ON aime à parler du prochain en Alsace comme ailleurs. L'homme est
ainsi fait, et la femme aussi, que tous deux savourent particulièrement
les on-dit plus ou moins bienveillants, quelquefois sans grande méchanceté,
car l'esprit humain est plein de contradictions et le racontar sur le bonheur
trouble d'un voisin peut exciter dans le coeur d'un ami un certain plaisir
allié à une grande pitié.
Dans ces sortes de conversations, au récit de quelque trouble, quelque malentendu entre conjoints, il n'est pas rare d'entendre en Alsace ces paroles amusantes : "Il voudrait que sa femme fût un calendrier" - "Er mècht sie wer ein louh".
Cette locution n'a du mystère que l'apparence, car qui ne connaît,
là-bas, l'histoire de ce pieux et savant homme, pratiquant scrupuleux
qui ne manquait jamais, en quittant sa maison, de baiser la mezouza
(*) attachée au poteau de la porte, ni de fermer,
après sa lecture, un livre hébreu sans y appuyer tendrement
ses lèvres. Sa femme qui rêvait de recevoir aussi de lui des
marques d'affection, lui dit un jour d'un air éploré :
- Ah, qu'il serait souhaitable pour ta femme d'être un livre hébreu
!
- Tu as raison, femme, répondit le mari peu galant. En effet, un livre
hébreu, un "louh", car le "louh"
change tous les ans.
"Louah", en hébreu moderne, se traduit par calendrier.
* | Rouleau de parchemin sur lequel est inscrit un extrait des prières journalières, qu'on fixe dans un tube protecteur à la porte de la maison. |
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