La communauté Israélite de Hégenheim et ses objets rituels
Laurence SIGAL / Christophe SANCHEZ
Extrait de HEGENHEIM BUSCHWILLER 2001
BULLETIN DU CERCLE D'HISTOIRE DE HEGENHEIM BUSCHWILLER

C'est lors de l'exposition de 1992/1993 organisée par le Jüdisches Museum der Schweiz à Bâle que j'ai découvert de nombreux objets de culte des communautés juives de Hégenheim, Buschwiller ou encore Durmenach. Ces objets, souvent méconnus, ont fait partie de la vie de tous les jours des habitants de nos communes pendant plus de trois cents ans. Ils sont les plus anciens objets rituels de nos villages et retracent tout un passé souvent ignoré, parfois refoulé .
Ils sont exposés dans les musées de Bâle, Mulhouse, Strasbourg et Paris.

Laurence Sigal, conservateur du Musée d'art et d'histoire du Judaïsme a bien voulu nous faire parvenir le descriptif de la donation de Monsieur Robert Nordmann de Bâle.

"La dotation consiste en 50 bandelettes de Torah, en lin brodé ou peint, d'origine alsacienne, de la fin du 16ème au 19ème siècle, d'une serviette rituelle, de manteaux de Torah, d'étoffes diverses, et, en outre de deux sceaux personnels et d'un nécessaire de circoncision.

Cette donation a été présentée par M. Robert Nordmann à la mémoire de son père le Dr. Achilles Nordmann de Bâle ; cette collection avait été constituée avant 1913 par le Dr Achilles Nordmann , qui avait reçu les reliques de la communauté de Hégenheim. Cette petite commune du sud de l'Alsace n'avait, alors, plus de communauté vivace. Le Dr Achilles Nordmann s’était intéressé de très près à l'histoire de cette communauté. Fils du rabbin Isaac Nordmann, il avait notamment publié une étude du cimetière juif de Hégenheim.

La collection de bandelettes de Torah constitue un ensemble remarquable à divers titres :

Les bandelettes de Torah sont des linges de circoncision généralement en lin, parfois en coton, découpés et brodés par la mère, une femme de la famille ou encore par une femme de l'entourage, pour être offertes à la synagogue le jour des trois ans de l’enfant. Cet usage est répandu en Allemagne, en Alsace et en Italie.
Toutefois, les pièces italiennes sont très distinctes de la tradition franco-allemande. Les appellations sont diverses : on trouve dans la littérature le terme hébreu de Mappa et le terme allemand de Torah-Wimpel.
Elles servent à maintenir serrés les rouleaux de parchemin de la Torah et sont brodées traditionnellement du nom et du patronyme de l'enfant, de sa date de naissance, avec la mention du jour de la semaine, du mois et de l'année, et portent de bons voeux.
Les bandelettes mesurent en général 2 à 3 mètres de long et sont constituées de 4 pièces de tissu, cousues côte à côte. Ici, le type des lettres est allemand. Les lettres occupent la plus grande partie de la hauteur de la bandelette ; elles ne sont pas brodées en plein, sauf dans de très rares exceptions.
La broderie est exécutée avec des fils de couleurs variées et claires : bleu, vert, jaune, rose. L'ornementation des lettres forme l’élément clé de ces décors, avec le dais nuptial qui clôt en général la séquence brodée .
Parfois le signe du Zodiaque y figure également, ainsi que les rouleaux déployés sur la Torah.
Souvent le dais nuptial et le motif de la Torah sont l'occasion d'inscrire des versets bibliques relatifs au mariage et à la Torah. On rencontre fréquemment une ornementation florale, des motifs zoomorphes et des personnages.
Dans la collection Nordmann, certaines bandelettes comportent des éléments de décors exceptionnels : décor de chasse, des animaux rarement représentés comme la cigogne, le cheval. Deux bandelettes comportent une profusion de motifs peu traditionnels."

Dans le livre L'imagerie juive d Alsace, Robert Weyl et Freddy Raphael nous apportent les précisions suivantes :

"Pour la confection de la mappa, on se sert du lange recouvrant le coussin sur lequel on maintient l'enfant au moment de la criconcision. Le lange est découpé en quatre morceaux d'égale largeur, qui sont cousus bout à bout pour former une bande qui sera soigneusement ourlée avant d'être remise au scribe qui tracera la formule de type général : "un fils de un tel est né sous une étoile favorable, tel jour de tel mois de telle année. Qu'il grandisse pour la Torah, le mariage et les bonnes actions".
Selon la tradition, la mappa est remise non lavée au scribe qui se servira des taches éventuelles pour les intégrer au décor, ce qui est plus simple pour une mappa peinte que pour une mappa brodée. Il existe effectivement deux types de mappa, celles qui sont brodées, les plus anciennes, et celles qui sont peintes. La mappa peinte fit son apparition vers 1750, mais elle ne devait entrer dans les moeurs qu'au début du 19ème siècle, sans éliminer entièrement la mappa brodée, dont nous trouvons encore, au 20ème siècle, quelques rares mais beaux exemplaires.
La tradition nous enseigne que le garçonnet apporte sa mappa à la synagogue le premier samedi qui suit son troisième anniversaire. Porté sur les bras de son père, il essaye d'enrouler de ses mains malhabiles la mappa autour du Sefèr Torah."

