POUR HANOUCCA

A l'occasion de la fête de Hanoucca, nous avons demandé à Messieurs les grands-rabbins et rabbins de Paris quelques lignes à l'adresse de nos soldats et de leurs familles. Nous sommes heureux de publier les contributions qu'ont bien voulu nous adresser M. le grand rabbin de France, M. le grand-rabbin de Paris, MM. les rabbins Debré, M. Lambert, M. Metzger et F. Meyer.

Le Grand-Rabbin du Consistoire Central
aux soldats israélites de france et d'algérie

Mes chers amis,
Je profite de l'hospitalité que la rédaction de l'Univers Israélite a bien voulu m'offrir dans son estimable journal pour vous envoyer mon salut cordial et paternel.

Je vous ai vus dès le premier jour de la mobilisation répondre à l'appel de la patrie en danger avec cet empressement, cet entrain, cet enthousiasme qu'ont manifestés avec vous tous vos camarades de l'armée.

Depuis plus de quatre mois vous avez déployé dans la lutte une admirable bravoure, soutenus par cette force morale qu'inspire au soldat français la noble cause qu'il défend. Beaucoup d'entre vous se sont distingués par de hauts faits d'armes qui leur ont valu des citations à l'ordres du jour et des distinctions flatteuses ; beaucoup ont reçu en combattant de glorieuses blessures ; beaucoup aussi, notamment Monsieur l'aumônier militaire Abraham Bloch, grand-rabbin de Lyon, ont payé de leur vie leur dette à la patrie. Merci à tous, mes chers fils, au nom du judaïsme français que vous avez grandement honoré.

Vous êtes les dignes descendants des Hasmonéens, dont la fête de Hanouca que nous allons célébrer évoque le souvenir.
Il y a plus de deux mille ans, Israël soutenait une lutte formidable contre un adversaire puissant en nombre, qui avait envahi son territoire, profané et saccagé son temple et commis sur son sol tous les excès d'une brutalité sauvage. C'était alors aussi un combat terrible entre le droit et la force, entre une nation qui s'appuyait sur un Dieu de justice et d'amour, qui se recommandait de sa Loi céleste, proclamant déjà les principes modernes de liberté, de solidarité, d'égalité, et un peuple enorgueilli par sa force matérielle et bravant toutes les lois divines et humaines. Et la victoire resta acquise au bon droit et le nom de Juda Maccabée a traversé glorieusement la nuit des temps : il est parvenu jusqu'à nous comme synonyme de vaillance et d'héroïsme.

Mes chers enfants, que le souvenir de votre illustre ancêtre demeure sans cesse présent votre mémoire. Continuez à bien mériter de notre France bien-aimée. Bon courage, confiance en Dieu qui nous assurera la victoire finale !
Qu'il vous bénisse et vous protège et, avec vous, nos chers alliés et nos dignes compagnons d'armes de toutes les opinions et de tous les cultes !

Alfred LÉVY,
Grand-rabbin de France.
Paris, décembre 1914.


A nos chers Soldats de France

Hanouka au front - cette photo date de 1916 et ne fait donc pas partie de ce numéro
de l'Univers israélite

Pourquoi, cette année, en nous approchant de notre vieille lampe de Hanouka, ce modeste et précieux legs de nos parents, nous sentons-nous envahis par une émotion profonde et étrange ? Pourquoi ce cher "meuble de famille " nous apparaît-il à cette heure, comme une sorte de relique sainte ? Pourquoi, en y allumant ce soir la lumière traditionnelle, notre main tremble-t-elle et notre cœur se serre-t-il si fort? Pourquoi enfin, malgré cette émotion et ce serrement de cœur, notre âme se sent-elle comme transportée sur les ailes de l'espérance vers des régions heureuses qu'elle entrevoit maintenant et que, déjà, de loin, elle salue avec enthousiasme ?

C'est que cette vieille fête de Hanouka, par les souvenirs qu'elle commémore, parle cette année à notre âme avec une poignante éloquence. Elle est rajeunie singulièrement, cette fête, car l'histoire tragique qu'elle nous raconte est l'histoire que nous vivons, ou plutôt que vous vivez, vous, nos vaillants défenseurs, tant il est vrai que l'histoire est une perpétuelle répétition !

