GENÈSE
Le Consistoire n'étant pas en mesure de se mesurer au sujet, Henry me demande si je peux aider. J'accepte et contacte cette dame. Elle me fait part d'une intention d'organiser, dans les locaux de l'ancienne synagogue, une exposition dont le sujet serait "les souffrances des membres de la communauté israélite de Forbach durant la deuxième guerre mondiale". Nous convenons que je lui enverrai un dossier sur ma famille comme exemple de ce que je peux proposer. Si le format lui convient, je pourrai tenter de rechercher d'autres histoires du même genre.
J'informe Nicole Muller-Sussel, mon amie d'enfance. Elle réside à Strasbourg. Nicole me communique les données de Francis Bloch, un autre forbachois d'origine, aujourd'hui en région parisienne. Les deux me font, par la suite, parvenir celles de quelques autres relations communes de notre génération. J'ajoute à mon carnet les détails de ceux avec lesquels je suis en relation en Israël et en France. Je les contacte. Au fil des mois, j'en suis arrivé à dépasser la soixantaine de correspondants. De septembre 2022 à octobre 2024, tous me confient ce qu'ils savent de l'histoire tourmentée de leurs familles, l'agrémentant de documents.
Le recueil qui en résulte n'est pas oeuvre d'historien mais plutôt une quête. Je n'ai pas consulté les archives ni fréquenté les bibliothèques. La plus grande partie du matériel recueilli appartient à ceux qui me l'ont confié : les descendants et, parmi eux, quelques rares témoins livrant leurs souvenirs (André Jacobs, Violette Kartaux, Simone Cukier, Marion Gerstenhaber, Monique Wolf, Livie Brunwasser, Léonard Ebstein). J'ai rajouté les éléments que j'ai pu rassembler sur des sites généalogiques ou ayant trait à la Shoah (Klarsfeld, Arolsen, MyHeritage par exemple), sur des articles de presse trouvés en "googlant" les noms,
Découvrir le parcours de ces gens, pour la plupart côtoyés dans mon enfance et aujourd'hui disparus, m'a saisi de stupeur et d'admiration. Le mot souffrance les concernant est un sous-entendu. Tous ont en commun d'avoir été déracinés, souvent à plusieurs reprises. Tous ont été victimes de l'antisémitisme, souvent dans plusieurs pays. Tous ont été obligés de quitter Forbach, ou des cités avoisinantes, en septembre 1939, laissant leurs biens derrière eux. Beaucoup ont vécu cinq années de terreur à travailler dans les champs pour l'agriculteur qui acceptait de les cacher, comme employé ou bien ouvrier sous une fausse identité, à survivre dans des conditions précaires, à changer de localité, par peur d'une dénonciation ou d'une rafle. Certains étaient prisonniers en Allemagne pour toute la durée de la guerre ou se sont évadés. D'autres se sont engagés dans la résistance, parfois au prix de leur vie. Nombreux sont ceux qui, adultes ou enfants, raflés, envoyés à Drancy puis déportés à Auschwitz ou Bergen-Belsen, ne sont pas revenus ou ont été marqués à vie par ce qu'ils ont vécu.
Après la libération, la plupart des survivants qui y sont nés sont revenus à Forbach. Les détours de leurs vies y ont conduit les autres. Tous ont dû se battre pour récupérer leurs biens, leurs appartements vidés de leur contenu, occupés, leurs magasins dirigés par ceux qui se les sont appropriés pensant le juif disparu à jamais.
Tous ont repris le cours de la vie. En silence. Ils ne parlaient pas, ne racontaient pas.
Pour la plupart, mon souvenir d'eux se résume au fait de les avoir côtoyés durant les offices à la synagogue.
L'incapacité de communiquer l'horreur a empêché les membres de la communauté de se rapprocher les uns des autres. Chacun transportant son paquet, ils ont vécu de leur travail. Dignes, ils ont élevé leurs enfants puis se sont éteints et reposent pour l'éternité au cimetière de Forbach ou bien là ou leur vie les a guidés.
Les cinquante-deux dossiers que j'ai pu établir, fondés sur les souvenirs, documents et photos fournis par les descendants de première et deuxième génération, démontrent combien nous, les enfants et petits-enfants, savions peu. Ils permettent de reconstituer en partie leur terrible parcours.
J'ai ajouté des parcelles de savoir concernant 17 membres de la communauté découverts grâce à deux listes de noms.
Nathalie Klauber m'a fait parvenir une quarantaine de photos rassemblant les membres de la communauté. Elles présentent un tableau saisissant (et souriant ) de l'après-guerre, peu avant le déclin définitif.
Un pont s'est recréé sur lequel peuvent maintenant se rencontrer ceux qui portent en eux le même regret de n'avoir pas posé de questions quand cela était possible. Ce pont est aussi un lieu de passage qui lie nos parents, arrimés au fil de la vie, à nos descendants. Ainsi va probablement la vie.
Afin de placer l'histoire de la communauté dans son contexte, j'ai choisi de recopier, en les plaçant à la fin, deux articles qui lui sont consacrés. Le premier dans Wikipédia et le second, sur le site Numilog.com, sous forme d'un livret publié par Raymond Engelbreit, professeur au lycée Robert Schuman de Behren.
J'ai ajouté une brève présentation en tête de chaque dossier, y compris pour les cinq que je n'ai pas rédigés moi-même. J'ai classé le tout selon l'ordre alphabétique du nom de famille.
La mairie de Forbach a interrompu le contact depuis une bonne année et je n'ai, à ce jour, aucune idée de l'avenir qui sera réservé à cet ouvrage. Je le laisse donc voler de ses propres ailes.
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