Simone Lévy avait dix-neuf ans lorsque René Hirschler fut nommé rabbin de Mulhouse. Et c’est ainsi qu’il rencontra celle qui allait devenir sa disciple, sa secrétaire, sa collaboratrice, son animatrice, sa fiancée, sa femme. Avec elle il crée en 1931 Kadimah, "Bulletin bimensuel pour les communautés israélites de Mulhouse et du Haut-Rhin". Petite feuille au début, Kadimah devint rapidement une des meilleures revues juives de langue française. A la fin de chaque numéro on trouvait une note de charme, un article écrit à l’intention des enfants et que les grandes personnes lisaient avec ravissement, un conte signé : "Grande Sœur". Et "Grande Sœur" c’était Mademoiselle Lévy qui allait devenir Madame Hirschler. Arrêtée avec son mari à Marseille le 22 décembre 1943, elle est morte à Auschwitz aux environs du 12 avril 1944.
Dans le désert aride,
le Mont Sinaï se dresse, sombre et mystérieux, et sa cime, baignée
de lumière, demeure invisible aux yeux du peuple d'Israël rassemblé
là pour entendre la Parole de Dieu. Tous, ils sont accourus, les enfants
d'Israël les vieillards épuisés par leur dure captivité
en Egypte, et qui pourtant s'obstinent à suivre de leurs pas chancelants
la marche errante de leurs fils ; les hommes robustes qui soutiennent leurs
femmes tremblantes ; les enfants craintifs qui se cramponnent aux vêtements
de leurs parents. Et en avant de ce peuple qu'il conduit : Moïse.
Tous, ils savent qu'une heure unique va sonner, celle qui leur fera entendre
la voix de leur Dieu, celle où sa bouche leur dictera leur Loi, cette
Loi que les autres peuples ont repoussée, se sentant incapables de
lui obéir.
Mais Dieu connaît le coeur et l'esprit de ses enfants et il leurdit
:
"Peuple d'Israël, c'est toi que j'ai élu entre tous les
peuple pour recevoir mes commandements. Mais quels garants me donneras-tu
en échange de ma Loi ? Quelle preuve aurai-je que toujours tu la conserveras
précieusement et que fidèlement tu l'observeras ?".
Les enfants d'Israël se consultent, puis ils répondent :
"O Eternel Tout-Puissant, veux-tu de nous comme garants de la Loi ?".
Mais la face de Dieu se voile :
"Peuple oublieux et présomptueux ! Comment pourrai-je avoir assez
de confiance en toi pour te donner ma Loi ? Tant que tu es malheureux, tu
gémis, et tu pleures, et tu m'implores. Mais dès que je t'ai
tiré de ta misère, tu attribues à ta seule valeur ce
changement de fortune et tu oublies mes bienfaits. Non, je ne saurais accepter
tes garanties".
Une seconde fois, le peuple d'Israël cherche, et, adressant de nouveau
le parole à son Dieu :
" O Seigneur, nous te proposons nos patriarches, Abraham, Isaac et Jacob.
Acceptes-tu ces garants de ta Sainte Loi ?".
Mais Dieu détourne sa face de ses enfants et il leur dit :
"Peuple léger et inconstant ! il se peut que tu n'essaies pas
toujours de suivre leur exemple et que bientôt tu ne leur accordes pas
plus de valeur qu'à de vagues ombres qui se perdent dans le passé...".
Alors le peuple d'Israël prend peur. Dieu n'a eu foi ni dans le Présent,
ni dans le Passé. Croira-t-il en l'Avenir ?
Et tremblant, il élève sa prière vers I'Eternel :
" Dieu de bonté et d'amour ! Il ne nous reste plus rien à
t'offrir en garantie, plus rien que nos enfants et les enfants de nos enfants.
Accepteras-tu ces gages ?".
