© Florent Mathern pour l'Alsace |
Roger Harmon naît en 1953 à Stuttgart de parents américains.
Le père est militaire et membre d'une communauté chrétienne
rigoriste, la mère diététicienne.
Il grandit tour à tour à Boston, New York, Baltimore, fait des
études de musique, et il est luthiste. Il enseigne cet instrument au
Peabody Conservatory à Baltimore, Maryland. Ses recherches se concentrent
principalement sur la théorie de la musique ancienne. Depuis 1983 il
vit à Bâle, et il a enseigné la musicologie à l'université
de Lucerne jusqu'à sa retraite
La passion qu'il voue à la culture israélite naît aux portes de Bâle. Roger Harmon, en tant que musicien, est passionné par les arts, mais aussi par le déchiffrage des lettres hébraïques. Il découvre par hasard les épitaphes qui couvrent les stèles des cimetières juifs de la région, lors de promenades à bicyclette dans le Sundgau.
Depuis, pas une épitaphe, une inscription ou un document ancien de la communauté juive de Haute-Alsace ne lui échappe. Il a transcrit tous les messages que portent les stèles des cimetières des deux Hagenthal et de Durmenach. Mené en quelques années, son déchiffrage solitaire et systématique va déboucher sur la publication de plusieurs ouvrages. La qualité de son travail est déjà saluée par la communauté scientifique comme par les historiens. Peu se doutent que Roger Harmon n'est pas juif, mais protestant.
Pourquoi, alors, une telle ferveur ? Pourquoi si tard, aussi ? "J'ai peut-être cherché pendant cinquante ans un modèle pour le trouver finalement en ces gens-là". C'est-à-dire chez ces Juifs sundgauviens dont les histoires, les pensées et messages posthumes sont il est vrai empreints de compassion et de respect. "Chaque cimetière est un livre ouvert, chaque stèle une page remplie de témoignages du monde passé et de valeurs éternelles, aujourd'hui pourtant en danger."
"Depuis l'enfance, je m'intéresse à l'Histoire, aux religions,
aux écritures." Devant la synagogue de Hégenheim,
la plus ancienne d'Alsace, après avoir farfouillé nerveusement
dans la dizaine de sacs plastiques débordant de classeurs qu'il traîne
avec lui, Roger Harmon brandit un jeu de clés. "Ici, je suis comme
chez moi", glisse-t-il dans un sourire.
À l'intérieur, devant un linteau gravé, son visage s'éclaire.
Il parcourt à haute voix, et de droite à gauche, les trois lignes
écrites en hébreu ancien, quasiment effacées aujourd'hui.
"Je lis aussi l'araméen, le yiddish, le grec ancien. Je n'ai jamais
compté combien de langues je connaissais", explique-t-il dans
un français régulièrement entrecoupé de "How
do you say ?".
Décryptage au cimetière juif de Luemschwiller avec Roger Harmon et la SHIAL le26 juin 2022 - © ASIJA |
Mais c'est à Durmenach que Roger Harmon se montre le plus disert.
Là même où s'épanouissait l'une des plus importantes
communautés juives du Haut-Rhin aux 18ème et 19ème siècles.
Le cimetière
juif de Durmenach recèle encore de nombreux secrets. Depuis douze
ans, il tente de les percer et pour cela, il recherche et décrypte
les épitaphes des stèles juives. Celles-ci racontent une histoire,
la façon dont les défunts ont vécu. Il se refuse à
les voir disparaître avec le temps. Car les pierres en grès s'effritent,
les écrits s'effacent. L'identification des tombes ne peut attendre
plus longtemps. Cette collecte d'information est d'ailleurs indispensable
pour la commune de Durmenach qui a décidé de raviver la mémoire
de sa communauté juive depuis 2008.
Le chercheur bâlois envisage de publier, avec l'historien bas-rhinois
Jean-Camille
Bloch, un livre "donnant vie" au cimetière du village.
Depuis 2012 qu'il y travaille, Harmon connaît par cœur chaque épitaphe
et la vie de chaque personne décédée. Une kippa sur la
tête, il conduit la visite, de la tombe de l'ancien directeur des Galeries
Lafayette Georges Meyer à celle de la famille industrielle Lang. "Il
y a par-là celle de la grand-mère de DSK", assure-t-il.
Sa dernière trouvaille est celle de l'endroit où repose la famille
du premier habitant juif de la commune.
Roger Harmon, qui aide aussi les particuliers à retrouver leurs ancêtres, a déjà décrypté plus de mille deux cents épitaphes en Alsace. Il travaille actuellement sur cinq autres cimetières de la région. "C'est sûr, les gens pensent que je suis fou !" Il a un jour failli se faire écraser par la chute d'une stèle. "Sur ma propre tombe, je voudrais une citation du livre de Job comme témoin de ma droiture."
Ecouter
la conférence de Roger Harmon : Existe-t-il une musique juive
? sur le site Akadem (colloque de la Société d'histoire des israélites d'Alsace et de Lorraine - 2 mars 2019) |
Sources :