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Les paysannes de Réguisheim [Alsace] avaient teint leurs draps en bleu et rouge. Un garçon de quatre ans, orphelin de guerre, leur indiqua dans quel sens mettre les couleurs à la hampe. C'était le 11-XI-1918, le plus beau jour de notre vie, malgré les deuils et les ruines, après quarante huit ans d'occupation. C'était la victoire de la "Der des der". Mais la paix est une création continue...
La vie continua. "Pour vaincre la vie chère, économisez votre pain!" Les Années "Folles". De mirage en mirage... Briand et Kellog mirent la guerre hors-la-loi.
Janvier 1928, fondation avec le rabbin Kaplan et le chef Loup-gris, des E.I.F. de province, à Mulhouse.
... Vingt ans après l'armistice, le monde avait changé. Toujours quelques crimes précèdent un grand crime; élimination des patriotes : Rathenau, Dolfuss, Albert Londres, le roi Alexandre et le ministre Barthou, le sergent Maginot, le général Mangin, le président Doumer etc...
La guerre avait recommencé en Asie, en Afrique et en Europe. Le grand rabbin de Paris avait, sous les huées, à Strasbourg, mis en garde contre les périls sataniques qui menaçaient le monde. Pierre Eudes avait écrit La Garde du Rhin ; mais le Rhin était mal gardé, à tous points de vue. L'atmosphère était devenue peu à peu délétère à Strasbourg dans les années trente.
En 1936, une coalition démagogique sextuple, antimaçonnique, "antijacobine", antibolchévique, remporta malgré l'opposition patriotique des Croix-de-Feu, les élections législatives à Strasbourg et à Saverne ; le règne de l'absurde avait commencé, car les deux factions communistes, dissidente et orthodoxe, votaient avec la coalition! Aux agressions antisémites, les officiels répondaient : "mais il ne faut pas "les" énerver"'. Les jeunes juifs de Strasbourg furent obligés de créer un groupe de défense, avec exercices de lutte, propagande, affichage.
Citons trois actions :
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Equinoxe de septembre 1939. La France entre en guerre. J'étais mobilisé à la Base Aérienne de Tours. Départ aux Armées en janvier 1940, d'abord à Fontaine près de Belfort, puis à st André Cernay pour construire un terrain d'aviation, qui servit, quelques mois plus tard, de centre mondial des S.S.
10-V-1940, Blitzkrieg ; la Luftwaffe était partout, Hollande, Belgique et France. Notre compagnie de l'air 18/121 fit mouvement pour Mathay-Bourguignon; nous fîmes des barrages dérisoires contre les chars allemands. L'invasion fut bien aidée par les différentes cinquièmes colonnes de droite et de gauche. André Tardieu avait écrit : "du Rhin au Pacifique l'inégalité des races s'oppose à la valeur occidentale de l'égalité des hommes".
"Retraite jusqu'en Aveyron. Au solstice de juin, le dernier premier ministre de la Troisième République, le maréchal "caméléon " Pétain renversa celle-ci, chassa le président Lebrun, emprisonna des ministres comme Georges Mandel et créa la "Révolution nationale". C'était le `"Pays réel', rêvé par Maurras et Degrelle, anti-Sémite, antimaçonnique, xénophobe, mais ami de l'URSS jusqu'au 22-VI-1941 ; ce jour-là, où Hitler viola le pacte germano-soviétique, le "judéo-bolchévisme" devint le principal ennemi de la Révolution nationale. On lui attribua la devise: "Marché noir, bibliothèque rose et surtout Terreur blanche". Parmi les victimes: le ministre antifasciste Max Dormoy, les époux Victor Bach, les ministres Mandel et Jean Zay, Maurice Sarrant etc...
N'étant pas en reste avec les Nazis, Pétain fit exécuter des otages [le Dossier secret], fit guillotiner des femmes. Nos linguistes ont perdu une bonne occasion de faire un répertoire adéquat à la situation, des mots ne suffisaient plus et sont tous des euphémismes. Les Allemands, eux, ont fabriqué un vocabulaire nazi.
