DONNONS d'abord la traduction de l'expression hébraïque employée
ici "Levono meqadich". "Levono"
qui, littéralement, veut dire "la blanche", est le nom de
la lune, ainsi nommée à cause de sa lumière argentine
et "meqadich", sanctifier, déclarer
sainte.
Autrefois, dans la haute antiquité juive, le commencement du mois religieux qui est, on le sait, un mois lunaire, était fixé en séance solennelle par le tribunal siégeant à Jérusalem. Ce n'est qu'a partir du 2ème siècle de l'ère actuelle que l'on s'adressa au calcul astronomique pour fixer le début du nouveau mois. Mais, avant cette réforme, voici la procédure fort curieuse qu'on suivait : tout homme qui avait aperçu le mince croissant de la nouvelle lune, était tenu de se rendre aussitôt à Jérusalem devant un tribunal spécial siégeant dans une salle du Temple et d'annoncer l'apparition de la nouvelle lune.
Nombreux étaient souvent ces messagers et leurs renseignements étaient examinés très scrupuleusement. L'illustre Rabbin Gamaliel avait dressé un tableau sur lequel était tracée l'image des différentes positions de la lune à tous les mois de l'année. Il fallait l'affirmation identique de deux témoins au moins, interrogés chacun séparément sur l'endroit exact, le moment précis où la lune leur était apparue, sa position par rapport à l'horizon, etc. Toutes ces précautions minutieuses étaient prises pour éviter les causes d'erreurs et même de fraude car, de faux témoins de la secte des Samaritains (ces anciens colons assyriens à demi-juifs seulement et que les juifs authentiques avaient refusé de recevoir dans leur communauté) se faisaient un malin plaisir de troubler les juges et de faire fixer ainsi, chose grave, de fausses dates pour la célébration des fêtes.
Quand le Président du tribunal, après examen, annonçait
par ce mot "meqoudoch" (declaré saint) que
le mois commençait, la foule qui remplissait le prétoire, pleine
de ferveur, répétait "Meqoudoch".
Aussitôt, sans perdre un instant, un brasier, préparé
à l'avance, était allumé au mont des Oliviers et de colline
en colline, des feux flamboyaient dans toute la Palestine pour indiquer
la venue de la nouvelle lune. Plus tard, des Samaritains, ayant employé
les mêmes signaux pour tromper les juifs hors de Jérusalem, on
renonça à ce moyen d'avertissement et on expédia
des messagers.
Cet exposé, brièvement résumé, relatif à l'établissement du mois dans l'antiquité n'aura pas été, pensons-nous sans intérêt pour le lecteur. Il aura appris l'origine du "Qidouch ha-levono" (sanctification de la lune), c'est-à-dire la Néoménie, fête du nouveau mois. Cette cérémonie était célébrée dans toute la Judée par des chants religieux. Elle a été fidèlement, à travers les âges, observée par nos pères. Entre le 3e jour et le 15e jour après la nouvelle lune, on a toujours considéré, jusqu'à des temps assez rapprochés de nous, comme une sainte obligation d'aller, hors des maisons, saluer le renouvellement de la lune, par des prières spéciales, adressées non à la lune, mais au Créateur du Ciel et de la Terre.
Mais, pour réciter ces prières, il faut que la lune soit bien visible et, quelquefois, ce n'est, dans nos pays, que pendant de bien courts instants qu'on peut l'apercevoir briller au ciel, dégagée de tout nuage. Cette difficulté de saisir un instant précis pour un but déterminé a donne naissance à cette phrase pleine d'humour et de bon sens : "Il faut sanctifier la nouvelle lune pendant qu'elle luit", "Man soil die "Levono" meqadich sein wenn sie steht", pour marquer qu'il faut saisir l'occasion au passage, ne pas laisser passer le moment précis de dire un mot décisif, d'accomplir un acte que, cette minute passée, il ne sera plus loisible de dire ou de faire ; expression bien caractéristique de l'humour judéo-alsacien qui se nourrit de réminiscences religieuses.
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