"Que toute la circonscription du Haut-Rhin se considère comme une seule et même communauté ; qu'il s'y forme une caisse spécialement destinée à soutenir ou, s'il est nécessaire, à entretenir des écoles dans les localités privées de ressources, et que chacun contribue, à cette oeuvre de piété selon ses moyens. Une partie de la dîme qui se prélève sur les dots à l'occasion des mariages en faveur des pauvres, nous parlons de cette partie qui, distribuée ordinairement sans discernement et sans utilité, sert plutôt à entretenir le vice et l'oisiveté qu'à soutenir l'indigence, trouvera un emploi plus utile et plus fructueux et plus méritoire, s'il est versé dans cette caisse."
Le grand rabbin Klein avait raison ! Combien il valait mieux employer pour les écoles cet argent destiné à recueillir ceux qu'on appelait des Einleger dont on favorisait la paresse ! Un enfant de plus à l'école, c'était un malheureux de moins dans la Schlauffstadt.
Je parle de Colmar : Il y a quelques mois j'allais rendre visite à un ancien élève de l'école israélite de Colmar et il me montrait avec fierté un souvenir de cette école : la médaille d'or que lui avait donné la Société des Jeunes gens israélites de Colmar! Cette société a joué son rôle dans l'histoire des Juifs d'Alsace. Elle avait pris une bien belle devise : "Tout pour l'École ! Tout par l'École!”
J'ai là sous les yeux un compte-rendu financier de cette société,
qui remonte à un demi-siècle. Je trouve comme dépenses,
tout d'abord une médaille d'or et une médaille d'argent données
tous les ans aux deux meilleurs élèves de l'école israélite.
Puis :
- École normale de Colmar, prix de pension d'un élève
54,20 fr.
- Trousseau à un élève de l'École de Travail de
Mulhouse et frais de voyage 78,80 fr.
- Subvention à un élève du Conservatoire de musique à
Paris 270 fr.
- Fournitures de livres 100 fr.
- Leçons particulières de musique à Colmar 56 fr.
- Habillement d'élèves indigents 220 fr.
Le Maire de Colmar, M. de Peyerimhoff, présidant un jour la distribution des prix de l'école israélite et remettant les médailles aux jeunes lauréats, souhaitait qu'il y eût partout en Alsace des sociétés pareilles à la Société des Jeunes gens israélites, qui s'occupe avec tant de zèle de l'éducation de la jeunesse.
Si mes souvenirs sur cette société vous paraissent devoir être
complétés, vous pourrez vous adresser utilement à son
ancien secrétaire, à son ancien président M. Charles
Lévy.
Je souhaite que longtemps, bien longtemps encore, M. Charles Lévy apporte
dans les administrations, dont il fait partie aujourd'hui, le même zèle,
le même dévouement éclairé que je lui ai connus
il y a plus de trente ans. Je le souhaite pour lui, pour ses oeuvres, et je
n'oublie pas cette Société d'histoire des Israélites
de l'Alsace qui est appelée à rendre les plus sérieux
services au judaïsme.
Prenez le tableau de l'Alsace juive avant 1789. Il n'y a pas, pour ainsi dire, d'Israélites dans les villes. Strasbourg, qui va devenir une grande et belle communauté, n'a pas de Juifs. Quand on organisera les premiers consistoires, ce n'est pas Colmar qui sera le siège du consistoire du Haut-Rhin, c'est Wintzenheim, bien plus important comme population (4).
J'entends dire qu'aujourd'hui le mouvement s'accentue et que les villages se dépeuplent au profit des villes. Ecoutez ce qu'écrivait en 1836 un journal alsacien :
"Les enfants de la classe aisée fréquentent les colléges et les classes supérieures. Et ne remarque-t-on pas que, si les Israélites quittent le séjour des campagnes pour le séjour des villes, c'est uniquement parce qu'ils y trouvent plus de ressources pour élever leurs enfants au travail et pour vivre d'une manière honorable ?”
Vraiment ne devait-il pas sortir une Alsace toute nouvelle après tant
d'efforts, et sous l'action des administrateurs et des maîtres !
Et de ceux-là il devait s'en trouver de premier ordre. Ah ! saluons-les
avec reconnaissance, ces instituteurs d'autrefois, qui comprirent si bien
leur mission ! Et pourquoi ne pas le dire ? L'Alsace a toujours tenu le premier
rang pour ses écoles. En 1862 le nombre des conscrits ne sachant pas
lire est de 50 à 70% dans le Finistère, les Landes ; 10% dans
le Rhône ; 7% dans la Seine ; 6% dans le Haut-Rhin ; 4% dans le Bas-Rhin,
et quelques années plus tard, 2%.
C'est que l'instituteur alsacien a une grande supériorité : il parle deux langues, il pense en deux langues ! - Et l'instituteur israélite alsacien en saura trois ! Il sait le français, il sait l'allemand, il sait l'hébreu. Il y eut parmi ces maîtres de véritables savants, mieux que cela, des apôtres qui, à ces petits vagabonds juifs habitués à courir les rues pour offrir aux passants des allumettes, des rubans, des épingles, communiquèrent l'étincelle, communiquèrent l'amour du travail et en firent des hommes et des citoyens. Plusieurs ne se contentaient pas d'instruire les enfants ; ils instruisaient les parents et les réunissaient le samedi dans l'après-midi pour leur faire des conférences religieuses ou morales. N'y a-t-il pas là comme un germe d'universités populaires ?