Alors Dieu tourne sa face vers ses enfants, et il leur est favorable, et il
dit :
" En tes enfants, et en les enfants de tes enfants j'aurai foi, ô
mon peuple. Pour eux j'ai créé ma Loi, par eux elle vivra. Puissent-ils
de génération en génération se la transmettre
et l'accomplir. Pour eux, vous avez promis ; pour vous ils devront tenir".
Aussitôt, la montagne s'embrase. Des nuées de fumée descendent
sur le cime, percées de larges traînées de lumière.
Des éclairs sillonnent les cieux. Le tonnerre éclate de toutes
parts. La nature, elle aussi, attend la Parole de Dieu, qui retentit déjà
dans les cieux des cieux. Et la voix s'approche, frappe les oreilles des hommes.
"Je suis I'Eternel, ton Dieu "
Leurs oreilles, leurs yeux cherchent. D'abord épouvantés d'entendre
cette parole qui n'a rien d'humain, ils veulent savoir d'où elle vient,
ils veulent se précipiter aux pieds de Celui qui parle. Et la voix,
insensible au trouble qui envahit leur âme, continue :
"... Qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, d'une maison d'esclavage".
"Tu n'auras pas d'autre Dieu que Moi...". Mais où est-il,
Celui qui ne veut pas l'infidélité ?
Le vent souffle et emporte les échos de la voix qui parle et il semble
aux hommes que la voix vient du Sud et ils courent tous vers le Sud.
Soudain, la voix, toujours égale, paraît se retourner... :
"Tu n'invoqueras pas le nom du Seigneur, ton Dieu, à l'appui
du mensonge...".
Les mots, cette fois, accourent du Nord :
"Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier...".
Et les Hébreux courent vers le Nord, pendant que la voix, déjà,
semble venir de l'Est, - toujours la même :
"Honore ton père et ta mère pour que tes jours se prolongent
longtemps sur la terre...".
Et le peuple d'Israël va vers l'Est, puis vers l'Ouest, sans qu'il puisse
jamais trouver l'Etre qui parle et à qui il a promis obéissance.
Il voudrait enfin le connaître, Celui à qui il a donné
ses enfants pour garants !
Du Ciel, les paroles tombent maintenant :
"Tu ne tueras pas !
Tu ne commettras pas de vol..."
Ah ! Il est là-haut, plus haut que la montagne, Celui qui donne sa
Loi à la terre : les yeux se lèvent, les bras se tendent vers
les cieux. Mais qu'est-ce donc maintenant ? La terre se fend, et du centre
de la terre, !a voix maintenant jaillit :
"Tu ne porteras pas de faux témoignage !
Tu ne convoiteras pas...".
Un moment, le silence
s'étend sur la nature entière. Les Hébreux ne savent
plus... Dieu qui parlait, où est-il ? Au Sud, au Nord, à l'Est,
à l'Ouest, au Ciel, au sein de la terre ?
Et ils sont là, immobiles, serrés, innombrables, mais unis,
pour la première fois et pour toujours. Et de l'horizon, un bruit parvient
à leurs oreilles, faible d'abord, se renforçant de minute en
minute. - Ce sont les mots sortis de la bouche divine, qui, ayant fait le
tour de la terre, reviennent de tous côtés, encerclant le monde
dans une multitude de couronnes.
Et les Hébreux comprennent alors...
Vous aussi, chers petits amis, vous avez compris. Les Hébreux étaient
nos pères. Ils nous ont donnés, nous, les enfants de leurs enfants,
comme garants de la Loi. Eux, ils sont morts. Mais s'ils ne peuvent plus nous
rappeler leur serment, il y a le Ciel et la Terre, il y a le monde de tous
les côtés qui ont participé à la révélation
de Dieu. Dieu a parlé à travers eux, ils furent les instruments
de sa voix, ils en sont maintenant toujours les témoins. C'est pourquoi
notre devoir est d'accomplir les paroles de la Loi qui fut donnée par
Dieu sur le Mont Sinaï, pour nous et pour toujours.
C'est cela, chers petits amis, que nous rappelle Chovouôth.