On trouve, parmi les archives de l'abbaye bénédictine de Munster, une série de registres comptables (12ème siècle) brochés, sur leur tour extérieur, à l'aide de parchemins de réemploi. Un de ces registres (1) (comptes établis par Georg Mörschners, receveur de la dîme à Colmar, contenant les recettes et dépenses depuis la saint Georges 1609 jusqu'à la saint Georges 1610) présente la particularité, à ma connaissance unique, d'être entouré d'un morceau de parchemin portant sur les deux côtés un texte en hébreu, d'une élégante calligraphie.
Ce parchemin provient d'un ouvrage plus important, identifié par Mme Judith Kogel comme étant le Sefer Mitzvot Gadol (Le Grand Livre des commandements, précepte négatif 138) (2) du tossafiste (3) picard Moïse ben Jacob, dit Moïse de Coucy (13ème siècle) (4). Le fragment (5) conservé provient d'un exemplaire sur trois colonnes, ce qui était souvent le cas pour cet ouvrage très répandu dans le monde ashkénaze, au Nord de la Loire, en Allemagne, Angleterre... L'écriture est une belle carrée ashkénaze, caractéristique de la vallée du Rhin, qu'on peut dater autour de 1300-1350 (5). Il semble avoir été découpé dans le tiers médian d'une page et mesure approximativement 330 mm de large et 150 mm de haut. Les colonnes d'écriture ont une largeur de 64 mm et l'espace entre les colonnes de 23 mm. On voit encore, sur le verso notamment, des traces de réglure.
D'où provient ce parchemin ? Le registre de comptes a été établi à Colmar, où l'abbaye de Munster possédait une cour dimière (6), avant d'être versé aux archives abbatiales. Serait-il envisageable que ce fragment vienne de la vallée de Munster?
Contrairement à ce qui s'est produit dans d'autres endroits en Alsace, la présence juive ne fut attestée dans la vallée que de manière ténue (7). Deux Juifs de Munster, Talyat et Anshelm, furent cités comme témoins dans un acte passé à Colmar le 11 décembre 1313 (on remarquera que cette date se situe dans la fourchette indiquée pour la copie du parchemin) (8). Dans la suite des temps, les Juifs furent victimes de persécutions durant la Grande Peste. Ils furent à nouveau attestés dans la vallée en 1439.
Parallèlement à ces attestations, nous trouvons plusieurs interdictions faites aux Juifs de s'établir à Munster et de consentir des prêts aux habitants (9). De manière symétrique, l'autorité interdit aux habitants de la vallée de souscrire des emprunts auprès des Juifs. Jadis comme aujourd'hui, personne n'eût éprouvé le besoin de renouveler une interdiction si elle n'avait pas été tournée (10). Commentant le décret de 1490, prohibant de contracter des emprunts auprès des Juifs, Antoine Schubnel, qui observe avec raison que ce décret ne met en avant aucune considération religieuse, note qu'il s'agissait d'une mesure destinée à protéger de l'endettement les paysans de la vallée. Certes, mais il ne faut pas oublier que l'apport d'argent est nécessaire au développement économique ou, tout simplement, afin de remédier aux malheurs pouvant s'abattre sur les paysans (épidémies animales, mauvaises récoltes, incendies...). Il fallait donc chercher cet argent où il se trouvait, aux mains des prêteurs.
L'édit (11) promulgué par le roi Maximilien le 21 mai 1507 et l'altercation survenue en juillet de la même année lors du marché d'Ammerschwihr (12), montrent qu'il y avait peut-être encore, envers et contre tout, des Juifs à Munster, ou que les tracasseries subies dans la vallée avaient laissé de vivaces souvenirs.
Dans un contexte aussi tendu, à ce point dégradé, la présence de ce fragment de parchemin surprend d'autant plus (13). Une hypothèse – qui ne deviendra peut-être jamais une certitude – invite à faire de ce parchemin le seul vestige matériel de la présence juive à Munster, la seule voix juive venue du passé, comme une sorte de contrepoint à ces interdictions renouvelées au long des siècles. On doit noter que toutes les mesures visant à interdire les Juifs dans la ville et la vallée de Munster émanent des autorités civiles, et jamais de l'abbaye.
Notes
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