La guerre des juifs, sous la conduite des héros asmonéens n’était pas, on le sait, une guerre de conquête. La pacifique Judée, qui n'aspirait qu’à vivre à "l'ombre de la vigne et du figuier", avait consenti mainte concessions maint sacrifice, pour éviter l'œuvre sanglante de la guerre. Mais elle dut recourir au glaive lorsque le fou couronné qui régnait en Syrie ne se contenta plus de la blesser dans sa juste fierté, mais projeta de réunir sous son sceptre tyrannique les peuples voisins et de réaliser, dans cet immense empire de son ambition démente, l'absorption de tous les peuples et de toutes les religions par son peuple et sa religion. C'était pour Israël l’anéantissement de son haut idéal séculaire, fait de croyances pures de mœurs austères, de sentiments nobles, dans la puissante "culture " païenne faite de jouissances et d'ambitions d'un matérialisme grossier.

Dieu et les héros d'Israël qui pouvaient eux, sincèrement invoquer leur "vieux Dieu ", dont ils défendaient les immortelles doctrines de la justice et du droit, en décidèrent autrement. Ce fut une lutte épique, où les vaillantes troupes juives, se distinguant par un rare mépris de la mort, remportaient chaque jour de nouvelles victoires. L'ennemi fut défait, chassé du territoire envahi et la Judée victorieuse put instituer la fête de la liberté que nous célébrons actuellement.

Cette histoire chers soldats, est et sera la vôtre. Notre chère France, foncièrement pacifique, toute absorbée par son activité économique et scientifique, artistique et littéraire, adonnée à son œuvre de progrès social, a été gratuitement, odieusement attaquée par un autre fou couronné. Comme jadis la Palestine, le sol de notre chère patrie est souillé par la présence de légions barbares qui, comme jadis aussi, n'ont pas seulement l'ambition de conquérir cette terre à laquelle nous sommes filialement attachés, mais rêvent de détruire, par le fer et le feu, tout ce qui rappelle notre grandeur matérielle et morale, les gloires du passé et les espérances de l’avenir ; en un mot notre idéal de liberté, de progrès et de lumière.

Vous êtes, vous, chers soldats, nos Asmonéens modernes. A vous l'honneur d'accomplir, comme les autres, vos illustres modèles, cette belle œuvre de Défense nationale ! Et, comme pour les autres aussi, Dieu sera avec vous. Vos succès éclatants qui, déjà, vous ont attiré l'admiration des peuples et que nous suivons d'ici, nous, vos pères, vos mères, Vos épouses, vos sœurs, seront bientôt couronnés par la grande victoire et constitueront la glorieuse Histoire dont le récit fera battre les cœurs des générations futures.

Et, en disant ces paroles, nous pensons tout particulièrement à vous, nos frères israélites, qui êtes les descendants des immortels Asmonéens. N'êtes-vous pas deux fois heureux de prendre une grande part aux "Gesta Dei per Francos", aux hauts exploits de Dieu par les Français ? Que votre œuvre est belle et votre mission glorieuse !

Ah certes, nous n'oublions pas toutes les misères et privations que vous - vous qui êtes la chair de notre chair - endurez chaque jour et à chaque heure. Nous souffrons de vos souffrances. Mais, en vous envoyant, le soir de Hanouka, notre salut attendri, nous vous disons avec le psalmiste : votre lot est parmi tes plus beaux !

Brillez donc, antiques et chères petites lumières de Hanouka !
Brillez donc dans nos foyers vides de nos fils, de nos frères et de nos maris, qui combattent, en ces jours, avec une invincible vaillance, pour le patrimoine moral et pour la vie de la France !
Brillez dans nos foyers, vous qui n'illuminez pas seulement le tableau des doux souvenirs de notre enfance, mais qui, dans notre âme émue, éclairez et animez aussi les images de nos chers absents !
Brillez clans nos foyers, vous qui êtes si humbles, mais qui projetez une nette et belle lueur sur la page auréolée de l’histoire des Maccabées, celle du triomphe du Droit et de la Justice !
Brillez dans nos foyers, vous qui êtes le passé, mais qui dressez devant nous la radieuse vision de l'avenir, où, déjà, nous voyons le sol de notre patrie adorée purifiée de l'ennemi arrogant et régénérée sous le souffle fécond de la victoire !
Brillez enfin dans nos foyers, vous qui nous direz bientôt adieu cette année, avec la tristesse de laisser nos familles dispersées et soucieuses, mais qui, en nous quittant, nous laisserez le ferme espoir de pouvoir, à votre retour de l'an prochain, avec l'aide de Celui qui s’appelle Ich milhomo, l'Arbitre des Batailles, réciter ainsi notre prière rituélique de Hanouka : "Bénis sois-tu, ô Eternel, qui as accompli des merveilles en notre faveur. Nous sommes fiers maintenant des nôtres qui nous ont fait honneur, et nous sommes heureux de voir, grâce à la vaillance inlassable de nos troupes, notre chère France continuer, dans la gloire et la paix, sa mission d'affranchissement et de fraternité entre les hommes.

