Etre juif à Sierentz au 19ème siècle (suite)

Coexistence pacifique

auqrtier juif de SierentwC'est autour de la synagogue qui date de 1757 que s'articule toute la vie des Juifs.
Petit à petit, cependant, la communauté essaime par les ruelles environnantes vers le Vieh-Weeg et le coeur du quartier, qu'est l'îlot délimité par la Grand-Route, les "Haasen Gass, Bach Gass et Hintere Matten Weeg", se déplacera quelques décennies plus tard vers l'actuelle place Dreyfus (Judeplatz !).

Malgré cette forte concentration et comme le montre le plan, on ne peut parler de "ghetto", puisque toute une population non-juive habite ce quartier.

On trouve certes dans certains courriers, notamment de jeunes instituteurs juifs, la trace d'un antisémitisme larvé de la part des habitants de Sierentz envers la communauté israélite, mais il est prouvé que les rapports juifs-chrétiens sont moins tendus en ce 19e siècle que dans la plupart des communes voisines.

Ne serait-ce que l'invitation lancée par le Conseil Municipal aux enfants juifs de fréquenter l'école communale, proposition impensable dans d'autres villages.

Dans les faits, on chercherait en vain sur les listes des élèves fréquentant l'école publique un garçon juif, mais force est de constater que plusieurs fillettes, dès qu'elles savent lire l'hébreu, se rendent à l'école des Soeurs, au grand dam des instituteurs israélites. Ainsi en 1867 ; Henriette, Fanny et Sara REIN, Sara BICKARD, Julie et Eugénie ULMANN, Sara, Elise et Célestine ADLER et Julie DREYFUS.

D'autre part, aucune trace, dans les archives, d'incidents donnant lieu à condamnation comme en 1832 à Bergheim et Wintzenheim ou de troubles violents en 1848 comme à Hégenheim, Hagenthal-le-Bas et surtout à Durmenach, cette petite "Jérusalem du Sundgau", où plusieurs milliers de paysans prirent d'assaut les maisons juives.

Autre signe symptomatique, dès 1834 la communauté israélite est représentée au conseil municipal. C'est Isaac LANG, l'important marchand de vin, qui est régulièrement réélu, lors des élections de 1840, 46, 48, 52, 55, 60, 65 et 70.
Il faut attendre cependant 1886 pour que sa relève soit assurée par Martin ULMANN.

Lors de la création en 1854 du comité de bienfaisance, le rabbin Hirsch, qui en est membre, reçoit chaque année le quart de la somme destinée aux pauvres, à charge de la répartir aux indigents juifs (une douzaine de familles).

En 1847, dans une demande de translation du bureau de l'enregistrement de Landser à Sierentz, le maire évoque de nombreux motifs, comme les voies de communication, la station de chemin de fer, la brigade de gendarmerie, la direction des postes, 4 foires annuelles, 1 marché hebdomadaire... mais également "une population israélite laborieuse et dynamique, où se traitent beaucoup d'affaires".

Rabbins et chanteurs

Deux rabbins marqueront de leur empreinte leur ministère à Sierentz : Josué WAHL, né en 1802 et mort à Sierentz en 1847. Veuf de Thérèse AARON, il s'était remarié en 1832 avec Lisette KAHN.

Son successeur Marcel HIRSCH de Dieuze, né en 1798 est nommé'en 1849 par le Consistoire Central des Israélites de Colmar. Son épouse Henriette, née ABRAM, de Marsal (Meurthe) décède en 1871.

Ils étaient aidés dans leur tâche par un "chanteur", tel Abraham LOEWENTHAL né en 1782, en fonction jusqu'à son décès en 1832 ou Emmanuel DREYFUSS, né en 1806, qui officia de 1845 jusqu'au milieu des années 60.

Sierentz est resté siège de rabbinat jusqu'en 1909, quand il fut regroupé avec ceux de Hégenheim et Hagenthal-le-Bas pour former un nouveau secteur, celui de St-Louis. Sierentz, où une nouvelle synagogue venait d'être construite, proposa d'ailleurs sa candidature, étant donné sa position plus centrale, mais c'est finalement au rabbinat de Dornach qu'elle fut rattachée, au grand dam des intéressés.

On peut voir sur cette carte une vue de l'église avec son ancien fronton, une partie de la scierie Ratti avant son agrandissement, le presbytère (1898), le commerce de chaussures et restaurant au Cheval Blanc (plus tard Ritzmann) et la synagogue nouvellement inaugurée (1901).
Extrait de Sierentz-Landser, un canton par ses cartes postales
(1898-1948)
; Claude et Paul-Bernard Munch

Quelques faits divers

29 septembre 1822 : il a été pêché, flottant dans les eaux du Rhin, un cadavre qui a été reconnu par plusieurs bourgeois et par la communauté juive de Müllheim comme étant celui du marchand de chevaux WOLFF de Sierentz, très connu en ce lieu. Il a été transporté de cet endroit à Sulzburg pour y être inhumé.

30 mars 1839 : un jugement du tribunal de Mulhouse stipule que le nom ULMANN ne s'orthographiera dorénavant plus qu'avec 1 seul "L" suite à la re­quête de Geoffroi et Sarah ULMANN, lors de la naissance de leur fils Jacques.

14 juillet 1855 : Benoît WAHL, fils de feu Josué WAHL, rabbin et Thérèse ARON, décède à l'âge de 18 ans à Colmar en son domicile, situé faubourg de Brisach, alors qu'il était étudiant à l'Institut des jeunes israélites, d'une "maladie inconnue à Sierentz".

11 septembre 1856 : les frères Salomon et Nathan REIN obtiennent l'autorisa­tion de convertir le moulin, qu'ils possèdent à Helfranzkirch, en fabrique de toile de coton.

