Spoliation des biens juifs à Sarre-Union pendant la seconde guerre mondiale
par Jacques Wolff
Extrait de l'Almanach du KKL-Strasbourg


Genèse

Pour comprendre comment durant la seconde guerre mondiale la spoliation des juifs s'est opérée à Sarre-Union dans une indifférence quasi générale, il faut remonter au début du 19ème siècle. C'est l'époque où l'antijudaïsme ancestral cède lentement la place à un antisémitisme à connotation sociale. On accuse, en fait, les juifs de s'enrichir sur le dos des chrétiens et s'accaparer d'une certaine façon leurs richesses. Cette doctrine sera reprise sous une autre forme par les ténors du nazisme.

Différentes manifestations antisémites ont marqué la communauté juive de Sarre-Union au 19ème siècle. Elle continua malgré tout à prospérer, situation jugée inacceptable pour bon nombre d'habitants de notre cité qui furent ainsi confortés dans leurs préjugés.
Les relations litigieuses entre juifs et chrétiens s'exacerbent les jours de marché. Le 11 septembre 1821, lors des ventes au marché aux bestiaux de Sarre-Union, le nom des marchands de bestiaux est représentatif de l'activité économique que mènent les juifs dans notre cité. On signale, ce jour-là, la présence de Manasser Meyer, Emmanuel Wolff, Samuel Lehmann, Oury Mon, et Salomon Isaac Rosenwald de Saarunion, Abraham Kahn de Bliesbruck, Isaac et Samson Falck, Michel Loeb et Meyer Cahn de Diemeringen, Isaac Behr de Harskirchen et Isaac Bloch de Struth.

Le début du 20ème siècle marque l'âge d'or de la communauté juive de Sarre-Union. Les riches commerçants israélites de la cité occupent le haut du pavé. Le 25 mai 1902, le capitaine des pompiers, Edouard Dommel, organise à Sarre-Union une manifestation sans précédent dans la localité. Le rassemblement des différents corps de sapeurs-pompiers de toute la région est un événement majeur dont nous avons conservé la mémoire par différents documents. Plus de trois cent cinquante habitants de Sarre-Union donnent de l'argent ce jour-là. Ce don n'est pas anodin, il reflète alors la richesse et le statut social des individus dans notre cité. Ernest de Schlumberger, notre élu de l'époque, maître du domaine de Bonnefontaine et propriétaire du château, offre 200 Marks. L'organisateur de la fête, le propriétaire de la Corderie Alsacienne offre 50 M. La moyenne des autres dons est de 1 M., le don le plus faible étant de 10 pfennigs. Les familles israélites de Sarre-Union mettent un point d'honneur à participer à l'évènement. Plusieurs sapeurs-pompiers, comme mon grand-père, sont de confession juive. A l'occasion de cette fête, Benjamin Moïse Wolff, mon arrière-grand-père, donne 15 M., Samuel Georges Lévy la même somme, Hess et Lévy donnent 6 M. La veuve Simon 8 M., Alphonse Coblenz 5 M., Bernard Lévy 8 M., la veuve Schwab 5 M., Simon Lévy et Lazare Lévy 6 M. chacun, la veuve Aron et Sylvain Lévy 3 M. chacun, Joseph Dreyfuss 2 M. Melle Céline Lévy, Messieurs Klaus David, Isaak David, Jules Kahn donnent chacun 2 M. La veuve Spira et madame F. Lévy donnent chacune 1 M. Léopold Bloch lui donne 1.5 M. Enfin Jules Lévy, Lion Cerf, Jacob David, David Cerf, mon autre arrière-grand-père, Joseph Kahn, Isidore Lehmann donnent chacun 1 M. N'oublions pas le rabbin de Sarre-Union qui, lui, offre 2 M.
Grâce aux archives de nos pompiers, nous pouvons identifier une partie de la communauté juive de Sarre-Union en 1902 !

Les juifs de Sarre-Union ont tout fait pour s'intégrer rapidement dans le tissu social et économique de la région. Ils ont réussi.
Cette réussite sociale provoque toutefois bien des jalousies.

L'exode

En septembre 1939, l'orage qui couvait, éclate : la guerre est déclarée. Sarre-Union est évacuée les 27 et 30 mai 1940 par deux convois en partance de la gare. C'est l'adjoint au maire, Lucien Simon, de confession israélite, faisant fonction de maire suite au décès de ce dernier, qui aura la lourde charge de cette mission. Quelques familles motorisées, ou ayant une charrette, évacuent le peu qu'elles peuvent et quittent leur foyer. D'autres familles quittent par leurs propres moyens la localité et rejoignent la famille proche ou des amis, dans les villages des environs. Mon grand-père, Jules Wolff, part en camionnette et tombe en panne à Neufchâteau.