S. DEBRÉ, rabbin.

Patrie et liberté de conscience

Lorsque Matathias et ses fils se révoltèrent conte la tyrannie d'Antiochus Epiphane, ils ne voulaient pas tant défendre le sol natal contre l'invasion des étrangers que refuser de rendre hommage à une divinité qui n'avait rien de commun avec leur Dieu et faire respecter leur droit de pratiquer leur religion. Les juifs s'étaient soumis à la domination perse, puis à la domination grecque, se contentant qu'on leur laissât observer leur culte.
De même les Alsaciens Lorrains se seraient peut-être résignés à supporter le joug allemand, si les vainqueurs leur avaient laissé la liberté de penser à leur manière et de rester fidèle à leurs souvenirs et à leurs traditions.

Les israélites français qui combattent en ce moment ont double raison pour consacrer toutes leurs forces à la patrie et à lui sacrifier leur vie. Tout d'abord ils veulent repousser l'attaque dirigée contre l'indépendance de leurs pays et lui conserver le droit de disposer de lui-même. Mais ils doivent aussi penser que la France et les peuples alliés défendent la cause de la liberté et de la justice. Ils luttent pour l'indépendance des nations, de toutes les nations, petites ou grandes, que les Allemands voudraient asservir. Ils combattent pour le respect des minorités. La victoire des alliés favorisera la liberté de conscience, car si l'on respecte le droit d'un petit peuple, on s'engage à faire valoir aussi le droit d'une minorité dans une nation. Les alliés veulent qu'on tienne la parole donnée au faible, hors d'état de se défendre lui-même. Voilà ce que signifie la guerre menée par la France l'Angleterre et la Russie.

Nous rappelons que pour la Bible le respect de Dieu c’est le respect de la morale, et c'est blasphémer le Créateur que d'invoquer son nom pour justifier le parjure, l'assassinat le vol. Le Psalmiste écrit : "Qui montera sur la montagne du Seigneur et qui se tiendra dans le lieu de la sainteté ? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, celui qui n’a pas prononcé son nom pour la fausseté et n'a pas juré pour la tromperie Celui-là recevra la bénédiction du Seigneur et le triomphe du Dieu de son salut ".

Mayer LAMBERT,
Professeur à l'Ecole Rabbinique de France

Pour nos combattants et pour nos blessés
Pour nos morts et pour leurs parents

p r i è r e

Office au front - cette ne fait pas partie de ce numéro de l'Univers israélite

Seigneur, toi à qui appartiennent, comme dit l‘Ecriture, "la grandeur, la puissance, la victoire et la majesté, - car, tout dans le ciel et sur la terre, est à toi ; c’est en ta main que se trouvent force et puissance, c'est ta main qui peut tout grandir et tout affermir, - Eternel, souverain maître de toutes choses ", daigne étendre ta grâce, ta miséricorde, ta protection efficace sur les nobles et vaillants enfants de la France qui, animés d'une foi ardente et d'une volonté inébranlable, se sont levés pour défendre le sol sacré de la patrie. Ils ont tout abandonné, parents, épouses, familles, leurs intérêts les plus précieux, tout ce qui donne du prix à la vie, pour n'écouter que la voix du devoir, le devoir qui se résume pour eux, à l'heure présente, dans ce seul mot : vaincre ; vaincre en dépit des obstacles, en dépit des épreuves même qui ne pourront entamer ni leur courage indomptable, ni leur patriotique abnégation ; vaincre, non pas par orgueil, non pas pour dominer, pour conquérir, mais pour défendre, pour protéger la terre de notre patrimoine héréditaire, pour venger l'injure faite au droit et à la justice.

