Etre juif à Sierentz au 19ème siècle (suite et fin)

Foires

En 1837, le conseil municipal demande l'autorisation, qui lui sera accordée deux ans plus tard, de tenir à nouveau les deux foires secondaires, l'une vers le temps de la fenaison et l'autre à l'entrée de l'hiver, qui existaient d'ailleurs de mémoire d'homme jusqu'en 1825, en plus des deux foires traditionnelles de la St-Joseph (19 mars) et de la St-Mathieu (21 septembre).

En même temps est sollicitée la léqalisation de l'ancien usage, qui veut que, si l'une de ces foires tombe un vendredi ou un samedi, elle soit reportée au lundi suivant et ceci parce que "les juifs, tant habitants du lieu que forains, forment ensemble une population mercantile et leur loi religieuse leur défend tout travail manuel et ne leur permet pas de fréquenter les foires aux jours fériés".

Il faut préciser que les marchés de Sierentz sont considérés comme ceux, où "il se traite le plus d'affaires non seulement de l'arrondissement, mais même du département". Les acheteurs y viennent de loin, même de l'étranger, notamment du pays de Bade. C'est avant tout la vente de porcs de toute qualité et de tout âge, qui en fait la notoriété.

Vue de Sierentz prise depuis la colline du lieu-dit Hasenimbis.
Extrait de Sierentz-Landser, un canton par ses cartes postales
(1898-1948)
; Claude et Paul-Bernard Munch

Emigration et déclin

Tout au long du 19e siècle, l'apport alsacien dans le gonflement des commu nautés israélites de l'intérieur est permanent.
Mais l'émigration juive déborde largement les frontières nationales. Les Etats-Unis, la Suisse mais aussi l'Amérique du Sud en sont les destinations.

Ce courant se renforcera après l'annexion, par le désir de rester français, mais aussi pour des raisons économiques après le changement de frontière douanière.
Un certain nombre de jeunes juifs, qui pouvaient craindre les brimades des Feldwebel de l'armée prusienne, décrite comme un bagne, quittent l'Alsace pour se soustraire au service militaire.

Vers 1880, l'apparition dans les villages du système des caisses mutuelles de dépôts et de prêts inventé par le Rhénan RAIFFEISEN permet d'écarter les intermédiaires traditionnels. Dans sa thèse, Alfred WAHL (Confession et comportement dans les campagnes d'Alsace et de Bade, 1871-1932, Metz, 1980) estime que le développement du crédit mutuel est au premier chef responsable de l'exode massif et brutal des Juifs des villages. A son apogée en 1860 avec 248 membres, la communauté juive de Sierentz se réduit de moitié en l'espace de trois décennies, pour atteindre le nombre de 90 à l'aube du 20e siècle.

En 1877, on dénombre encore deux naissances d'enfants juifs à Sierentz.
En 1873, la communauté célébre deux mariages, un seul en 1881, tout comme en 1898.

Quelques départs

En 1861, le revendeur Lehmann ULMANN, âgé de 19 ans, part s'établir à New-York.

Le 12 Août 1870, Joseph LANG, fils de Raphaël, renonce aux droits de domicile légaux et politiques en France pour aller s'installer à Bubendorff (canton de Bâle-Campagne).

Xavier DREYFUSS part à Bâle avec toute sa famille en1880.

On retrouve les traces de plusieurs juifs de Sierentz, nés au siècle dernier, à Strasbourg :
Les soeurs DREYFUSS, filles de Nathan et Judith née Weil, Florine, née le 2 novembre 1864, et Caroline, née le 24 février 1869 décèdent dans cette ville, la première en 1958 et la seconde en 1962. Théodore DREYFUSS, le fils d'Isaac et de Thorade née Ginsburger s'y éteint également en 1963 à l'âge de 87 ans, de même qu 'Anne SCHRAMECK, née le 9 mars 1870, en 1956 : elle était la fille de Joseph et Rebecca, née ULLMANN.