Ceux qui ont pris le train arriveront le 7 juin, après quelques péripéties, en autobus à Saint-Loup-sur-Thouet dans les Deux-Sèvres. Le personnel de la mairie et de nombreuses familles, surtout les notables, s'y installent. Il n'y a malheureusement pas de place pour tout le monde et certaines familles rejoignent, en autobus, les communes d'Amailloux, Billy, la Marinière, Louin, Ripères, Maisontiers, etc. La ville de Sarre-Union a été évacuée en catastrophe. Elle est parmi les dernières communes évacuées en France à cette époque. On a pourtant essayé de parer à l'imprévoyance. Certaines familles juives de Sarre-Union continueront leur périple et iront à Limoges et à Clermont-Ferrand...

Dans la première quinzaine de juillet, le personnel de la mairie, (muni de leurs archives qui ne les ont pas quittées), ainsi que quelques familles rentrent à Sarre-Union. L'administration allemande est déjà en place. Elle sera immédiatement épaulée par les "hommes de confiance", les nazis de la première heure, et les antisémites notoires de la cité. La cité, elle, est verdoyante. L'herbe a poussé entre les pavés pendant l'exode, détail qui a marqué ainsi certains esprits qui en parlent encore aujourd'hui. La confiscation immédiate et la dispersion des biens juifs sont déjà à l'ordre du jour. La rapidité avec laquelle les Allemands ont repéré les maisons et les biens juifs n'est pas surprenante. Une liste très complète, que nous avons retrouvée, leur a été fournie à l'époque.

Beaucoup de maisons juives sont visitées par certains habitants de la cité entre le 15 juillet et le 15 septembre. C'est après cette date que la majorité des habitants de Sarre-Union rentrera. Les doubles des clés des maisons d'habitation avaient été remis à la mairie en mai 40, et formaient ainsi un amoncellement impressionnant sur une table, d'après certains témoignages. Un Sequesterverwalter a été nommé pour remplir des fiches d'inventaire des biens juifs et il est secondé dans cette tâche par des employés de la mairie. Les choses à l'époque sont claires : "Juden und Zigeuner rauss", c'est-à-dire juifs et tziganes dehors ! La plupart des familles juives n'ont pas eu la possibilité de revenir sur place. Cela n'aurait servi à rien sinon à se rendre totalement vulnérable. Des pancartes ont été apposées sur les maisons et les magasins juifs, interdisant formellement leur accès. Dès juillet 1940, l'inventaire des maisons juives a été dressé et cela dans un excès de zèle, car le texte de loi mettant les biens juifs sous séquestre n'a pas encore été publié officiellement.

Dans un premier temps, les membres de la Nationalsozialistische Volkswolhfart distribuèrent aux évacués tout ce qui leur était nécessaire et, quelquefois, un peu plus pour se réinstaller : la N.S.V. se servit dans les magasins juifs pour distribuer des couvertures, des vêtements, etc. Les membres de la N.S.V. ne s'oublièrent pas dans cette distribution. Nombre d'habitants ayant la confiance du nouvel ordre en place, le parti nazi local profitèrent également de l'aubaine. Dans un deuxième temps, certaines personnes ne se gênèrent pas pour entrer à la tombée de la nuit avec des charrettes par les granges dans les maisons juives, et déménager ainsi bénévolement tous ces biens abandonnés par les anciens propriétaires. A la fin de la guerre, par sollicitude ou par vengeance personnelle, de nombreux voisins, témoignèrent des agissements des uns et des autres, mais aucun ne voulut témoigner devant un tribunal par peur des représailles, toujours possibles à l'époque.