Car tu le sais, ô Seigneur, notre cause est juste et droite. Et c'est parce qu'elle est juste et droite que, d'un bout du pays à l'autre, un même frisson a secoué toutes les poitrines, frisson de révolte, de résolution, de courage et d’espérance ; c'est parce qu'elle est juste et droite qu'elle a trouvé un si merveilleux écho, au-delà de nos frontières, dans la conscience de ces peuples amis qui continuent à donner la mesure de leur fidélité héroïque ; c'est parce qu'elle est juste et droite que nous avons vu stoïquement partir nos enfants et tous ceux qui nous sont chers, certes, non point sans larmes, mais avec une volonté résolue et réfléchie ; enfin, c'est parce que notre cause est juste et droite que nous la confions, sans hésiter, à ta bonté et à ta miséricorde. Prends-la, Seigneur, sous ton égide toute-puissante, et exauce nos prières.

Nous te prions, Seigneur, d'un cœur ardent et ému, pour nos maris, pour nos fils, pour nos frères, pour tous ceux qui nous sont chers, et qui, depuis de longues semaines, combattent à côté de leurs frères d'armes, héroïquement, opiniâtrement, insouciants de toutes les fatigues de toutes les souffrances, de tous les périls, tout leur être tendu vers cette espérance radieuse qui promet le salut et la délivrance. "Que ta main toute-puissante soutienne leur vaillance et que ta Providence miséricordieuse les couvre de ses ailes protectrices ! "

Nous te prions, Seigneur, en faveur de nos chers et glorieux blessés, qui souffrent de leurs blessures, mais qui souffrent davantage encore de l’impuissance où ils se voient réduits pour un temps, de leur impatience frémissante de reprendre bientôt leur place dans les combats. Seigneur, toi qui es le "maître de la guérison", viens en aide à leurs souffrances ; guéris leurs blessures et calme leurs peines morales ; conserve-les à leurs parents, à leurs familles, conserve-les à la France.

Nous te prions, Seigneur, pour ceux, hélas ! qu'il t'a plu de rappeler à toi, pour cette jeunesse, notre espoir, moissonnée au printemps de la vie. Ah pardonne-nous si nous pleurons ; pardonne-nous si nous paraissons nous élever contre les décrets de ta Providence. Non, nous ne voulons pas murmurer ; nous voulons "glorifier ton nom" et nous dirons : Puisqu'il t'a plu de nous frapper par des épreuves si cruelles, nous te rendons grâces d'avoir préparé à ceux que nous pleurons la mort la plus glorieuse, celle qu'on récolte au champ d'honneur Seigneur, "nous recommandons leur âme pure aux célestes et immortelles félicités que tu réserves, au- delà de la tombe, aux élus parmi les élus ".

Mais si nous te prions pour ceux qui ne sont plus, nous te prions aussi pour ceux qu'ils laissent après eux ; nous te prions pour ces parents, pour ces épouses, pour ces enfants, pour tous ces êtres chers qui les entouraient ici-bas comme d'un réseau de tendresse et de sollicitude. Toi qui es "le consolateur suprême ", daigne consoler les affligés, daigne faire descendre dans leur cœur la résignation, la paix, la sérénité. Qu'ils se glorifient dans le souvenir des chers disparus ! Qu’ils vivent avec leur douce image ! Qu'ils s'inspirent de leur exemple et ils seront, eux aussi, vaillants, intrépides, héroïques.

Nous te prions enfin, Seigneur, avec l'assurance que tu accueilleras les purs hommages de notre foi, de notre foi en ton secours, les témoignages irrécusables de notre piété émue et consciente, avec l'assurance que tu tiendras compte des sacrifices douloureux que nous avons faits pour le salut et la grandeur de la patrie ; - nous te prions de faire rayonner bientôt à nos yeux, rayonner dans tout son éclat la victoire, la victoire couronnée par la paix, par le bonheur.

"A toi, Seigneur, la délivrance ; à nous, ta bénédiction !" (Ps., 3,9). - Amen.

J.-H. DREYFUSS,
Grand-rabbin de Paris.