Au coin de deux
routes, enclos derrière des villas, dorment de vieilles tombes, exemptes
de croix et souvent couvertes de mousses ; c’est là que le promeneur
découvre le cimetière juif de Rixheim.
Il a plus de deux cents ans, et la plus vieille tombe encore lisible date de 1797 et rappelle le souvenir d’Abraham Mosche Dreyfus tandis que dans sa partie "nouvelle" les tombes les plus récentes remontent à quelques années.
Vestige d’un autre temps ce cimetière raconte l’histoire des anciens habitants juifs de Rixheim: une importante communauté riche de 243 individus (représentant 14%de la population du village) vivait ici, aux portes de Mulhouse, ville "libre", protestante et interdite la nuit aux luthériens, catholiques et juifs. A Rixheim dormaient et vivaient alors nombre de colporteurs juifs, commerçants en grains, étoffes, bestiaux etc..
Une synagogue datant de 1763, un mikveh (bain rituel - (dont ne subsiste plus qu’une "rue du bain"), 3 boucheries cachères (dont une sise dans la Judegässerle" remplacée par la rue des Bergers) permettaient à chacun de respecter la Loi tout en vivant en harmonie avec ses voisins chrétiens.
En 1833, on compte 372 personnes israélites à Rixheim; elles aussi participent bientôt à l’exode rural, s’installent dans les grandes villes et essaiment vers Mulhouse, le Bas-Rhin, Paris, l’Allemagne, la Suisse, parfois l’Amérique. Les conflits de 1870, puis de 14-18 marquent progressivement la dispersion de cette communauté active.
Si 54 familles juives (sur une population de 680 ménages) vivent encore en 1863 à Rixheim où elles obtiennent la participation financière de la municipalité pour la construction du mur d’enceinte du cimetière, moins de cinq y subsistent à la veille de la dernière guerre mondiale. Tandis que la synagogue est démolie en 1931, le cimetière juif, riche de 324 tombes en 1941 se laisse peu à peu envahir par les ronces.
Depuis cinquante ans, des efforts faits par la Municipalité Rixheimoise, le Consistoire Israélite et quelques particuliers ont permis que se dévoilent à nouveau ces tombes anciennes; les sépultures de Mordechaï Samuel (1800), Gretel Grumbach (1805), Fanny Hass (1830), Yakov Abraham Levy (1870) pour ne citer qu’elles, côtoient celles du Rav Moïse Monius (descendant du Maharal de Prague), des ascendants du Capitaine Dreyfus et de nombres d’autres Ach, Bernheim, Bloch, Lévy encore aux inscriptions érodées, illisibles et dont les descendants exilés ou disparus lors de la Shoah ne peuvent plus entretenir les tombes.
En souvenir de ce passé, de cette communauté, dont les derniers vestiges nous sont précieux, nous vous invitons à commémorer le bicentenaire de cet ancien et attachant cimetière le dimanche 2 avril 2000 à 16 heures
La communauté juive de Rixheim, à l'instar des grands bourgs haut-rhinois ou de certains villages typiques comme Hegenheim , Uffholtz etc., groupait déjà au début du 18ème siècle une population assez dense, formée surtout de commerçants. La majorité de ses adeptes, installée depuis plusieurs décennies, s'adonnait au négoce des grains, graines, semences, farine, étoffes ainsi qu'au maquignonnage (bovins, caprins, ovins).
Située à la frontière de la ville libre de Mulhouse, notre cité offrait à tous ces commerçants un attrait très particulier quant aux occasions qui se présentaient de réaliser de fructueuses transactions commerciales. Les agriculteurs rixheimois, très nombreux à l'époque, n'avaient pratiquement aucune autre possibilité, en cas d'achat ou de vente de bovidé, que de s'adresser à un maquignon israélite, la communauté juive détenant le monopole de ce négoce.
Fidèles croyants, appliquant à la règle et d'une façon orthodoxe la loi mosaïque de la Torah et du Pentateuque qui la contient, les juifs de l'époque se rendaient avec assiduité à la synagogue
Ce sanctuaire, érigé en 1763 et qui fut démoli en 1931, se trouvait dans l'arrière-cour du bâtiment sis 10, rue de Eglise (ancienne propriété de M. Léon Gissinger). L'officiant de la communauté (Ministerant au Varsänger) y célébrait l'office religieux en hébreu et endoctrinait les fidèles selon la Mishna et la Guemara, codification des traditions orales du Talmud et son commentaire.
Nous trouvons dans les registres d'état-civil datant de l'ère révolutionnaire, l'inscription de divers événements (naissances, mariages, décès) ayant trait à la vie des habitants de religion israélite, De nombreux actes sont signés en caractères hébraïques par les déclarants et leur témoin.
A remarquer qu'après la guerre franco-prussienne de 1870, des cours de Français étaient donnés régulièrement aux jeunes coreligionnaires qui le désiraient. Cette faveur constituait un atout appréciable pour un commerçant, étant donné l'interdit que les autorités allemandes avaient jeté à l'époque, sur l'enseignement de la langue française à l'école primaire.