"Messieurs, j'ai reçu et lu avec beaucoup d'intérêt les renseignements que vous avez eu l'obligeance de me transmettre sur les résultats de l'école des arts et métiers de Strasbourg. Ces succès qui, sous une administration paternelle et prudente, se perpétuent d'année en année, prouvent que votre société d'encouragement au travail a trouvé et réalisé par elle-même une des meilleures solutions de la difficile question de l'apprentissage coordonné avec l'instruction nécessaire à de jeunes ouvriers. Je porterai tous les détails intéressants que j'ai puisés dans ces documents à la connaissance de la commission formée auprès du Ministère du Commerce et je ne doute pas qu'elle n'apprécie comme moi et la générosité des sentiments qui dirigent votre société et les heureux résultats qu'elle obtient."La même année, un homme dont on ne récusera pas la compétence, le fondateur de la Ligue de l'Enseignement, Jean Macé, déclarait que les écoles juives de Strasbourg et de Mulhouse avaient le mieux résolu en France la question de l'enseignement professionnel.
"A coup sûr, une école aussi bien conçue n'a rien de confessionnel et présente des avantages si réels pour l'apprentissage, qu'il est à désirer de les voir imiter ailleurs, dans notre département, pour les enfants des diverses communautés chrétiennes!”
Détail curieux : un décret du gouvernement de Louis-Philippe règle le mode de nomination des Consistoires. Sont électeurs ceux qu'on appelle les notables. Sont notables ceux qui sont inscrits à titres divers sur les grandes listes électorales du pays. Une ordonnance spéciale y ajoute un certain nombre d'électeurs qui ont ce titre dont ils sont fiers : "Membre de la Société de l'École de Travail". C'était alors un titre d'honneur.
Cette histoire du petit Isaïe n'est-elle pas, à bien des égards,
l'histoire de l'Alsace juive elle-même ? Combien en ai-je connu de petits
Isaïe, qui par leur travail, par leur volonté, par leur persévérance,
sont arrivés à gagner leur vie, à entretenir leur famille
et ont su mériter l'estime de tous ! Le petit Isaïe ! mais je
le trouve déjà sur la liste des notables commerçants
de 1845.
Le petit Isaïe ! je le trouve parmi ces fabricants de toile, ces fabricants
de drap, ces fabricants d'étoffes, ces marchands de bois, ces marchands
de fer, ces marchands d'étoffes et autres qui, sous Louis-Philippe,
paient la contribution électorale demandée par la loi, sont
connus par leur honorabilité commerciale et appelés à
ce double titre à prendre part aux affaires générales
du pays !
Augustin Périer avait raison de les rappeler, ces écoles d'où allaient sortir non pas seulement quelques brillantes individualités, mais toute une population dont le niveau intellectuel et moral s'élevait chaque jour. Voici un fait qui m'a vraiment touché ; je l'emprunte au Lien d'Israël de 1858 :
"Ce qui a distingué cette année la distribution des pains azymes aux israélites pauvres de Mulhouse, c'est le refus de plusieurs familles, placées encore l'année dernière sur la liste des indigents, de participer désormais aux bienfaits de la communauté, pour la raison que leur position s'était améliorée par suite du travail de leurs enfants”.- Voilà un beau progrès moral !
Nombre de gens ont été frappés non pas seulement des progrès faits par les Juifs d'Alsace, mais de la rapidité de ces progrès. J'en trouve l'aveu chez ceux mêmes qui avaient des préventions contre les Juifs. Tel l'auteur de ce livre publié en 1824 - notez la date - Considérations sur l'état des Juifs dans la Société chrétienne et particulièrement en Alsace :
"Les hommes ne sont pas incorrigibles. En Alsace et à Strasbourg surtout ils ont déjà profité de l'instruction ; personne ne peut en disconvenir; il faut donc répandre sur eux les bienfaits de l'instruction".Aujourd'hui nous trouvons tout naturel d'avoir de belles communautés, de belles synagogues, où le service se fait avec ordre et solennité, de belles écoles, des hôpitaux, des sociétés de bienfaisance et de secours mutuels, des administrateurs éclairés. - Nous profitons de l'expérience de nos prédécesseurs, et même de leurs fautes. - Alors tout était à créer; il fallait tout faire à la fois. Dans le rapport dont j'ai parlé plus haut il est question des écoles primaires ; il est question des écoles de travail ; il est question de combattre la mendicité ; il est question d'introduire le chant dans la synagogue; il est question de mettre plus d'ordre et de dignité dans les convois funèbres ; il est question de recueillir des fonds pour un hôpital. Tout était à faire à la fois. Par où commencer, et comment s'y prendre? On ne savait pas, on essayait, on échouait, on recommençait et l'on finissait par réussir !
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