SARREBOURG
par Jean-Bernard LANG
page réalisée avec le concours de Pascal FAUSTINI



Synagogue de Sarrebourg

Les juifs y sont interdits jusqu'en 1791 aux termes des privilèges de la ville négociés en 1464 avec le duc de Lorraine, puis avec le roi de France lorsque ce dernier occupe, par le traité de Vincennes en 1661, cette importante étape sur la route de France. La raison principale en est l'hostilité des marchands qui dirigent la municipalité (Kaufmann Saarburg) et qui craignent la concurrence "déloyale" des juifs. Mais ceux-ci sont nombreux à s'installer tout autour, dans les localités voisines: Imling, Gosselming, Langatte. En 1769, une première tentative de deux juifs d'Imling d'acquérir à Sarrebourg un brevet de maître-cordonnier échoue devant l'hostilité de la municipalité. Mais dès l'émancipation, ces villages se vident progressivement de leurs juifs qui viennent habiter en ville. Le premier mariage enregistré à Sarrebourg date du 17 juin 1794 (23 prairial an II) et la première naissance du 4 novembre de la même année (14 brumaire).

Une communauté naît, dont le premier président est Elias Salomon, natif de Hellering-les-Fénétrange. L'hostilité de la population ne désarme pas de suite puisqu'en 1800 encore, la municipalité prétend empêcher les juifs de chômer le samedi et les accuse de ce fait de persévérer dans leurs anciennes superstitions au lieu de "pratiquer les vertus républicaines". Néanmoins on s'organise peu à peu: en 1812, les responsables se rendent propriétaires d'un terrain sur la route de Buhl pour s'en servir comme cimetière. Celui-ci sera agrandi en 1858 par l'achat d'un terrain mitoyen. Afin de le clore, la commission administrative de la communauté, représentée par Léopold Lévy sollicitera une subvention municipale pour le règlement des quatre cinquièmes du devis, le cinquième restant étant à la charge de la communauté d'Imling qui disposera donc d'une surface équivalente pour ses morts.

Des instituteurs apparaissent dès 1798, le premier étant Isaac Salomon alors âgé de vingt-deux ans, ainsi que des chantres et sacrificateurs, comme Rudolph Moyse, originaire de Bavière et signalé en 1806.

La population représente deux cent huit personnes dès 1836 et deux ans plus tard, en 1838, va avoir comme président un jeune banquier originaire de Verdun, Léon Lippmann. Époux d'une Sarrebourgeoise, Lippmann sera le premier juif élu au conseil municipal en 1846. Il avait tenté dès 1842 d'obtenir que la ville prenne en charge le fonctionnement de l'école juive, mais celle-ci avait refusé. Il revient à la charge en 1844 et aidé par le rabbin de Phalsbourg, arrivera alors à ses fins. Cette école cependant sera peu à peu victime de l'enseignement général public. En 1890, son instituteur ayant démissionné, les autorités décident de sa fermeture pure et simple. Devant les protestations, on sursoit à la mesure et c'est l'instituteur de Lixheim qui vient assurer l'intérim. Quant à Léon Lippmann, il deviendra premier adjoint au maire en 1852 C'était un personnage considérable: lorsqu'il maria sa fille, le 12 mai 1857, les quatre témoins furent choisis parmi les notabilités catholiques du pays, propriétaires de verreries, magistrats ou propriétaires terriens.

Un oratoire est installé à une date incertaine, entre 1823 et 1846 au premier étage d'une maison particulière, puis un bâtiment destiné à devenir la synagogue est construit en 1857 rue du Sauvage, sur un terrain acquis dès 1845, sous l'égide de Lippmann et qui était alors un jardin. Son prix d'achat fut à l'époque de 7 800 francs, mais la longueur de l'intervalle (douze ans) s'écoulant entre l'acquisition foncière et la fin des travaux ne peut être expliquée que par des difficultés financières, que la vente des places ne suffisait pas à éponger. Transformé en dépôt de chiffons par l'occupant en 1940, il fut ainsi préservé de la destruction et, aujourd'hui, inscrit à l'Inventaire des monuments historiques, existe toujours. Il est orné de magnifiques vitraux, offerts par un autre banquier, Simon Lièvre, originaire de Blâmont. L'inauguration, en septembre 1857, fut prétexte à de superbes festivités, et devant un parterre réunissant toutes les personnalités locales, l'office fut chanté par le ‘hazan Joseph Kahn, décédé à Thionville en 1912 mais enterré à Sarrebourg.

Le fait économique majeur du milieu du siècle fut l'arrivée de la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg en 1851 et la construction de la gare. Cet événement va entraîner un afflux de familles dans la ville qui deviendra le principal centre commercial de la région vidant les villages de leur population juive. Ainsi en sera-t-il d'Imling, de Schalbach, Gosselming, Langatte, voire même de Lixheim. En 1857, sur soixante chefs de famille, on dénombre un propriétaire, un banquier, deux militaires (au 45e de ligne et au 1er d'infanterie de marine), le reste étant formé des habituels commerçants, dont un fabriquant de verres de montre et un "ventousier", des bouchers et des colporteurs, sans oublier l'instituteur.

