Comment Laure Weil a-t-elle eu l'idée d'une initiative toute nouvelle
pour l'époque?
Toute jeune, elle s'occupait de jeunes filles isolées, et par elles,
mise en contact avec les difficultés de la vie qu'elle avait ignorées
- car elle avait grandi dans une famille aisée - elle était
impressionnée par les conditions pénibles dans lesquelles travaillaient
à ce moment dans les magasins et bureaux, des jeunes filles désireuses
ou le plus souvent obligées, de gagner leur vie. Elles venaient en
ville tôt le matin des villages du département, rejoignant tard
le soir leur foyer, ou se trouvaient isolées dans une chambre louée,
aux prises avec les difficultés matérielles de la vie et exposées
à de réels dangers d'ordre moral. Révoltée par
l'existence d'esclave que menaient celles qui n'avaient d'autres ressources
que de servir comme domestiques dans les familles, elle souhaitait offrir
aux unes un foyer familial améliorant ainsi leur existence, aux autres
la possibilité d'une promotion. De 1905 à 1908, elle avait à
lutter contre les idées étroites des uns, l'égoïsme
et l'esprit de caste des autres, juste ceux qu'elle devait solliciter pour
obtenir l'argent nécessaire à la réalisation de son projet.
Grâce à son don de persuasion, son charme et ses démarches
innombrables elle réussit à gagner de nombreux amis favorables
à son projet et à réunir les sommes nécessaires
à la création d'un Home pour jeunes filles qu'elle ouvrit le
12 janvier 1908 en recevant 8 adolescentes au premier étage d'un vieil
immeuble patriarcal situé au fond de la cour-jardin du 7, rue du Bouclier.
Pour satisfaire les nouvelles demandes d'admission, l'adjonction d'un autre
étage fut nécessaire fin décembre de la même année
et en 1910 tout l'immeuble dut être occupé pour permettre d'y
installer 40 lits. Laure Weil ayant accepté quelques jeunes élèves,
jetait déjà les bases de la future section des "Cadettes".
Ie Home, 7, rue du Bouclier.
Ce qui distinguait dès sa création le Home, c'était son
caractère social-philanthropique. Priorité fut donnée
- et ce principe a toujours été maintenu - aux orphelines et
aux jeunes filles sans moyens, alors qu'à cette époque il n'existait
ni bourse ni contribution à leur intention de la part de l'Administration.
L'armistice conclu, Laure Weil revint dans sa ville natale redevenue française. Toute son oeuvre dut être reconstituée. Marthe Cohn, ancienne "Abeill", l'amie de Laure Weil, avait pu soustraire au séquestre allemand une grande partie du mobilier en le cachant chez des connaissances ce qui facilitait le rééquipement du Home. Il rouvrit ses portes dès le 1er octobre 1919.
Les lits furent pris d'assaut d'autant plus vite que nous avions organisé un cours accéléré de français fonctionnant jusqu'en 1925 pour aider les jeunes alsaciennes désireuses de travailler ou de faire un apprentissage et ne sachant que l'allemand, à acquérir au plus vite la connaissance de la langue française.
Je dis nous, car Laure Weil avait trouvé deux aides, dont l'une, ma soeur, assurait, jusqu'à son mariage avec le Dr Joseph Weill en avril 1928, les fonctions d'économe bien difficiles puisque nous étions toujours à court d'argent ; l'autre, moi, qui ai eu l'insigne honneur de devenir la collaboratrice de Laure Weil et de la rester jusqu'à la fin de sa vie.
La guerre avait fait faire à l'émancipation de la jeune fille non seulement un pas, mais un saut en avant. A présent elle ne venait pas seulement en ville pour travailler, mais aussi pour fréquenter les écoles secondaires et commerciales et dans une proportion encore très minime, les facultés. Malgré l'élargissement de l'institution par la location d'appartements contigus qui pouvait alors accepter 60 pensionnaires à partir de 1920, la maison s'avéra trop exigüe pour satisfaire aux demandes toujours plus nombreuses. De surcroît, la vétusté et l'inconfort du vieux bâtiment devenant de plus en plus gênants, la nécessité de disposer d'un nouveau foyer, répondant aux besoins modernes, s'imposa. Dans l'impossibilité de trouver un immeuble approprié à louer ou à acheter, nous décidâmes, Laure Weil et moi, en 1925, de lancer le projet de la construction d'un immeuble.
Laure Weil sut gagner à son projet deux Alsaciens établis
l'un à New York, M. Léonard WEIL, natif de Hatten,
l'autre dans l'Illinois, M. Alphonse METS, originaire d'Ingwiller,
qui réunirent, sous l'égide de la Société Israélite
Française de New York, dont Monsieur Charles PICARD fut le président,
d'importantes sommes pour la construction du Home.
Grâce à l'appui du comte Jean De LEUSSE de Reichshoffen,
nous obtînmes une subvention du Pari Mutuel et Laure Weil se fit elle-même
l'avocate de la cause en parcourant les villes et les localités de
la région ainsi que Paris, frappant à toutes les portes. Son
éloquence gaie et persuasive, sa simplicité souriante, ses yeux
merveilleux et son énergie inépuisable forcèrent l'admiration
de tous et les dons affluèrent.
