IL existe un livre ancien qu'on trouve presque dans toutes les maisons juives d'Alsace. Il s'appelle "Manta lochen" et il contient, outre des supplications pour différentes circonstances, des prières qu'on récite sur les tombes de ceux qu'on a perdus. Les deux mots qui forment le titre du livre sont empruntés à la Bible. Le sens en est obscur, mais ils sont traduits généralement par : " De Dieu vient la parole proférée par la langue".
Cette expression se prête admirablement a un jeu de mots. En effet, le premier mot, prononcé par une bouche alsacienne, ressemble, à s'y tromper, au mot "Manne" qui est un pluriel ancien, encore employé aujourd'hui par les vieillards, du mot "mann" (homme). Donc, ces deux mots peuvent être traduits par "langue d'homme, voix masculine", et les juifs d'Alsace comme bien l'on pense, ne se privent pas d'octroyer malignement le sobriquet de "manne lochen" à la femme, dont la voix sans grâce, au timbre sonore et rude rappelle plutôt une voix d'homme.
Dans une de nos belles prières du jour de "Kipour" qui célèbre la miséricorde et la longanimité divines, nous trouvons cette phrase que le prophète Isaïe met dans la bouche de l'Eternel "Maari'kh of " — Il est lent à la colère. Le premier mot "Maari'kh" veut dire : retient longtemps, et le second "af" signifie colère et sert aussi en hébreu à designer le nez. Peut-être parce que la colère se traduit souvent, sur le visage, par le gonflement des narines.
Cette homonymie n'a pas échappé à l'esprit moqueur du juif alsacien. Devant une femme, dont on vante la beauté, déparée pourtant par la longueur excessive du nez, il dit volontiers la phrase biblique : "Maari'kh af", qui prend alors au lieu du sens : "est long à manifester sa colère", celui de "a allongé le nez".
Les rieurs sont sans pitié.
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