La loi judaïque enjoignait à tout juif pratiquant, d'observer scrupuleusement le repos sacré du Shabath, en respectant strictement les traditions établies d'après leur Dieu. Ce repos commençait au soir de la Parascève, veille du septième jour de la semaine (samedi = jour du Shabath) et entraînait des contraintes assez rigoureuses pour lez croyants : interdiction formelle d'allumer un feu (cuisinière, four etc.) de puiser de l'eau, d'effectuer tous ces petits travaux journaliers auxquels doit se livrer normalement une ménagère,
Ces obligations étaient une occasion inespérée, mais tellement attendue par tous les gosses du quartier, qui profitaient de cette aubaine et accomplissaient tous ces menus travaux contre quelques pièces de monnaie bien sonnantes. Nos octogénaires doivent encore se rappeler avec nostalgie ce bon vieux temps, où pour quelques Pfennigs ou un Groschen, certains d'entre eux allaient préparer l'âtre, allumer le feu de la cuisinière, balayer la cour, puiser de l'eau à la fontaine publique, pour un couple israélite. Ce "droit" était transmis tacitement de frère en frère, d'ami en ami, et gare à l'intrus qui désirait occasionnellement "rendre service".
La communauté israélite disposait également d'un lieu où tous les coreligionnaires pouvaient prendre un bain selon des traditions purificatrices bien établies, Cette petite piscine privée, gérée par un dénommé Salomon Frank, se trouvait dans le sous-sol de l'actuelle maison située au No 14 de la rue du Tilleul (cour commune en face de la rue du Bain). Le bassin servant aux ablutions était d'ailleurs encore visible il y a une trentaine d'années.
Il va de soi que les nombreux israélites de l'époque avaient des boucheries à leur disposition qui leur servaient de la viande "cawcher" ou "Kascher", La première se trouvait dans le "Judegàssele", sur l'emplacement du parking de la rue des Bergers, derrière la Mairie, et était propriété d'un certain Kuppel. Le plus grand de ces commerces était tenu par Salomon (Sami) Ach, dont l'étal se trouvait dans l'actuel garage de la propriété Soudrelle, 24 Grand' rue. Une troisième boucherie se trouvait dans le"Käfergasse", à la place de l'actuelle remise sise 4, rue de la Paix (ancienne propriété de M. Léon Moeglin) et était.exploitée par Léopold (Leib) Meyer. Ce dernier transféra son commerce en 1899 dans une des maisons (actuellement démolies) situées dans l'arrière-cour de la propriété Fritsch-Basler, rue Zuber.
Un des plus grands propriétaires terriens, originaire d'Altkirch, s'appelait ait Jacques Lévy (épouse Zivi) et habitait la maison de maître située 78 Grand' rue (actuellement propriété de Mme Vve Saltzmann). Presque tout le vignoble, qui à l'époque était uniquement composé de cépage noble, lui appartenait. Lors des vendanges qui duraient environ six semaines, il employait une soixantaine de personnes, Le raisin récolté était ensuite acheminé directement vers Pfastatt pour y faire du vin champagnisé. Son décès survenu en 1916, ainsi que la plantation forcée de cépages hybrides mirent fin à ce commerce florissant.
Parmi les noms israélites figurant sur nos registres d'état-civil allant de 1810 à 1890, nous trouvons entre autres ceux de : ACH, BERNHEIM, BIGAR, BLATT, BLOCH, BLUM, BRUNSCHWIG, CAEN, DREYFUS, EBSTEIN,ELIAS, FRANK, GEISSMANN, GIMPEL, GINSBURGER, GOLDSCHMITT, GUGENHEIM, HAAS, HEMMERDINGER, HERSCHER, HIRSCH, JACOB, KAHN, LANG, LAZARE, LEVY, LIEBMANN, LOERACH, MANNHEIMER, MARX, MEYER, NETTER, NORDMANN, PARAF, PICARD, SCHIFFER, SCHMOLL, SCHRAMECK, SCHWOB, ULLMANN, WALLACH, WEIL, WILLARD, WURMSER.
La communauté israélite qui avait déjà subi l'amorce d'un premier déclin après les évènements de 1870, fut réellement touchée à la fin de la guerre de 1914-1918. Les petits commerçants âgés, ne trouvant pratiquement plus de débouchés, furent obligés de fermer leur négoce qui n'était plus adapté àla vie moderne. Les jeunes émigrèrent vers des cieux plus cléments et s'établirent à Mulhouse ou dans d'autres métropoles industrielles françaises et même étrangères (Suisse, Etats-Unis d'Amérique etc.). En 1939, à la veille de la guerre, il n'y avait plus que trois personnes de religion israélite qui demeuraient encore dans notre commune.
Aujourd'hui, il ne reste plus de tout ce passé, qu'un cimetière qui se trouve depuis 1798, au coin desrues Bellevue-Riedisheim. Le passant y pourra découvrir de vieilles pierres tombales couvertes de caractères hébraïques, certaines envahies par les ronces, oubliées par le monde moderne, délaissées bien involontairement par des descendants tragiquement disparu dans la Grande Tourmente, mais restant malgré tout, les témoins muets et impuissants d'une époque mouvementée, riche en évènements marquants.
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