Elle ressortit au mystère même de la
Musique. Elle est, parce qu’il fallait qu’elle fût. Si Rouget de
Lisle ne l’avait composée dans les vertiges d’une nuit, elle se serait
imposée dans l’incandescence d’un midi, la froideur d’un matin, n’importe
comment, n’importe à qui. C’était son heure , elle est venue.
Qu’on la jouât, chantât, criât : La Liberté
l’escortait, le Droit la scandait, les nations l’écoutaient, les tyrans la
maudissaient, les opprimés relevaient, éblouis, le front et tendaient les
bras éperdus.
On ne cessera de s’étonner de la candeur de
Bach, de l’innocence de Mozart, de la générosité de Berlioz. Comment
ont-ils pu vivre ? Par quelle grâce, quel secours ? On ne cessera de
s’enthousiasmer aux accents de La Marseillaise. Comment a-t-elle pu
exister ? Par quel miracle , quelle vertu ? L’entendement n’y
connaît rien, le cœur s’y reconnaît instantanément.
L’entendez-vous ? Elle est grave ,
triste. Qu’attend-elle pour clamer la joie. Elle vous attend. Vous.
Abandonnez-vous. Il faut que vous vous abandonniez. Elle vous emporte.
Elle est
superbe.
Entre L’Hymne national et l’Alsace, le rapport est
évident. C’est à la suite d’un des avatars dont la
Révolution fut particulièrement prodigue, que le Chant de guerre de
l’Armée du Rhin composé à Strasbourg, allait devenir la
Marseillaise.
Il est probable que le texte de Richard et
André Neher suscitera, en un premier temps, le sourire de
certains lecteurs, peu enclins à en priser la teneur
et le style … Question d’époque et de mode
!
Pourtant cette approche initiale, une seconde
lecture viendra assurément en modifier la perspective
. La date de composition, contenue dans le titre,
est à l’évidence, primordiale : "Pour le cent cinquantième
anniversaire de la Révolution française » …. Il
s’agit de l’an 1939 ! …Le document, écrit dans le contexte
politique que l’on sait a été publié dans la critique
musicale de la Revue
des Etudiants en pharmacie H2S de l’Université de
Strasbourg, (1) en septembre de cette même
année. … En septembre !… Au lendemain de l’invasion de la Pologne
!
Un texte empreint d’une telle
exaltation associée à une date aussi signifiante,
appelle le commentaire . Il est évident qu’il ne peut avoir été rédigé
que sous la pression des événements. Dans Le Dur bonheur d’être juif,
André Neher parle du judaïsme d’Alsace d’alors, comme d’un "Judaïsme
français, tricolore, sans ambiguïté, sans déchirement" vivant en
symbiose avec son environnement . Mais aussi, à un niveau plus
personnel, il évoquera l’influence bouleversante que devait avoir
sur sa famille, dès 1936, une phrase prononcée dans un discours
par le ministre Albert Sarraut : "Nous ne laisserons pas Strasbourg
sous le feu des canons allemands".
Si, à cette époque, la famille Neher
vit parfois à l’étroit, elle restera toujours prête à
apporter aide et assistance aux plus démunis, en particulier, au
flot des réfugiés fuyant l’Allemagne nazie. Existence chiche sans
doute, mais dont le quotidien, pétri de tradition juive et
de culture biblique ne laissera jamais de nourrir un vif intérêt
pour tous les courants intellectuels et artistiques du temps, la
musique, la créativité littéraire, la peinture .
C’est ce dernier aspect qui, dès
l’abord, émerge de notre texte : l’origine quasi surnaturelle de
l’inspiration et du surgissement au monde de la Marseillaise, le "miracle" de sa création, les références à l’esthétique musicale de
Bach, Mozart, Berlioz, les réactions émotionnelles et enthousiastes qui
en émanent …. Autant de données qui permettent de discerner, déjà,
cette propension au lyrisme neherien qui s’épanouira
par la suite.
Il reste que la part laissée à
l’idéologie et surtout à l’angoisse du temps est ici dominante …
Richard et André Neher évoquent une Marseillaise jouée,
chantée mais aussi "criée". Criée pour clamer la bonne parole,
la Liberté et le Droit aux oreilles des nations , au
grand dam de ses ennemis jurés, les tyrans, qui
n’auront de cesse de la "maudire". Une Marseillaise destinée à
apporter appui et espérance à tous "les
opprimés relevant, éblouis, le front et tendant leurs bras éperdus".
On ne peut pas ne pas penser, ici, à
l’extraordinaire poème de Paul Eluard, Liberté, publié dans un
recueil, en 1942, et qui prendra rang parmi les chefs-
d’œuvre de la littérature de la Résistance :
Sur toute chair accordée Sur le front de mes
amis Sur chaque main qui se tend J’écris ton
nom
N’y a-t-il pas déjà dans le texte de
Richard et André Neher, par le choix de certains termes, une
espèce de prémonition de ce qui se tramait dans l’Europe
d’alors, et qui allait surgir avec une violence
innommable, quelques mois plus tard : dans les "vertiges" de la
nuit, "l’incandescence" des midis et la "froideur" glaciale des
matins ?
A la veille du 14 juillet 1939, la
Marseillaise, devenue "grave … triste",
attendait, dans l’anxiété, des développements qui
auraient pu lui faire retrouver tous ses attributs d’antan : l’ouverture
à la joie, à l’enthousiasme, à la "superbe".
Ces attributs, la
Marseillaise ne les retrouvera que cinq ans plus tard .
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L'Hymne national :
- Allons enfants de la Patrie
Le jour de gloire est
arrivé Contre nous de la tyrannie L'étendard sanglant est levé Entendez vous dans nos campagnes Mugir ces féroces
soldats? Ils viennent jusque dans vos bras, Égorger vos fils,
vos compagnes!
Aux armes citoyens! Formez vos
bataillons! Marchons, marchons, Qu'un sang impur Abreuve
nos sillons.
- Que veut cette horde
d'esclaves......
- Quoi ! des cohortes
étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !.......
- Tremblez, tyrans! et vous, perfides,
- Français ! en guerriers magnanimes
Portez ou retenez vos
coups. ......
- Nous entrerons dans la
carrière,
Quand nos aînés n'y seront plus......
- Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras
vengeurs! Liberté, Liberté chérie! Combats avec tes défenseurs. Sous nos drapeaux, que la victoire Accoure à
tes mâles accents, Que tes ennemis expirants
Voient ton
triomphe et notre gloire !
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