FRAUENBERG

Plan du dossier :

LA COMMUNAUTE JUIVE DE FRAUENBERG
par Claire DECOMPS
Conservateur en chef du patrimoine Region Grand Est / Service inventaire et patrimoines
Extrait de LIAISONS n°35 - septembre 2017


Bref rappel historique

Le premier juif autorisé à résider à Frauenberg est Abraham Levy, originaire de Marmoutier en Alsace. Il est, semble-t-il, invité à se fixer dans la localité, vers 1689, par Jean-Daniel Merlin de Dalheim, seigneur de Frauenberg, contre le paiement d'une taxe
ou Schutzgeld de six florins par an (1). En 1709 à la suite d'une agression perpétrée par une bande de détrousseurs juifs, originaire du Souabe, tous les juifs de la vallée de la Blies sont accusés de complicité et arrêtés.
Après sa libération, Abraham Levy préfère quitter la région mais il  est rapidement remplacé : trois nouvelles familles en 1720, neuf avant 1753, onze en 1756, treize en 1768, vingt-trois en 1770 (2). Toutes sont originaires d'Alsace, du Souabe ou du Palatinat, région alors touchée par une forte vague d'émigration.

Les juifs de Frauenberg sont menacés une première fois d'expulsion en 1763 puis à nouveau entre 1779 et 1782 (3). En effet en 1766, le baillage d'Allemagne est devenu français comme toutes les terres dépendant du duché de Lorraine. Alors qu'en général  la souveraineté française se traduisait par un renforcement du droit des juifs à résidence, ceux de Frauenberg connaissent leurs premiers ennuis sérieux quand, en 1779, le procureur de Sarreguemines, alerté par des habitants de Bliesbruck, s'avise que les juifs  de Frauenberg et Bliesbruck ne figurent pas dans l'édit de 1753 fixant le nombre de juifs autorises à résider dans le duché de Lorraine (180 familles), édit confirmé par l'annexion française, et décide donc de les faire expulser.
Au départ les juifs sont défendus par leur seigneur, M. d'Aubery, inquiet pour ses revenus (le Schutzgeld a été multiplié par huit depuis 1691, atteignant alors 48 florins par famille). L'intendant, de La Porte, et le secrétaire d'Etat, le prince de Montbart, rendent
un arrêté favorable aux juifs mais jugent le paiement de la taxe seigneuriale incompatible avec la souveraineté royale. C'est au tour de d'Aubery de protester. Il finit par obtenir partiellement satisfaction en 1782 (vingt-quatre livres par an).

Apres l'Emancipation, la communauté juive de Frauenberg connaît, comme toutes les communautés rurales de Moselle, son apogée dans la première moitié du 19ème siècle avant de décroître des la seconde  (4) : 150 juifs en 1808, 181 (sur 587 habitants) en 1831,
201 en 1840, 137 en 1866, 108 en 1880, 67 en 1890 ... et 4 familles en 1939.

La situation en  1815, d'après le cadastre napoléonien (5)

Fig.1/ Les juifs de Frauenberg en 1815 d'après le cadastre napoléonien (Arch. dép., Moselle, 35 P 235) @ SRI, Aloïs Bertrand-Pierron.

Le plan, les états de section et les matrices du cadastre nous fournissent un état très précis de la situation de la communauté à cette  date. Les maisons juives (6) sont implantées au pied du château, de chaque côté de la route  de Bliesbruck qui longe la Blies, sur des terrains inondables, formant un nouveau quartier à l'extérieur du village (Fig. 1). En 1815, un tiers des maisons appartiennent à des juifs (27 sur 73). Toutes possèdent un jardin, un tiers (7) ont aussi une écurie, ce qui s'explique aisément par la forte proportion de marchands de chevaux ou de bestiaux.

