Aigueperse 1942 : Bauer Abraham et sa 2ème épouse Clémentine |
Bauer Edgar et son épouse Fanny à Aigueperse |
Maison de "Borisch", le fourreur |
Bain rituel (mikweh) - Musée des Arts et Traditions populaires de Marmoutier |
Les Bauer forment à Romanswiller un véritable clan. L'ancêtre, Auscher Schmulen, né à Romanswiller, se marie en 1755 à Balbronn où il aura sept fils et de nombreux petits enfants.
Trois d'entre eux, Samuel Auscher, Abraham Auscher, Dottres Auscher, tous nés à Balbronn, s'établiront à Romanswiller aux alentours de 1789, et prendront, en 1808, le nom de Bauer, étant donné leur activité en relation avec le monde paysan.
Ils sont en effet tous marchands de bestiaux.
On aura donc trois lignes de descendance :
- Bauer Samuel, fils de Salomon Auscher
- Bauer Abraham, dit Abraham Auscher
- Bauer Théodore, ou Dottres Auscher
Bauer Abraham était le leader de la communauté. Avant la guerre, il faisait partie du Conseil municipal et habitait la maison Sachs, entre la boulangerie Riehl Charles et la maison Gangloff.
C'est lui qui passait le Yom Kippour debout, malgré une jambe artificielle, et qui ne s'asseyait qu'au son du Shofar, à la fin du jeûne.
Sa forte identité juive, sa remarquable intelligence et son sens politique, faisait de lui le trait d'union idéal entre les communautés du village.
Son frère Edgar habitait la maison Wick Philippe qui ferme transversalement l'impasse du Pélican, anciennement Judengasse. Le pélican était l'enseigne d'un ancien restaurant. La diligence s'arrêtait souvent à cet endroit pour ferrage et réparations à la forge qui se trouvait en face dans l'actuelle maison de Schneider Jacques, le scieur. L'ensemble constituait ainsi un petit centre commercial.
Son fils, Bauer Fernand, né en 1913, fréquentait l'école de Saverne, avec Helbourg Alfred.
Bauer Fernand, dit "Feiss", né en 1874 et époux de Kahn Clémentine, habitait à côté du Pélican, dans cette même ruelle.
Son fils, Bauer André, dernier juif de la communauté de Romanswiller, est mort à Wasselonne en 1962.
Lui et sa famille ont su préserver et transmettre la Torah, le rouleau de la loi.
J'emmenais André en voiture lorsque j'allais rejoindre mon entreprise à Marlenheim, lors du Shabath ou des fêtes juives.
Je l'embarquais à la sortie de Romanswiller; et il me demandait de descendre avant l'entrée de Wasselonne. Il me disait avec un sourire en coin :
"Tu comprends, je n'ai pas le droit de voyager en voiture, je suis censé venir à pied de Romanswiller, alors je fais comme si, das Kerich im Dorf blieht !" (1)
Bauer Achille habitait à côté de la mairie, dans l'actuelle maison Jaeger-Sutter.
Les locaux annexes abritaient le bétail en transit entre achat et revente.
Il était en mauvais termes avec "Samme", qui habitait l'ancienne maison Metzger Joseph. Un jour, sur la route de Wasselonne, avec son cheval et sa voiture, il dépassa "Samme" qui marchait à pied, et lui cria :
"Komm rof Samme, d'heme kenne m'r weder "broies" sen!" - "Monte, Samuel, au village nous pourrons à nouveau nous montrer fâchés!" (Pierre Riehl).
Un autre Bauer, Edgar, tenait une boucherie rituelle "Kacher" dans l'ancienne maison Gangloff (Eck) ; l'abattoir se trouvait au fond de la cour.
Bauer Auscher et Schumacher Sophie, son épouse, habitaient la maison Roth, entre l'ancienne synagogue et la maison de Robert Weisslocker.
Il était négociant en farines, d'où son surnom de "Maalauscher". En 1918, le couple a perdu son fils Raymond sous l'uniforme allemand, ce qui n'empêcha pas leur déportation et leur mort à Auschwitz en avril 1944.
Un autre Bauer, courtier de change, était considéré comme la fine fleur des affaires bancaires dont le mystère auréolait les villes, si lointaines.
Le dernier ministre officiant et "shoheth" (sacrificateur), Bondy Léon Wolf, était un lettré qui habitait l'ancienne maison Milli. Il était né en 1874 à Krakau en Pologne, et décéda à Saverne en janvier 1940.
Je le voyais déambuler rue de la Gare, un livre entre les mains, lisant le texte à mi-voix, ou marchant perdu dans ses pensées. Il m'inspirait le respect. Cette rue de la Gare voyait d'ailleurs, les samedis et jours de fête, la communauté se promener, revêtus de leurs plus beaux habits. C'est là que j'ai appris de mon copain Samuel que le septième jour était un jour vide de toute création.
L'épouse Bondy Henriette, née Strauss à Obernai, est décédée à Strasbourg en 1950.
Au coin de la rue de l'Erlenburg, à côté du presbytère protestant, habitait, dans une belle maison à colombages, un israélite du nom de "Borisch" (Baruch - Benoît).
Il était marchand de peaux et de fourrures. A nous, gosses, il achetait, après séchage, les fourrures des taupes attrapées, et dont les queues, présentées à la mairie, rapportaient 10 centimes pièce.