Dans l'exposé des motifs du Statut des Juifs [octobre 1940], le maréchal caméléon a dit : "Les enseignants juifs ont une influence dissolvante, ils corrompent l'âme et le corps des enfants aryens." Il y eut des héros et martyrs de la Résistance dans l'enseignement, mais les ministres humanistes putatifs, Chevalier, Carcopino, sans parler d'Abel Bonnard, les recteurs, les
inspecteurs, appliquèrent avec zèle les lois d'exception. Nommé professeur de math au Lycée de la Roche-sur-Yon, j'ai vu le journal breton "L'heure bretonnne a sonnée au cadran de l'histoire"; les séparatistes avaient proclamé l'Indépendance et l'alliance avec l'Allemagne, mais les paysans bretons s'y étaient opposés et la Wehrmacht a dû protéger les séparatistes. Le jour où je fus chassé de l'enseignement, le personnel du Lycée se rassembla pour me voir partir. Seuls deux hommes me donnèrent la main : le concierge et le Pasteur Ballu, devenu mon ami.
Autre déception: nos dirigeants syndicaux, Delmas et Fortier, ennemis jurés sous la République, fraternisèrent dans la "Révolution nationale" et la "Kollaboration". Malgré les mises en garde du "Juif métèque" Joseph Kessel, la France avait perdu, temporairement, son rayonnant visage. J'obtins quelques leçons particulières et organisai un petit cours par correspondance. Une délégation de mes élèves du Lycée vint me saluer et m'apporter du ravitaillement. L'armée ne m'oublia pas et me dégrada de mon grade de "soldat de première classe."
Le maréchal caméléon avait prétendu "haïr les mensonges". Jamais sous son règne, il n'y eut de si gros mensonges et tant de calomnies auxquelles on ne pouvait répondre.
Le commissaire de police me convoqua pour mettre un tampon "juif" rouge baveux sur ma carte d'identité et m'interdit, sous peine de prison, de sortir de la ville. Etant convoqué à Paris par la SNCF, je dus aller solliciter le colonel allemand Feldcommandant. Je bénis mes neuf professeurs d'allemand, ce qui me permit de traduire mon dossier et de parler correctement allemand. J'obtins une autorisation d'aller à Paris. Le colonel était moins nazi que le commissaire français ! Je pus travailler à la division des ouvrages d'art [à la SNCF]. Ils avaient été détruits par la Luftwaffe en 1940, puis reconstruits et détruits en 1942 à 1944 par les Alliés. Je faisais aussi des traductions.
Hommage à la SNCF pour engager un juif en 1941 et lui donner du travail pendant l'occupation et la "Révolution nationale". Quel contraste avec l'Education nazi-onale! J'obtins une fausse carte d'identité au nom de Leroy. La SNCF me trouva, avec ma mère, un autre logement et assura le déménagement malgré la pénurie de véhicules, une fois après la visite très suspecte d'Allemands à notre appartement et ensuite, à Saint-Cyr, en raison des bombardements intensifs des Alliés. Par miracle je fus épargné dans une rafle dans une rotonde du métro. En lisant en 1942 le journal l'Appel, je pris connaissance des problèmes, à Dijon, de la famille Picard [voir l'article Un scandale à Dijon dans le site].
En août 1944, enfin, j'ai vécu la Libération à Paris. Le maréchal caméléon était à Siegmaringen avec son gouvernement fantoche ou fantôme. Hélas la Shoa avait décimé la famille. Que de morts "sans sépulture" :
Ma grande-tante Marthe Aron et son fils Claude, héros de la guerre et de la résistance, victimes de leur patriotisme inconditionnel, ma tante Germaine Willard et ses enfants Claude, Huguette et Anny, arrêtés à Nice, ma tante Ida et toute la famille Halbronn, arrêtés à Epinal, mes cousins Jean Willard, victime de Papon, son neveu Georges Willard, parachuté au débarquement et fusillé, Paul Geismar, arrêté à Lyon et le Docteur Georges Levy, arrêté près d'Agen, assassiné en Lithuanie.
Que leur sacrifice ne soit jamais oublié et inspire à tous la volonté de justice de fraternité et de paix.
Réintégré dans l'enseignement, d'abord à Honfleur, puis à Bouxwiller, enfin à Mulhouse.
Je n'avais pas oublié la famille Picard. Le 25-IX-1947, j'épousai à la synagogue de Wintzenheim [Haut-Rhin], Yvonne Picard, certifiée de mathématiques. Depuis ce jour nous jouissons du bonheur conjugal et de l'affection de nos enfants et petits-enfants.
Pierre LEVY Critiques et remarques sont bienvenues ! |