Les enquêtes de la Société d'Assurances "La Paternelle" établissent avec certi­tude que les débuts d'incendie, d'ailleurs rapidement circonscrits, dans des maisons, appartenant au sieur Simon RHEIN, le 4 février 1859, dans la Weschgasse et le 30 juillet 1860, dans la Taubengasse, ne sont pas d'origine criminelle. Les dommages respectifs s'élèvent à 150 et 60 francs.

1868 : Samuel HIRSCH, fils du rabbin de Sierentz, entré à l'Ecole Normale d'Instituteur de Colmar en 1859, est nommé directeur de l'école israélite de Volo en Turquie.

Décès et cimetière

La mort, chez les Juifs, ne représente pas un arrêt mais, au contraire une continuation.
Quelques causes de décès, en 1853 :
Léon ULMANN : Phtysie pulmonaire Pauline DREYFUS : Fièvre typhoïde
Joséphine GEISMANN : Phtysie pulmonaire Sara BLUM : Fièvre typhoïde
Jacques ULMANN : Bronchite chronique Thomas ULMO : Cholérine
Jacques DREYFUS : Bronchite chronique Léa WAHL : Cholérine
Christine LEVY : Bronchite chronique Martin DREYFUSS : Convulsions
Marie LEVY : Apoplexie Elisabeth SCHWOB : Pneumonie
Jacques RHEIN : Apoplexie Rosalie BLOCH : Pneumonie
Mathieu DREYFUS : Diarrhée Sophie WEIL : Cancer de l'estomac
Aaron BOLLACK : Fièvre typhoïde  

 

Nachtstaedle ou asile de nuit

Ce refuge, si tué à l'angle de la "Welsche Gass" et du "Hintere Matten Weeg" (actuellement place Dreyfuss) accueille les nombreux coreligionnaires, marchands ambulants et colporteurs, qui y passent une ou plusieurs nuits, lors de leurs périples dans la région. On y affiche complet en période de foire.

D'ailleurs dans cet asile, on naît, on se marie et on meurt.

Nous y relevons ainsi les naissances de : LEVY Henriette, en 1852, ses parents originaires d'OBRA TZHEIM étant sur le chemin de retour d'un long périple, HIRSCH Julie, en 1854, dont le père, marchand de cirage de PF ALSBOURG vient proposer sa marchandise lors des foires locales, JACOB Jacques, en 1837, dont les parents Abraham (allemand) et Rosine BLUEM (suisse) voyagent en France.

Au chapitre des mariages, signalons celui de Raphaël LEHMANN de WAPERTRUDING en Bavière avec Judith ROMAIN de PF ALSBOURG.

Parmi les décès : en 1842, Samuel MEYER, le marchand de livres hébreux, en 1845, Isaac VUSON, un juif ambulant d'ETTENDORF (Bas-Rhin, en 1846, Abraham LAZARE, marchand ambulant et 1 en 1853, Ahron HIRSCH, 50 ans, de HOLSTEIN-sur-ELBE près de HAMBOURG, suite à un anévrisme du coeur.

Les soldats

Avec la Grande Armée

Comme l'espérait Napoléon 1er, l'armée hâte l'assimilation, favorise l'attachement progressif à la France et fait des juifs d'Alsace les tenants d'un patriotisme ombrageux et jaloux, jusqu'au chauvinisme dans leur culte exclusif de la France, qui avait libéré la "race maudite" jusque-là mise au ban de l'humanité.

Comme nombre de leurs coreligionnaires, plusieurs juifs de Sierentz paieront dans leur chair leur tribut à l'épopée napoléonienne:
Raphaël ULMANN, né le 10 novembre 1790, déclare devant le maire le 16 janvier 1850, qu'il appartenait à la classe 1810 et qu'en 1811 et 1812, il a fait les campagnes en Prusse avec le 152ème Régiment de ligne (2 Bataillons, 4 compagnies). Fait prisonnier près de Wilhelmsburg, il entra au "Lazarett" de Berlin, après avoir reçu deux coups de lance dans le bas-ventre de la part des cosaques. Guéri, il fut transféré à Kolberg, puis, démobilisé, il retourne à Sierentz en 1815.
Le 22 m.ars 1813, Wolff ULMO décède à l'hôpital de sa compagnie. La même année, Louis MAYER succombe à ses blessures à l'hôpital militaire ambulant des chasseurs à cheval du 10ème régiment de la Grande Armée.

Conscription et service militaire

Facteur d'intégration, mais aussi d'acculturation temporelle et spirituelle, le service militaire de sept ans sort les jeunes recrues de l'isolement culturel, où l'usage exclusif du judéo-alsacien confinait leurs parents. L'armée favorise la promotion sociale de certains juifs de milieu modeste, que le tirage au sort a désigné et dont la famille n'a pas les moyens de permettre le remplacement.

Par exemple, le 6 mai 1854 à 11 H du matin, les jeunes juifs de la classe 53, Joseph ULLMANN, Samuel, Lazare et Léopold DREYFUS se rendent au conseil . de révision du canton de Landser à Habsheim.

Notifications d'ordre de route :

1830 : Isaac LANG, le marchand de fer, est officier dans la Garde Nationale, à l'âge de 24 ans.
1834 : Romain WAHL est musicien au 7ème régiment d'infanterie de ligne à Calais
1851 : Samuel DREYFUS remplace son frère Léopold au 39ème régiment d'infanterie de ligne
1858 : Moïse DREYFUS est affecté au 18ème
1859 : Isaac ULMO au 79ème
1865 : Henri DREYFUS fait partie de la 6ème section des infirmiers militaires.

En 1870, Henri DREYFUS est promu caporal, tandis qu'Abraham REIN et Joseph GINTZBURGER obtiennent le grade de sergent.


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