La vie était paisible à Oberbronn, un village situé au nord de l'Alsace dans une région boisée et réputée pour ses sources thermales. Les Juifs s'y sont installés depuis la première moitié du 18ème siècle et en 1784, juste avant la révolution française, la communauté représentait plus de cent personnes. Au milieu du 19ème siècle elle atteint son apogée avec un peu plus de 200 personnes (1) et était représentative de ce judaïsme alsacien et rural qui se développait en harmonie avec l'ensemble de la population.
Depuis 1740, la communauté disposait d'un petit local communautaire ou "kahlstub" dans lequel les activités communautaires pouvaient se dérouler, en particulier les offices et l'enseignement. Un cimetière a été créé en 1790, également pour les juifs de Zinswiller, une commune voisine. Cest en 1841 que la communauté fit construire une synagogue digne de ce nom. Elle avait une forme carrée et comprenait trois belles et longues fenêtres sur chaque côté.
Le rabbin Samuel Hirsch était fier de cette réalisation et l'installation des cinq rouleaux de la loi donna lieu à une cérémonie d'inauguration empreinte de solennité et de ferveur. Le président de la Communauté, Joseph Lévy, lui aussi était particulièrement satisfait de vivre cet événement et apprécia à sa juste valeur la mobilisation de toute la communauté pour l'occasion. La synagogue était bien remplie et dans ces conditions les discours et les prières prenaient tout de suite une autre dimension. La ferveur se lisait sur les visages des petits et des grands.
Le problème pour les responsables communautaires est précisément de remplir leur synagogue. Souvent Herschel, le "Massig" au visage toujours rouge de tension, l'homme "coléreux "de la "kehila", de la communauté, disait à qui voulait l'entendre sur ce ton ironique dont il avait secret : "mehr schortem wie hiener" (littréralement : plus de sacrificateurs que de poules à sacrifier) pour dire qu'à part le "personnel" communautaire, il n'y avait pas beaucoup de monde ! Il est vrai qu'en dehors des grandes occasions comme Pessah, Roch-Hachanah et Yom Kippour, ce n'était pas toujours facile, chacun ayant ses occupations, chacun ayant ses priorités...
Alors, Joseph Lévy eut une idée pour attirer plus de monde à l'office qui était prévu pour la fête de Hanouka, la fête des Lumières qui rappelle qu'au 2ème siècle avant l'ère actuelle, une fiole d'huile prévue pour un jour permit d'allumer les lumières du chandelier du temple de Jérusalem pendant une semaine à l'époque des Hasmonéens. Il s'était souvenu que vraiment peu de monde était venu les années précédentes et il ne voulait pas que, dans ce nouveau lieu, une telle situation puisse se reproduire . Il se dit que la tradition du "Haniguemaenel" (2), allait l'aider à atteindre son but.
Il demanda au shamess, au bedeau, de se déguiser en Haniguemaenel et ainsi de se vêtir d'une cape blanche et d'un bonnet pour accueillir les enfants en donnant aux uns des gâteaux ou des friandises, aux autres des fruits et des petits pains que les dames de la communauté avaient confectionnés. Le résultat fut bien convaincant puisque toutes les familles s'étaient à nouveau mobilisées, et que la synagogue bondée connut une effervescence à l'image de la fête des lumières qui y était célébrée ! On alluma la première bougie sur la grande menorah (3) placée devant l'armoire sainte et rarement le Maoz Tsour (4), le chant qui suit cet allumage, ne fut entonné avec tant de bonne humeur.
Comme le calme ne revenait pas dans la synagogue, le rabbin se leva brusquement de son siège et interpela les fidèles. Il critiqua ouvertement l'initiative prise par le président, disant qu'il s'agit là de "G.N.", de "Goyem Nachess", de pratiques qui sont adoptées bien qu'elles émanent des non-juifs. Et comme Hanouka tombe toujours à une période proche de Noël, il faisait évidemment allusion au "Saint Nicolas" qui distribue des cadeaux aux enfants sages début décembre selon la tradition chrétienne. Il était rouge de colère lorsqu'il expliqua que l'ont faisait fausse route si l'on voulait imiter les autres traditions. On oublie qu'on se trouve dans une synagogue et la prière perd ainsi toute sa valeur pensait-il sincèrement.
Ce fut au tour du président de s'énerver à un tel point qu'il menaça de quitter la synagogue pour marquer sa désapprobation face au comportement du rabbin. Certains fidèles l'approuvèrent, d'autres manifestèrent de la compréhension pour les propos du rabbin et quelques uns appelèrent les uns et les autre à retrouver leur calme. L'office fut interrompu et Jossel le "Kahlsragsen", le protestataire de la communauté en profita pour mettre de l'huile sur le feu en tournant en dérision le shamess avec lequel il avait toujours un compte à régler. Finalement le vieux Schimen (5), un ancien président particulièrement érudit, demanda au rabbin et au président de se réconcilier devant tout le monde. Il n'y avait pas de raison pour que les esprits s'échauffent ainsi.
La tradition du Haniguemaennel était vivante et semblait être issue d'une tradition propre au judaïsme alsacien rural. Schimen expliqua que depuis le moyen-âge, des cadeaux étaient faits aux enfants sous la forme de Haniguegueld (l'argent de Hanouka), de la monnaie avec laquelle les enfants s'achetaient des friandises ou de petits jouets. Cette tradition avait peut-être subi effectivement les influences des coutumes locales et pouvait très bien être appliquée différemment si cela pouvait contribuer à la bonne marche de la Communauté. Il finit par mettre d'accord les deux protagonistes en leur faisant admettre que dorénavant l'office devait tout simplement avoir lieu avant la venue du bonhomme de Hanouka !
Cette tradition perdura quelques temps à Oberbronn et la fête de Hanouka était ainsi toujours très attendue au même titre que les fêtes joyeuses comme Simhath Torah, la fête de la Torah, ou Pourim, la fête des Sorts en souvenir de l'histoire de la reine Esther. Mais la communauté d'Oberbronn allait subir le même sort que bien des petites communautés alsaciennes et il n'y eut bientôt plus de fête de Hanouka du tout. En 1882 elle ne comptait plus qu'une centaine de personnes, une trentaine en 1910 et 5 en 1936. L'attirance vers de plus grands centres comme Niederbronn, Haguenau ou Strasbourg est la cause principale de ce phénomène et les effets de la première guerre mondiale l'ont accentué.
L'histoire de cette communauté s'est arrêtée définitivement en 1944 lorsque les nazis ont détruit la synagogue qui avait été conservée en l'état jusque là.