Dès le 24 novembre 1940, le journal officiel local publie Kommissarisch par le Dr Himpele, où il est écrit "Die ehemals französichen und judischen im Elsass sind unter Kommissarischer Verwaltung..." Les biens mobiliers et immobiliers et les comptes bancaires sont mis sous séquestre. La page correspondante de ce journal est encore agrafée actuellement au "dossier juif" de Sarre-Union. La mairie dès juillet 40 a établi une liste, dont voici la traduction : - Keim Fernand marchand de bestiaux, époux de Sarah Caron.
- Lévy Moritz et Benoît, directeurs de banque à Strasbourg.
- David Auguste et son épouse Sinay Berthe, la moitié d'un commerce, David Moritz à Nancy l'autre.
- Woff Jules, commerçant, époux d'Henriette Anna Sichel Klein.
- Wolff Charles, commerçant, et sa fille Wolff Germaine, et son gendre Lévy Pierre.
- David Joseph, commerçant, époux de Florentine Schumacher.
- David Léopold, boucher.
- Aaron Cerf, commerçant et veuve Caroline Wolff.
- Cerf Julien, fourreur.
- Kraemer Camille, photographe, époux de Lina Teller.
- Lehmann Isidore, commerçant, époux de Clémentine Meyer.
- Lévy Collette, habitant 3, rue Lagarde à Paris.
- Lévy Edmond, commerçant, et Lucie Weill.
- Dreyfuss Robert, marchand de draps.
- Dreyfuss Nathan, commerçant. Firnbach Alfred, époux de Frantz (on a barré Frantz pour écrire Nehlig).
- Meyer Charles, commerçant.
- Schwab Henri, commerçant, époux de Mélanie Lévy.
- Simon Lucien, commerçant.
- Dockes Jacques, Fabrique de cuillères, 6198 Fr.
- Weil, Fromagerie.

La terre

Les familles juives de Sarre-Union possédaient peu de terres soit, en fait, un peu plus de 34 hectares. Les noms des différents acquéreurs sont signalés, en face des terrains spoliés, sur le document en notre possession.

La plupart des familles juives avaient des jardins, des vergers, des terrains situés à proximité de leur lieu d'habitation. Par confort, mais également en raison de la profession exercée par certains d'entre eux, comme les marchands de bestiaux, C'était le cas de Keim Fernand, dans la rue de Bitche. Ces terrains sont devenus depuis, des terrains constructibles, certains sont situés dans les zones d'activités commerciales et d'autres dans les zones industrielles. Les différents terrains ayant appartenu à des familles juives sont répertoriés dans la liste de 1940 avec la lettre, le numéro et le nom de la parcelle. Pour les trente-quatre hectares dont il est question, plus de cent parcelles décrites sont ainsi dénombrées. Ainsi Lucien Simon possède quinze acres au Surbronnen.

La liste fait apparaître certains noms de propriétaires juifs non identifiés jusqu'alors. Il faut savoir qu'à l'époque la liste a été établie par référence au cadastre et au nom des propriétaires y figurant. On relève les noms suivant des Juifs, propriétaires à Sarre-Union avant 1940 : - Pour la famille David, on trouve les prénoms suivants : Isaak, Alfred, Auguste, Jacques, Joseph, Léopold, Germain, Moritz.
- Pour la famille Lévy : Edmond, Maurice, Salomon qui a des terrains au Axmatt, Georges, Moritz, Benoît, Henri, et Pierre.
- Pour la famille Lehmann : Isaak, Isidore, Albert qui a quinze terrains, Moïse et Fernand.
- Pour les Meyer : Benjamin, Charles, Joseph, fils de la veuve Metzger Georges.
- Pour les Wolff : Jules, Charles, Georges, Germaine, Lucien et Gerson qui a des ter'rains au Rebberg.
- A ces personnes viennent s'ajouter : Robert et Nathan Dreyfuss ainsi qu'Alexandre et Myrtil Aron.
- Et encore : Fernand Keim, Henri Schwab, Jacques Dockes et Alfred Firnbach.

Les femmes aussi, par contrat de mariage et par acte notarial, possèdent des terrains. C'est le cas de Collette Lévy, Caroline Cerf veuve Aron, de Gabrielle Lazard veuve Lévy, de Sarah Caron, de Lucie Nora née Bloch, de Berthe Sinay, d'Henriette Anna Sichel Klein, de Florentine Schumacher, de Caroline Wolff veuve Cerf, de Lina Teller, de Clémentine Meyer, de Caroline Bentzinger, de Pauline Bernstein, de Lucie Weill, de Mélanie Lévy et de Sophie Nehlig.

Pour l'anecdote, nous avons trouvé un feuillet qui dit que l'entreprise juive Schwab, Bois et Charbons à Sarre-Union, a été louée par la municipalité à la Brasserie Haag d'Ingwiller pour un loyer mensuel, au mois d'août 1940, de 200 fr et de 300 fr pour le mois de septembre, soit une augmentation de 50 %.

En 1941, l'administration militaire allemande publie une "Ordonnance relative aux mesures économiques prises à l'encontre des juifs" qui oblige de déclarer les terrains dont les propriétaires sont juifs, de déposer les titres, ainsi que de verser les liquidités sur certains comptes bancaires.