Fig. 2/ "Vue de Frauenberg", photographie ancienne montrant les maisons de la rue des juifs (coll. part.) @ SRI, photo Alain George.
Elles occupent des parcelles de taille diverse mais, à en juger par les photos anciennes (Fig. 2), il s'agit de maisons modestes, le plus souvent dépourvues d'étage, souvent en rez-de-chaussée surélevé. Une seule écurie est très importante (P 23, veuve Guetschel), les
autres sont plus réduites, quelques-unes se trouvant en fond de parcelle. A une exception près (Abraham Levy) qui possède deux logis, tous ces juifs ne semblent être propriétaires que de leur seule maison. La communauté possède également plusieurs parcelles : une
petite synagogue, à l'extrémité de la rue (P 93 et 94), les jardins en face (P 8 à 10) et sur- tout un cimetière (P 97) et un verger (P 95).

Le quartier a été rasé par les bombardements de la dernière guerre à l'exception de deux ou trois maisons. L'ensemble est néanmoins connu par divers documents graphiques et photographiques à commencer par un dessin du peintre messin Auguste Migette (1802-1884) datant de 1869, où les maisons de la  "rue des juifs" apparaissent au pied du château. On remarquera d'ailleurs à gauche, un petit cortège semblant se diriger vers le cimetière (7). Une gravure, non datée, de A. Denis conservée au Musée lorrain de Nancy et diverses photographies anciennes montrent un point de vue identique

La première synagogue

En 1763, lorsque M d'Aubery envisage  d'expulser les juifs du village à cause d'un  litige dans le paiement du Schutzgeld, ces derniers s'excusent de leur retard et le supplient dans une lettre du 2 décembre 1765 de revenir sur l'interdiction qu'il vient de leur faire de se construire une synagogue pour laquelle ils ont déjà engagé des dépenses (8).

En 1782, à l'issue du procès confirmant leur  droit à résidence, ils lui demandent l'autorisation de l'achever. En 1815, ce bâtiment apparaît sur le cadastre napoléonien. Il s'agit d'une petite maison appartenant à la communauté, la dernière de la rue, à la sortie du village, en allant vers le cimetière (P. 94).
Le tableau de 1838 (9) signale simplement  un "temple en réparation".

La seconde synagogue


Coupe et plan de la synagogue en 1869
(Arch. dép., Moselle, 7 AL 131)
@ Archives départementales de la
Moselle / photo Luc Dufrene
Un peu plus tard mais à une date indéterminée, la synagogue est déplacée à l'étage d'une maison avec écurie, appartenant à un  particulier dans la même rue (P. 67-70 du cadastre napoléonien). En 1861, la communauté  décide d'y faire des travaux et sollicite le secours de l'Etat (10)  qui lui accorde 2000 f., puis les ajourne faute de moyens suffisants.
Elle finit par effectuer pour 3446 f. de travaux mais se voit contrainte d'acheter la maison pour éviter un procès avec le propriétaire. Un décret impérial du 22 janvier 1869 accorde au consistoire l'autorisation d'acheter la synagogue (1300 f.) et d'aliéner l'ancienne  pour financer une partie des travaux.

L'acte de vente, signé le 21 janvier 1869 entre la  communauté et les époux Abraham et Rose
Levy, chez le notaire Veil de Sarreguemines, mentionne : "une maison sise à Frauenberg,  avec jardin derrière, aisance et dépendances,  au premier de laquelle se trouve installée la  synagogue du dit lieu, le tout donnant par derrière sur le vieux château et par devant sur la voie publique, entre Samson Cahen et la commune  (11).

Cette synagogue, qui servait initialement aussi d'école, a été détruite pendant la dernière guerre mais un "croquis de la synagogue actuelle" annexé à la demande de secours, puis un plan et une coupe aquarelles datés du 25 février 1869 (12) (Fig. 3), permettent de restituer ses dispositions. Située  dans l'alignement des maisons, en léger retrait de la rue, elle est accessible par le mur pignon à partir d'un escalier desservant aussi une annexe abritant sans doute le bain rituel.
Cette entrée débouche dans un petit vestibule, sous la tribune des femmes. Sur le mur opposé, l'arche sainte est placée perpendiculairement à la rue. L'almemor, probablement en position centrale au départ, a été accolée à l'arche comme il est d'usage à cette date.
On notera dans l'angle sud-est ce qui semble être une petite chaire à prêcher, dispositif également recommandé par le consistoire.

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