L'édification de l'immeuble du Home dura deux ans, sous la direction talentueuse de feu Monsieur Lucien CROMBACK, architecte du Gouvernement, membre du Conseil d'Administration du Home, devenu par la suite son vice-président, aidé par l'architecte feu Monsieur Emile Wolff. L'inauguration eut lieu en septembre 1928.
Les vastes locaux nous permirent de faire fonctionner aisément et rationnellement l'une à côté de l'autre, la section des cadettes, comprenant les élèves et les apprenties de 10 à 18 ans, avec l'organisation et le règlement d'une maison d'enfants à caractère social et d'autre part, le foyer pour les jeunes filles à partir de 18 ans, travailleuses, élèves et quelques rares étudiantes des facultés.
En dépit de toutes les difficultés dont la moindre n'était
pas mon immobilité durant six mois pour cause de maladie, le Home fut
ouvert dès novembre 1946 par Madame Paul KAHN, à l'époque
Mademoiselle Adrienne KAUFFMANN, assistante sociale, aidée par Madame
Mimi SCHMIDT.
La mise en marche d'une maison absolument vidée de son contenu fut
difficile. Nous fîmes fonctionner l'institution aussi bien que possible
tout en poursuivant les importants travaux de remise en état et de
réinstallation qui durèrent plus de deux ans.
Au fil des années la Claim's Conférence nous accorda des subventions
substantielles pour nous permettre de perfectionner l'équipement.
Laure Weil réintégra le Home, malheureusement affectée
d'une maladie qui ne lui permit plus de reprendre ses activités. Elle
nous fut ravie par la mort en 1952.
Léonard Weil était décédé en 1947, mais
nous eûmes la joie de recevoir au Home maintes fois, lors de leurs voyages
annuels en France, Madame et Monsieur Alphonse Mets qui continuèrent
à nous faire bénéficier de leur généreuse
et bienveillante amitié.
Subissant les répercussions des événements politiques,
le Home remplit pleinement sa mission sociale et humanitaire. Alors qu'après
la première guerre mondiale, le Home rue du Bouclier fut hospitalier
aux jeunes filles envoyées en France par leurs familles d'Ukraine,
de Pologne, de Lithuanie, victimes des pogromes, de 1933 à 1939 nous
reçumes en masse les jeunes réfugiées allemandes, enfants,
jeunes filles et dames fuyant les persécutions hitlériennes.
Lors de la réouverture de l'institution en 1945, nombreuses étaient
les enfants, souvent très jeunes, de parents déportés,
qui trouvèrent un foyer dans notre maison. En 1956 nous ouvrîmes
nos portes aux jeunes venant d'Egypte, puis ce furent celles envoyées
en France par leurs parents habitant le Maroc, craignant des troubles antisémites
lors de la mort du
roi Mohammed V. Et ce fut
l'exode d'Algérie, en 1962. Nous accueillîmes dans notre
foyer non seulement les adolescentes mais aussi les mères avec les
bébés et les très jeunes enfants jusqu'à ce que
la Préfecture ait pu les installer dans des logements. Notre section
des Cadettes fut saturée durant deux ans du fait de cet afflux de compatriotes
de l'Afrique du Nord. Finalement les parents trouvèrent des appartements
et des emplois et leurs enfants purent rejoindre le foyer familial.
L'organisation des loisirs était une de nos préoccupations principales. Les fêtes de Hanouka et de Pourim nous donnaient l'occasion de monter des représentations théâtrales avec danses et déclamations. Les samedis soirs eurent lieu des cours de bricolage, le dimanche des auditions de disques durant la mauvaise saison, et en été, des excursions en groupes. Il y eut aussi les corvées : aider à essuyer la vaisselle, écosser les petits pois, le lavage du linge personnel à partir de 13 ans.
A partir de 1964 se fit sentir une poussée vers la ville de jeunes
filles de 17 à 18 ans, ayant terminé les études secondaires
ou techniques, désireuses de réaliser leur formation professionnelle
ou de poursuivre des études universitaires.
Aujourd'hui encore, il n'est pas un foyer comme les autres : son caractère particulier lui impose une orientation différenciée puisqu'il accepte en raison de son caractère confessionnel avec les travailleuses aussi des étudiantes.
Nos efforts ont toujours tendu à diriger le Foyer selon les principes
et dans l'esprit de Laure Weil, créant un climat chaud et familial
et assistant les résidentes qui en avaient besoin, de notre sollicitude
agissante, de nos conseils et de notre aide et je m'en voudrais de ne pas
citer la collaboration dévouée, durant des années de
Mesdames Jenny Klein, Ermance Salomon, Yvonne Buhot et Renée Weil.
J'ai été secondée aussi dans ma tâche par les membres
de mon Comité dont chacun selon sa qualification professionnelle ou
sociale et humaine m'a fait bénéficier de son concours efficace
et éclairé.
Je souhaite que ce home continue à répondre au but pour lequel
il a été créé tout en s'adaptant à l'évolution
constante des temps, sans oublier qu'en dépit de leur soif d'indépendance,
les jeunes auront toujours besoin d'un Foyer où trouver un conseil
judicieux, de la compréhension et un peu d'affection lorsque des ennuis,
des complications ou des déceptions les assaillent.
F. SCHWAB Directrice honoraire Présidente du Home Laure Weil |