En mai 1941, un décret d'Hitler précise que certaines propriétés foncières appartenant à des juifs, plutôt que d'être vendues, peuvent être transférées aux institutions autonomes locales pour élargir des tracés routiers, construire des places, réaliser des espaces verts ou des installations sportives ou viser d'autres fins d'utilité publique. Les maisons, si elles ne sont pas vendues, peuvent être utilisées pour héberger les services communaux, les écoles, la maison de la jeunesse hitlérienne, un foyer pour enfants, des hospices, une installation de la Croix-rouge...

Dès 1940, la synagogue sert de dépôt communal. En consultant l'annuaire téléphonique de l'époque, on apprend que la maison de Léopold David est devenue le siège de la Strassenbauverwaitung Strassenbauamt Strassburg-Nord et que l'immeuble de Charles Wolff est le siège du Wiederaufbau Besirksarchitek Kreis Zabern. La Wehrmacht Neer Standortvermittlung Saar-Buckenheim qui regroupe la Standortältester, la Heeresstandortverwaltung, la Heeresbauamt et la Heeresverpflegungsamt, elle aussi s'est installée dans une maison juive. L'usine de fromages de M. Weil est mise sous séquestre ainsi que l'usine de couverts Dockes, la première usine en France à avoir commercialisé des couverts en inox. Pendant toute la durée de la guerre, l'usine Dockes fabriquera des pièces d'avions pour la Luftwaffe.

L'immobilier

La fortune immobilière des juifs à Sarre-Union est considérable. Il s'agit en fait de deux usines, de vingt-sept maisons, dont trois ayant des appartements séparés et loués, de deux garages et d'une grange.

Il y a moins de trois mille habitants à Sarre-Union en 1940. Un deuxième feuillet dans la liasse d'archives précise les propriétés immobilières des juifs de Sarre-Union. Nathan Dreyfuss a sa maison d'habitation au 9, rue de Phalsbourg, Robert au 8, de la même rue. Jacques Dockes a son usine chemin Axmatt. Léopold David a sa maison au 12, rue de Verdun. Isaac David a sa maison au 23, rue des Juifs et Auguste David au 19, Grand-rue. Julius Cerf habite au 3 rue Frédéric Flurer. Aaron Cerf a sa boucherie au 18 de la même rue, et il habite au 19. Moritz Lévy a sa maison au 22 Grand-rue. Ernest Lévy, lui, habite au 1, rue du Maréchal Foch. Edmond Lévy a sa maison au 16, rue de Phalsbourg et Collette Lévy au 14, rue des Remparts. Joseph Léopold a sa maison au 19, Grand-Rue. L'adresse de Fernand Lehmann est 12, de la place de la République tandis que celle d'Isidore Lehmann est située au 7 et au 9 de la rue Frédéric Flurer. Camille Kraemer a sa maison au 4 et au 6 de la rue Frédéric Flurer. Fernand Keim au 1 de la rue de Bitche. Alfred Firnbach a également une maison dans la Grand-rue. Jules Wolff habite au 11 et son frère Charles au 13 de la Grand-rue. Jules Wolff a aussi un immeuble au 20, rue de Phalsbourg, à l'époque le 19. Lucien Simon habite au 5, rue du Maréchal Foch et Henri Schwab a une maison au 18, rue de Phalsbourg. Frédéric Michels habite à Sarrewerden, mais il est signalé comme ayant une maison à Sarre-Union, sans plus de précision. Charles Meyer a une maison au 2, rue de Verdun et Georges Meyer au 26, Grand'Rue.
Dans un deuxième acte plus tardif, Alfred Firnbach est signalé comme ne possédant qu'un jardin de 5,56 ares au lieu-dit Brühl.

Les biens mobiliers

Toutes ces maisons juives seront systématiquement pillées. Ce qui restait dans les maisons sera vendu dans un simulacre d'enchères, en août 1941.

Parmi les quelques inventaires récupérés à Diemeringen, arrêtons-nous quelques instants devant la description des biens de Joseph David de la Villeneuve. Il habite alors au 12, rue de Verdun. Sa maison a cinq pièces, une cuisine, une salle de bains ainsi qu'un magasin et une remise. On a transcrit quatre-vingt-treize lots sur la liste des objets mis aux enchères et achetés. Au crayon, sur cette liste qui a été tapée à la machine, on a corrigé vingt-huit descriptions le jour de la vente. Dans la chambre n°5, le buffet est décrit dans un deuxième temps comme étant une commode ancienne. L'inventaire chez Fernand Lehmann a été réalisé le 6 juillet 1940. Il est signalé que, dans sa maison, Place de la République, se trouvent également deux lits et deux armoires neuves ainsi qu'une table du juif Ernest Lévy de la rue des Quatre-Vents, l'actuelle rue du maréchal Foch. Dans le grenier de Lehmann, on signale un sommier, une table demi-lune et une vieille voiture d'enfants.