Courbes démographiques concernant l'évolution de la population juive de trois villages du sud de l'Alsace au cours du 19e siècle.
Autre pôle d'attraction : Belfort où reposent plusieurs SCHRAMECK :
Martin, né le 9 août 1875, mort en 1948, sa soeur Sara, née le 25 octobre 1873, et décédée en 1961, ainsi que Charlotte, née le 21 mars 1878, en 1969. Ils étaient les enfants de Léopold et Mélanie, née MEYER.

L'exode rural des Juifs vers les villes est toutefois quelque peu freinée à Sierentz par rapport à d'autres villages, (voir croquis) et, bien que réduite à une centaine de membres, la communauté est encore assez dynamique en 1901, pour ériger une nouvelle synagogue.

Il faut dire que l'émigration a touché essentiellement les jeunes, les anciens trouvant largement sur place les moyens de continuer leurs commerces de vente de bétail, de blé..., grâce à l'importance des différentes foires du lieu et à la position privilégiée dans le domaine commercial de Sierentz.

En ce qui concerne le prêt d'argent, seul Raphaël LEHMANN a concurrencé dans ce domaine ses coreligionnaires durmenachois et bâlois. Aussi, la création précoce, en 1883, d'une caisse mutuelle de prêt n'a pas entraîné un départ massif.

Destins tragiques

Un certain nombre de juifs, natifs de Sierentz en cette deuxième moitié du 19e siècle, connaîtront un sort tragique lors des persécussions nazies au cours de la deuxième guerre mondiale.

Ce sont les familles REIN et RHEIN qui paieront le tribut le plus lourd. Les deux fils de Marc REIN et de Fanny née GUGGENHEIM, Heinrich, né le 21 septembre 1880 et Salomon, né le 18 août 1884 succomberont en 1944 à Auchwitz, le premier le 5 août, le second le 19 septembre.

Autres victimes du génocide: Bertha et Rosalia RHEIN, nées respectivement le 9 août 1878 et le 24 avril 1883. Les deux filles de Heinrich RHEIN et de Hanna, née BIGAR décèderont le 12 mars 1944, également au camp d'Auchwitz de sinistre mémoire.

A côté de l'avis de décès d'Isidore BOLLACK, né le 17 octobre 1870, marié avec Alice Ragonneau à Lyon en 1814, le maire Ouzelet a marqué "Mort pour la France". Pour lui aussi "la solution finale" signifiera une fin tragique, le 7 septembre 1944, en terre polonaise.

Le mot de la fin

A Sierentz, qui, au siècle dernier comptait donc une importante et très dynamique communauté juive, il ne reste que peu de traces de cette présence.
Le nombre d'israélites, qui, au début du 20e siècle, avoisinait encore la centaine, peut à présent se compter sur les doigts d'une main. Aucune rue, par exemple : une rue de la synagogue, n'en évoque le souvenir. Seule la "Place Dreyfuss" rappelle encore un patronyme, qui, au siècle dernier, comptait tant de membres à Sierentz. C'est en 1934 que Louis DREYFUSS, domicilié à Paris, fit don de 9,30 ares, au n° 13 de la rue d'Alsace à la Commune, sous réserve que ce terrain soit destiné exclusivement à un but d'intérêt public et qu'il porte la dénomination de "Square Louis Dreyfuss".

Je laisserai le mot de la fin à Claude Vigée : "Les juifs n'ont jamais eu d'histoire provinciale; même à Schirhoffen ou à Bischwiller (je me permets d'ajouter à Sierentz), ils vivent l'histoire d'Israël, c'est-à-dire celle de la souffrance et de la gueoula (libération) humaines. Comme le fameux schnorrer Mauschele Zellwiller, à qui le chef de gare demandait la destination de son billet de chemin de fer : "Mer hàn tse düen ewerall", ("nous avons à faire partout"), simultanément, dans l'espace et le temps. D'où nos ennuis, évidemment ... mais aussi la vérité, l'impact de notre présence".

Yves BISCH.        


Sources :

ADHR : 1T 1559
Archives communales de Sierentz
Archives privées.


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