A l'endroit où se dresse le Monument aux Morts, se trouvait une boucherie "Kacher". C'était une belle maison à colombages avec encorbellement à corbeaux du seul étage. La vitrine de la boucherie donnait sur la maison Schlageter-Peter.
A sa droite était aménagée la salle d'abattage. Le côté gauche, face à l'actuelle poste, portait sous l'encorbellement, et sur toute sa longueur, une planche où s'alignait toute une ribambelle de nids d'hirondelles. Une vraie horloge des saisons.
Une partie du sous-sol était aménagée en bain rituel.
Toute cette installation, à trois maisons de la synagogue, fait penser à un centre culturel au milieu du village ! D'après le grand père de Pierre Riehl, sept familles juives habitaient, du temps de sa jeunesse, autour de la synagogue...
Le dernier des bouchers "Kacher" qui habitait cette maison s'appelait Geismar Isaac, et son épouse, Meyer Nathalie (Alfred Helbourg).
Guggenheim Marcel et sa mère Lévy Blanche tenaient un magasin d'étoffes dans la Schlossergasse, rue des Serruriers, au-dessus de Vogel Emile. Son père, Guggenheim Léon, faisait, avec son double balluchon de colporteur sur le dos, sa randonnée commerciale dans la région, jusqu'au col du Schneeberg.
Israël Samuel, fils de Israël Joseph dit "Yoppe", habitait la maison Vonseel Ernest. Sa mère, dite "Gerschlere", exploitait un magasin d'étoffes en face (ancienne maison Fernique Pierre).
Samuel était mon copain. Avec Roth Emile, on se livrait des batailles homériques au milieu des centaines de stères de bois de papeterie en attente d'écorçage, sur le terrain de la Gare.
Samuel est mort en déportation à Buchenwald. Emile, sous l'uniforme allemand, est tombé dans les plaines de Hongrie.
Israël Lucien, né en 1895, était handicapé. Il vivait dans l'ancienne maison Krieger Eugène. Sa démarche était caractéristique. Sa famille lui avait préposé, en tant que gouvernante, la veuve Clodong, "S'Clodondeliesel".
Israël Salomon dit "Yolle" et son épouse, Meyer Julie |
1920 - La "sublimation" de la boucherie Geismar pour faire place quelques années plus tard au Monument aux Morts, qui se trouvait à l'origine dans le bosquet en haut de l'escalier de la gare. De g. à dr. : le petit Weber Rudolf, Acker Guschtel, frère de Acker Mina, Weber Eugène, oncle de Rudolf et père de Weber Robert |
Lévy Benoît, ancien ministre officiant, habitait la maison à colombages Acker, tranférée à l'Ecomusée.
Meyer Sylvain, né en 1883, avait perdu un œil à la guerre de 1914-1918, et portait un bandeau noir à travers le visage, ce qui lui donait un air assez effrayant. Il habitait au "Judenhof", ancien bâtiment collectif de Vogel emile, occupé partiellement aujourd'hui par le Crédit Mutuel. En 1945, il confectiona le matelas du lit des jeunes époux Weisslocker Robert.
Meyer Elias, marchand de bestiaux, habitait dans la cour, derrière la boulangerie Wasser-Schneider.
Pollack Herrmann, colporteur, occupait la maison Schneider Jacques père, le bûcheron.
Roos Moïse habitait à l'étage de la maison Helbourg Robert. Il cultivait la terre comme paysan, et on disait de lui "Ar esch wie meer !" ("il est comme nous"). Ce ne fut pas l'avis de tous, puisqu'il mourut en déportation avec sa femme Esther et ses deux filles, Irma et Fernande.
Roos Salomon et Roos Meyer, père de Roos Sylvain né en 1920, habitaient le rez-de-chaussée de la même maison.
Roos Léopold, professeur à Paris, vendit en 1937 sa maison aux parents Weisslocker, aujourd'hui maison neuve de Weisslocker Charles.
Weisslocker Robert se souvient des jours de fête où il était invité chez Roos Moïse, notamment à Pâque où l'on mangeait dans une vaisselle spéciale, et à Soukoth où l'on se retrouvait sous une tente dans la cour.
Helbourg Alfred se rappelle des jours du Grand Pardon où la communauté se dirigeait, par le chemin Ernwein-Combustibles et l'ancienne maternelle, vers le lavoir de la Schlossmühle pour évacuer les péchés au fil de la Mossig (2).
Il était également fasciné par les rituels d'enterrement au cimetière israëlite, qu'il observait caché avec d'autres enfants…
En juillet 1940, les derniers Juifs séjournant à Romanswiller furent expulsés avec leur maigre balluchon vers la France.
Dans un feu de joie leur papiers, leurs livres, ainsi que la série verte de Jules Verne et tous les livres français des bibliothèques scolaires furent anéantis près de la croix qui domine le village au sommet de la Münstergasse (rue de l'Abbaye).
Les tables de la loi figurant au fronton de la synagogue furent effacées au burin.
Le pupitre servant d'appui au Rouleau de la Loi fut implanté au pied du grand escalier menant à la gare, pour empêcher les attelages d'emprunter le Isebahngassel (rue du Chemin de fer).
Il fut question de transformer, par la Hitlerjugend, le cimetière juif en terrain de football !...
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