Le conflit franco-allemand de 1870-1871 va avoir des conséquences importantes pour Sarrebourg puisque son principal notable, Léon Lippmann, démissionne avec éclat du conseil municipal et annonce son intention de partir définitivement pour Nancy. Quelques familles, à vrai dire peu nombreuses, suivront son exemple. Mais en fait, sous la souveraineté allemande, la communauté juive continue d'accumuler honneurs et prospérité. Le nombre des bouchers augmentera encore après 1879 avec la création d'un second marché aux bestiaux et d'un abattoir. Cette communauté atteindra son pic démographique en 1889 avec trois cent quarante individus, soit plus de 10 % de la population totale, bien qu'un autre mouvement en sens contraire ait commencé à affecter la jeunesse: l'émigration vers l'Amérique.


Intérieur de la synagogue de Sarrebourg

Le premier maire juif Jules Lévy, notaire, accède au siège de plus haut magistrat en 1877. Cet élu se montre particulièrement favorable aux marchands de bestiaux puisqu'il instaure le marché et l'abattoir cités plus haut. Ce marché aux bestiaux ne fonctionnait jamais les jours de fêtes juives, et chacun le savait dans la région. C'était d'ailleurs aussi le cas des nombreux commerces établis en centre ville (banques, magasins de confection, horlogerie-bijouterie, cordonnerie etc) qui ne manquaient pas d'annoncer leur fermeture pour cause religieuse dans de grands placards du journal local, la Saarburger Zeitung. L‘année 1903 voit l'élection du deuxième maire juif, Sylvain Beer. Membre du Souvenir Français, il sera réélu en 1908, mais se heurtera à une violente opposition qui n'hésitera pas à prendre la forme d'une cabale dirigée contre lui, contestera sa réélection et obtiendra son annulation pour vice de forme. Il sera remplacé par un maire allemand, Brandt. Après le retour à la France en 1918, Sylvain Beer décidera de cesser de briguer le poste de maire, se plaignant de la vigueur de la propagande antisémite.

En 1913, un rabbin est également nommé pour la première fois à Sarrebourg, après que le poste de Phalsbourg y fut transféré. Ce fut Isaac Lévy qui mourut en 1949, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Il ne fut malheureusement jamais remplacé et le poste demeura vacant malgré les efforts de certaines personnalités comme maître Kosmann, membre correspondant du consistoire. Cependant entre les deux guerres, la population commence lentement à décroître puisqu'il n'y a plus que deux cent quarante personnes en 1939. Le commerce reste cependant actif, les marchands et les boutiquiers se retrouvant au café de Marie Fiegel, faubourg de France pour d'interminables parties de cartes. La seconde guerre mondiale causera d'irréparables ravages puisque soixante-quinze personnes mourront en déportation (y compris seize enfants)

A la Libération, c'est l'aumônerie militaire américaine qui remet en état la synagogue et y rétablit les offices. Le 29 juin 1947 il y est inauguré une plaque en souvenir des déportés et morts au champ d'honneur, un autre monument aux morts est érigé le 4 octobre 1953 au cimetière, route de Buhl, enfin en 195561956, les vitraux de la synagogue sont remis en place et la façade rafraîchie afin de fêter dignement en 1958 son premier centenaire.

Le premier président après la guerre est Lucien Lévy et Elie Meyer le ministre officiant le plus longtemps en poste (jusqu'en 1956). Il est remplacé par Marc Willar, longtemps aumônier militaire, fait en mai 2000 rabbin honoris causa par le grand rabbin de France Joseph Sitruk. Sylvain Weil est élu à la présidence en 1958. A sa mort, en 1965, il est remplacé par Roger Blum (1965-1972), Albert Kahn (1972-1976), Achille David (1976-1982), Claude Schwab (1982-1990), Hugues Weil, fils de Sylvain Weil (1990-1994), le pharmacien Alain Lévy (1994-1998) et enfin Jean Lion. Il y a actuellement environ une cinquantaine de juifs à Sarrebourg, en majorité des veuves et des retraités.

Une personnalité célèbre du monde politique contemporain, Laurent Fabius, est un descendant d'un commis-marchand de Sarrebourg, Joseph Lion qui adopta ce patronyme en 1808, probable déformation "latinisante" du yiddish Feibès, équivalent profane de l'hébreu Oury. L'homme, né à Hellimer, avait épousé une jeune fille de Hellering-les Fénétrange. C'était un curieux personnage: le 2 juillet 1815, le tsar Alexandre Ier de Russie passait par la ville pour se rendre à Paris, lorsque Joseph Fabius, qui venait d'être père d'un petit garçon, envoya une supplique au souverain pour le prier d'accepter qu'on nomme le nouveau-né du même prénom que lui. Sa Majesté Impériale daigna accéder à cette requête ...

D'après les recherches et les travaux de Pierre Freund, Sarrebourg


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