Une meguila ou rouleau d'Esther du 18ème siècle figure sous le n° 4053 à la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg. Le rouleau a 1m63 de long sur 0,23 m de large. Le texte est inscrit sur neuf colonnes, encadrées d'enluminures. Ce n'est pas une meguila "royale". On appelle ainsi celles dont le premier mot de chaque colonne est ha-melekh, "le roi". C'est là une coquetterie de scribe, mais aussi un hommage, non pas au piteux roi Assuérus, mais au Roi des Rois, Maître du Monde, dont le nom ne figure pas dans le texte de la Meguila.
Les enluminures en haut et en bas des pages et entre les colonnes ont été tracées à la plume ; le trait est fin, la main est sûre. Les dessins ont été rehaussés de gouache. Les couleurs sont vives, mais peu nombreuses : rouge, vert, jaune et brun. Le dessin est naïf et plein de charme. On remarquera la manière très particulière de dessiner les nez. Les personnages ont été représentés en costume du 18ème siècle. Haman en perruque, uniforme, bottes à éperons, l'épée au côté, est l'image même du militaire de haut rang. Il se dégage de la scène de pendaison de Haman et de ses fils un certain humour noir, que suggère la diversité des attitudes des personnages. Mardochée est traité dans des couleurs ternes ; il est coiffé de ce béret si typique des Juifs du 18ème siècle, et semble porter une sorte de talith, "châle de prières", à moins que ce ne soit le "sac" dont parle la meguila. En dehors des personnages, le dessinateur a largement usé d'un décor floral, à dominante de tulipes. Ce décor est très voisin de ce que produisait l'imagerie populaire alsacienne au 18ème siècle. Nous trouvons aussi diverses espèces d'oiseaux, et même trois cigognes, si chères à l'Alsace.
Nous n'avons aucune certitude quant à l'origine de cette meguila, mais elle a un tel air de famille avec les autres créations de l'art populaire juif d'Alsace, que nous aurions mauvaise grâce à ne pas la reconnaître comme une enfant de cette culture.
Meguilah 4053 de Strasbourg : Haman le méchant implorant Esther. |
Pendaison de Haman et de ses fils. Reproduction polychrome à la gouache. Martine Weyl. |