Dans la maison de Jules Wolff, les biens avaient été inventoriés par ses soins en 1939.

En août 1941, les objets inventoriés auparavant et qui n'avaient pas disparu entretemps sont donc vendus aux enchères. Le Reichs Mark a été réévalué depuis par les vainqueurs par rapport au franc français. 1 R.M. vaut alors 20 Fr, En comparant les deux listes, on relève que la plupart des meubles, des tableaux et autres objets seront vendus cinquante à cent fois moins que leur valeur réelle.

C'est la foire aux bonnes affaires. L'ancien voisin du quincaillier juif, un commerçant, achète deux tableaux pour 10 R.M. Il les a probablement encore aujourd'hui.

Trou de mémoire

Comment imaginer ce trou de mémoire, cette amnésie générale dans notre localité ?
Pourquoi tant de gens, de voisins ont-ils participé à ces ventes aux enchères ?

Lors de la vente du 15 août 1941, cinquante-quatre amateurs de bonnes affaires se sont portés acquéreurs de cent trente-huit objets. La longue liste de tous les habitants de notre cité qui se sont portés acquéreurs des biens des juifs spoliés a été conservée.

Dans la rue de Phalsbourg, les maisons portant les numéros 8, 9, 12, 16, 18 et 19 ont été pillées et le reliquat mis aux enchères avant que les immeubles ne soient redistribués. Dans la Grand'Rue, les maisons portant les numéros 11, 13, 19, 22, 26 et 35 ont subi le même sort. Des pans de rues entiers ont été vidés de leurs habitants et de leurs biens.

La synagogue n'a pas été épargnée. Elle a été entièrement vandalisée et l'on s'est acharné sur le mobilier, les lustres, le banc de circoncision, etc. La maison du rabbin a subi le même sort, elle a servi par la suite de prison pour des détenus russes utilisés comme main-d'œuvre dans la localité

Norbert Engel, dans son article Notre histoire, l'Alsace, les juifs et les malgré-nous, écrivait d'une façon assez explicite que les familles alsaciennes, en toute innocence, alors que leur fils allait finir malgré lui à Stalingrad, s'emparaient malgré elles du mobilier en déshérence qu'avaient abandonné par force des juifs exilés. La légende qui voulait que tout le monde ait ignoré le sort des juifs a aussi la vie dure. Dans un de ses livres, l'artiste alsacien Tomi Ungerer est assez explicite sur ce sujet quand il écrit : "Nous étions parfaitement conscients de l'existence des camps de concentration (..) j'ai passé l'été 42 chez les Hassendorfer, une famille de paysans. L'accueil était chaleureux et la nourriture fantastique et je me souviens qu'on disait que le savon était produit avec des juifs comme matière première. " Il est probable en fait que peu de personnes s'attendaient à voir revenir après-guerre des survivants de l'Holocauste.

Plus de 30 % des familles juives de Sarre-Union ont été anéanties dans les camps de la mort.

Les juifs de Sarre-Union ont, d'une certaine manière, contribué eux aussi au silence pesant qui entoure ces spoliations. Personne après-guerre n'a vérifié ce qu'il était advenu du mobilier et des terrains ayant appartenu à des familles complètement anéanties. Il ne fallait pas raviver la haine ancestrale. Il fallait reconstruire et vivre en paix avec ses voisins, quitte à ne pas parler des deux tableaux de la grand-mère, de la bibliothèque ou du vieux fauteuil Voltaire, qui trônait dans le salon du voisin et avait été acheté par ce dernier pour une bouchée de pain. Les temps avaient été durs pour tout le monde.

Aujourd'hui encore, plusieurs questions importantes et attachées à la spoliation des biens juifs à Sarre-Union restent sans la moindre réponse.
Que sont devenus les biens et les terres des familles juives de Sarre-Union qui ont disparu dans les camps de la mort et dont personne n'est revenu réclamer la propriété ?

Il est venu pourtant le temps de pardonner tous ces faits anciens. Le passé appartient au passé. Mais faut-il oublier pour autant ? ... Au nom de quel avenir pourra-t-on justifier ainsi le sacrifice de la mémoire ?

Bibliographie :


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