannette | Jeanne Sara | 20.05.1811 | ||
MAYER | Sara | Lazar | 19.10.1812 | ||
METZGER | Charlotte | Isaac | 16.03.1813 | ||
OBERHAUSSER | Caroline | 30 | Jacob | 08.06.1815 | |
MEYER | Louise-Claire | Louise | 28.04.1820 | ||
METZGER | Caroline | 22 | Jonas | 17.03.1833 | |
SAMUEL | Rosine | 23 | Régine | 24.06.1834 | |
MANNBERGER | Charlotte | 17 | Julie | 11.07.1839 | |
HIRSCH | Sara | 21 | Henriette | 13.11.1849 | |
LEVY | Sara | 32 | Julie | 17.08.1850 | |
METZGER | Babette | 20 | Henri | 02.01.1855 | |
STRAUSS | Marie | 30 | Lazar | 18.09.1866 | |
RINDER | Madeleine | 22 | Monique | 06.04.1872 | |
FREYMANN | Caroline | 21 | Marie | 04.08.1873 | |
LEVY | Régine | Eugénie | 22.04.1894 | ||
LEVY | Régine | Suzanne | 22.04.1894 |
Ce graphique est très explicite : les naissances illégitimes juives sont marginales et indépendantes du nombre de résidents juifs dans la commune.
A l'inverse, en dehors des années 1870, la courbe représentant les naissances illégitimes catholiques augmente plus rapidement que ne croît la population, et ce dès les années 1845-1850 : une certaine libéralisation (relâchement ?) des moeurs chez les catholiques du village peut se deviner au travers de cette courbe. On peut aussi voir dans ce phénomène une conséquence de l'industrialisation locale avec ses corollaires : l'arrivée du chemin de fer, l'ouverture d'usines telle celle de Graffenstaden, produisent l'arrivée massive d'une population aux origines très variées. Ainsi, malgré le caractère agricole du village, un glissement de la ruralité vers l'industrialisation s'opère, glissement
visible dans l'évolution des naissances illégitimes et donc des mentalités.
Une autre constatation s'impose : il n'y a qu'une seule reconnaissance de paternité sur 17 dans la communauté juive, alors que chez les catholiques on compte 82 reconnaissances sur les 237 cas, soit environ 33 %. Là encore, ce n'est qu'à compter des années 1850 que les reconnaissances sont les plus nombreuses : 72 reconnaissances sur 82 ont lieu dans la deuxième partie du 19ème siècle siècle.
Au vu de ces résultats, l'on peut raisonnablement penser que les naissances illégitimes juives étaient bien plus mal acceptées au sein de cette communauté que chez les catholiques.
En vérifiant les 17 actes de naissance des enfants illégitimes nés dans la commune, on s'aperçoit que pour 15 d'entre eux, ce sont les sages-femmes jurées qui font la déclaration à l'officier d'Etat civil (les six sages-femmes jurées rencontrées dans ces actes sont, dans l'ordre d'apparition : Marie Hiss, Marie Salomé Steffan, Catherine Bilhartz, Véronique Schaeffer, Thérèse Sittler et Marie Anne Sprauel). Dans deux cas seulement, ce sera le grand-pèrequi tiendra le rôle de déclarant, sans que l'on puisse en appréhender les raisons. L'essentiel des accouchements se fait avec l'aide d'une sage-femme jurée, issue de la société catholique. La société juive de Fegersheim n'avait donc pas de service de soin spécifique à sa communauté et utilisait les services des "accoucheuses" catholiques.
5. Les naissances multiples
Ce critère est en théorie un invariant pour une population dans un espace géographique donné : aucune influence humaine extérieure ne peut influer sur ce type de naissances.
Effectivement, pour la période de référence du 19ème siècle, 20 naissances multiples juives sont recensées, pour 80 catholiques. Le rapport est de 4, correspondant approximativement au rapport de la population.
6. Les enfants mort-nés
Par cette analyse, nous pouvons appréhendèr le vécu de la période prénatale ; comme mentionné ci-dessus, les gestes médicaux lors de l'accouchement sont dispensés par des sages-femmes catholiques et ne peuvent donc pas influer sur les résultats.
Nous avons recensé 45 enfants juifs mort-nés au 19ème siècle, pour 206 enfants catholiques. Le rapport se monte à environ 4,6, équivalent au rapport des deux populations concernées. Sur les courbes de tendance, il est flagrant que les progrès de la médecine ont été constants tout au long du 19ème siècle : la décroissance est assez régulière, bien que plus accentuée du côté catholique.
7. Les décès postnatals des mères
Sont concernées dans ce paragraphe les mères décédées dans les six semaines après la naissance de leur dernier enfant. Bien que cette façon de raisonner ne soit pas totalement exempte d'erreurs d'interprétation, certains décès pouvant avoir une autre origine que la venue au monde d'un enfant, le résultat devrait approcher la réalité.
Si au 19ème siècle, 63 mères catholiques sont décédées par suite de complications postnatales, 6 accouchements juifs ont eu les mêmes conséquences. Le rapport est de 10,5, bien supérieur au rapport de la population qui se situe entre 4 et 5. Les chiffres de ce paragraphe doivent être pris sous toute réserve, le panel étudié n'étant pas représentatif du fait du "faible" nombre de décès postnatals recensés.
8. Conclusion
Il y a des différences notables dans l'approche des phénomènes de la natalité entre les habitants catholiques et juifs du village. Il n'est pas possible de généraliser à toute une région, et d'autres comptages de ce type dans d'autres communautés villageoises seront à effectuer pour confirmer ou infirmer ces chiffres, mais a priori :
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