Pendant vingt ans, la figure lumineuse du Rabbin Brunschwig a éclairé notre Communauté (la Communauté Orthodoxe Ets ‘Haïm de la rue Kageneck à Strasbourg). Pour la diriger, il avait démissionné de son poste d’Aumônier militaire de la Sarre, où il ne se sentait pas suffisamment utile au Klal Yisraël (L’ensemble d’Israël).
Né en 1888 à Altkirch, dans une famille pratiquante comme on l’était dans les petites villes d’Alsace à cette époque, il sentit très vite le besoin d’acquérir des connaissances plus poussées et la vocation de s’occuper des autres. Aussi fit-il ses études à l’Ecole Rabbinique de Berlin sous la direction de Rav David Hoffmann, en même temps qu’il suivait des cours à l’Université.
Nommé rabbin de notre Communauté en 1920, il consacra toute son énergie à son développement et, en particulier, au Talmud-Thora (cours d’instruction religieuse). Pour cela, il engagea à temps plein un élève de Rav Salomon Breuer, M. Salomon Speier (qui est décédé il y a quelques années à Zurich) grâce à qui la plupart des jeunes d’avant guerre ont acquis une bonne part de leurs connaissances.
L’enseignement du Rabbin Brunschwig provoquait parfois l’impatience de ses élèves : il ne quittait pas un sujet avant que le moins doué d’entre eux n’ait compris et il ne s’énervait jamais. Il s’intéressait non seulement à leur instruction, mais surtout à leur éducation, à leur manière de vivre et de penser. De nombreux jeunes lui doivent leur amour du judaïsme et leur attachement à l’étude journalière et approfondie. Ses efforts pour faire retrouver à la jeunesse la tradition authentique du judaïsme se traduisirent en 1932 par les contacts qu’il établit avec la Yechivah (école talmudique) de Montreux, dirigée à cette époque par son fondateur : Rav Elyahou Botschko. Par la suite, nombre de ses élèves devaient faire des séjours profitables et inoubliables à Montreux. C’est ainsi que, grâce à lui, l’idée de Yechivah put faire son chemin dans les milieux alsaciens et français en général, avec tout l’enrichissement spirituel qui en découle.
Bien que n’ayant pas eu d’enfants eux-mêmes, leur plus grand plaisir était de vivre avec les jeunes et de les recevoir chez eux. Qui d’entre nous ne se souvient de ces soirées de Pourim où le Rabbin Brunschwig et sa femme nous recevait comme leurs enfants ?
C’est sous son impulsion que se fonda en 1926 l’Association Sportive Juive de Strasbourg qui devait par la suite devenir le Mouvement Yechouroun fondé sur la doctrine de Rav S.R. Hirsch : Thora im Dére’h Eretz (la Thora et l'ouverture au monde). Agoudiste convaincu, ami du Docteur Deutschländer fondateur du mouvement des Batei Yaakov, il prit part à la troisième Knessia Guedolah (grande assemblée) de l’Agoudat Yisraël en 1937, dont il revint enthousiasmé par ses contacts avec les Guedolim (grands rabbins, savants). Sur ses conseils, Yechouroun devait adhérer à l’Agoudat Yisraël jusqu’en 1940. Cette intégration était pour lui une garantie pour sa stabilité religieuse sous l’égide des Guedolim qu’il avait approchés.
Sa bonté et sa simplicité avaient attiré à Kageneck de nombreux membres qui le considéraient un peu comme un père. Il vivait en parent de toute la communauté, s’intéressant aussi bien à leurs problèmes religieux que familiaux. Il n’hésitait pas à être mo’hel al kevodo (faire abstraction de son honneur) pour maintenir la paix dans la communauté.
Forcé par la guerre de quitter Strasbourg en 1939, il prit très à coeur ses fonctions d’Aumônier militaire et visitait régulièrement ses ouailles jusque sur la Ligne Maginot. Il s’occupait de leurs besoins spirituels et matériels, les aidant à rester, malgré leur isolement, des Juifs conscients et pratiquants.
En 1940, il s’occupe de la Communauté othodoxe de Lyon et des Juifs dispersés autour de l’agglomération. C‘est pendant ces années terribles, alors qu’il était lui-même réfugié, que le Rabbin Brunschwig devait donner la pleine mesure de son ‘Hessed (sa bonté). Il y avait alors à Lyon une nombreuse population juive. Elle comprenait, outre les réfugiés alsaciens souvent sans ressources, des Juifs réfugiés en France venant des pays occupés par Hitler dont certains ayant réussi à s’échapper des camps où le Gouvernement de Vichy les avait internés en 1940. Leur situation était d’autant plus précaire qu’ils étaient parmi les premiers à être recherchés par la Gestapo et qu’ils n’avaient ni papiers d’identité ni ressources. Comment décrire alors son inlassable dévouement, sa discrétion parfaite et son efficacité pour venir en aide à ses frères ? Avec quel courage, au mépris du danger que cela comportait pour lui-même, est-il intervenu en leur faveur auprès des Autorités !
Nous nous devons d’associer à son souvenir celui de sa femme Lucie, née Meyer, digne compagne de cet homme exceptionnel. Elle partageait pleinement les risques qu’il prenait en recevant chez eux, les bras ouverts, ceux qui arrivaient malheureux, désemparés et démunis, participant de tout coeur à leurs épreuves qu’elle les aidait à supporter avec Emounah (foi) elle dont la force morale fut exemplaire.
Il faudrait aussi décrire le rayonnement spirituel de leur foyer. Non seulement ils savaient y faire régner une atmosphère de confiance en D. et de sérénité alors que tout un monde s’écroulait autour de nous, mais encore il s’y déroulaient de nombreux Chiourim (leçons) et réunions. Jeunes et aînés pouvaient venir étudier à tout moment ; la bibliothèque du Rabbin était à leur disposition et lui-même prêt à les guider dans leur étude.
Il fut le vrai guide spirituel de nombreux jeunes qui trouvaient auprès de lui l’enseignement de la Thora et des Mitzwoth (commandements), mais aussi la force spirituelle à opposer aux épreuves terribles qu’ils devaient traverser par la suite.
Recherché par la Gestapo, il dut cesser son activité en 1944 et se fit malheureusement arrêter en essayant de passer en Suisse avec sa belle-mère et sa femme, puis déporter. Ils n’ont d’autre Matsévah (pierre tombale) que dans le coeur de ceux qui les ont connus et aimés.