Les bandelettes de la Torah :


Bandelette datée de 1569 en toile et fils de coton. Décor brodé. Origine alsacienne.

Bandelette datée de 1733 en lin beige brodé de fils bleus, roses et verts. Provenance de la communauté de Hégenheim-Buschwiller.
Le décor est composé notamment de fleurs, étoile de David, homme fumant la pipe, des rouleaux de la Torah et du dais nuptial.

Le texte suivant est brodé en caractères hébraïques :

"Moshe, fils d'Elieser appelé Lippmann. Qu’il vive de nombreuses années, né sous une bonne étoile le deuxiéme jour de la semaine, le 8 du mois de Eloul 493 du petit comput sous le signe de la vierge. qu'il grandisse dans les voies de la Torah du mariage des bonnes actions. Amen"

Bandelette datée de 1757 en lin brodé de fils bleus, roses, verts et jaunes. Provenance de la communauté de Hégenheim-Buschwiller.
Le décor est composé d'animaux, du dais nuptial, des rouleaux de la Torah, couronne.

Le texte suivant est brodé en caractères hébraïques :

"Zadok, fils de David Halévi, qu’il vive de nombreuses années, né sous une bonne étoile le jour de la semaine, le 11 du mois de Nissan 517 du petit comput, sous le signe du bélier, qu’il grandisse dans les voies de la Torah, du mariage et des bonnes actions. Amen"

Détails : serpent et aiguière des Lévites

Bandelette datée de 1766 en lin brodé de fils bleus, roses, jaunes et marrons. Provenance de la communauté de Hégenheim-Buschwiller.
Le décor est composé d'animaux (oiseaux) du dais nuptial avec quatre sujets des rouleaux de la Torah.

Le texte suivant est brodé en caractères hébraïques :

"Gerson.fils de Juda apellé Lima qu'il vive de nombreuses années, né sous une bonne étoile le 1 er jour de la semaine, le 2 du mois de Chevat 526 du petit comput, qu'il grandisse dans les voies de la Torah, du mariage et des bonnes actions. Amen"

Détails : Dais Nuptial et ses sujets.

Bandelette datée de 1773 en lin brodé de fils bleus, roses, verts et jaunes. Provenance de la communauté de Hégenheim- Buschwiller.
Le décor est composé de fleurs, du dais nuptial avec trois sujets dont un rabbin, des rouleaux de la Torah.

Le texte suivant est brodé en caractères hébraïques :

"Jesse fils de Moshe qu'il vive de nombreuses années, né sous une bonne étoile le cinquiéme jour de la semaine, le 14 du mois de Eloul 533 du petit comput, qu'il grandisse dans les voies de la Torah, du mariage et des bonnes actions. Amen"

Bandelette datée de 1823 en coton, décor peint, Couleurs jaunes, bleus, rouges et vertes. Provenance de la communauté de Hégenheim Buschwiller.
Le décor est composé de fleurs, dais nuptial, des rouleaux et de la couronne de la Torah, étoile de David, sujet féminin, vierge tenant une faucille et une fleur.
Le texte suivant est brodé en caractères hébraïques :
"Meir, fils de Moshe qu'il vive de nombreuses années, né sous une bonne étoile le 5éme jour de la semaine, le 7 du mois de Eloul 583 du petit comput, sous le signe de la vierge, qu'il grandisse dans les voies de la Torah, du mariage et des bonnes actions. Amen"

Nécessaire de circoncision


Le nécessaire de circoncision appartenait à Moïise Emmanuel Dreyfus de Hégenheim et est daté du 19ème siècle (vers 1825).

Sceau matrice


En bois et en bronze de la communauté de Hégenheim ou Buschwiller (fin 19ème).

Manteaux de Torah

La Torah est l'équivalent de la Bible. Elle se compose des cinq livres de Moïse. Elle est écrite à la main par un scribe sur du parchemin. Les différentes parties du parchemin sont ensuite réunies sous forme de rouleaux .


Manteau de Torah du 18ème siècle. Soie blanche, fils d'or, motif à fleurs. Traits bleus au revers.


Manteau de Torah du 18ème siècle. Soie noire et brune, motif à fleurs brodées, de lettres K et T.


Manteau de Torah du 19ème siècle. Coton blanc avec lettres K et T de couleur or, probablement peintes.

 

Chaussure pour la cérémonie de Halitsah

Le rite de la Halitsah : il existe une loi qui s'appelle Lévirat (le nom de Lévirat vient de Levir qui veut dire beau-frère). Lorsqu'un homme marié décède sans avoir d'enfants, il appartient à son frère aîné d'épouser la veuve pour assurer une descendance. Si cela n'est pas possible, le frère refuse et est obligé d'en informer la veuve. Celle-ci lui fait part de son mépris en lui enlevant symboliquement une chaussure (Chaussure Halisath pour laquelle une forme spécifique est prescrite). C'est seulement à ce moment-là que la veuve est libre de se remarier. Aujourd'hui le "mariage avec le beau-frère" n'est plus pratiqué mais remplacé par cette cérémonie.

Cuir 18ème au 19ème siècle. Provenance alsacienne. Cet objet ne fait pas partie de la donation Nordmann.

Toutes les photos proviennent de la photothèque du Musée d'art et d'histoire du Judaïsme de Paris


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