Israël Lévi, né à Paris, mais de souche alsacienne, y avait fait toutes ses études, de l’école primaire au Séminaire Israélite France, en passant par le Talmud Torah de ce dernier, Il eut pour condisciples le futur grand rabbin Simon Debré, père du professeur Robert Debré et grand-père de Michel Debré, et Hyppolite Prague, le futur rédacteur en chef des Archives Israélites.
Zadoc Kahn, alors grand rabbin de Paris, fut impressionné par sa culture et son penchant pour la recherche. Après sa sortie du Séminaire, il le fit nommer en 1880 secrétaire de la Société des Études Juives et six ans plus tard, lui confia la direction des Études Juives. En 1882, il devint rabbin-adjoint de la Synagogue de la Victoire et en même temps secrétaire particulier du Grand Rabbin Zadoc Kahn. Il conservera ces deux postes après 1890 lorsque celui-ci, dont il avait épousé une fille, sera devenu grand rabbin de France.
La compétence scientifique d'Israël Lévi s’affirma rapidement et on lui confia en cette même année 1890 la suppléance du cours d’Histoire et de Littérature Juives d’Isidore Loeb à l’Ecole Rabbinique, Il l’assura avec autorité et brio et cela lui valut d’être proposé à l’unanimité par la Commission administrative du Séminaire pour la succession d’Isaac Lion Trenel à la direction de cette institution, en même temps que pour celle de Lazare Wogue à la chaire de Théologie. A la surprise générale, il déclina cette offre, mais à la mort d’Isidore Loeb, en 1892, on lui attribua la chaire d’Histoire. Il devait succéder aussi à lsidore Loeb dans sa chaire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, ainsi qu’à Joseph Derenbourg dans celle du Judaïsme rabbinique. La renommée acquise par ses articles, ses cours et ses sermons à la synagogue de la Victoire lui valurent d’être désigné en 1899 pour assurer les conférences du dimanche, organisées par le Grand Rabbin Zadoc Kahn pour attirer ceux qui avaient perdu l’habitude de fréquenter les offices sabbatiques.
En 1895 le Grand Rabbin Lazare Wogue se retira de la direction de l’Univers Israélite. Zadoc Kahn fit alors appel à son gendre pour rafraîchir cette publication et en faire l’instrument d’une meilleure connaissance du judaïsme et de la vie juive dans le monde, ainsi qu’un organe de lutte contre l’antisémitisme. Si Israël Lévi ne dirigea qu’une seule année l’Univers Israélite, il en resta cependant l’un des principaux rédacteurs jusqu’à un âge avancé.
Dans ses articles le rabbin Israël Lévi cherchait à faciliter une meilleure participation du fidèle aux fêtes et à la liturgie et à fortifier l’affirmation des valeurs juives visà-vis du christianisme. On était alors en pleine Affaire Dreyfus et il fallait affronter les calomnies qui déferlaient sur les Juifs : Israël Lévi fit face avec passion et manifesta avec chaleur sa sympathie pour l’innocent attaqué.
Les travaux scientifiques d’Israël Lévi ont paru pour la plupart dans la Revue des Etudes Juives. Tout en s’intéressant à l’ensemble des époques de l’Histoire et de la Littérature juives, Israël Lévi s’est penché plus particulièrement sur les périodes du second Temple et de la genèse du Talmud, avec une prédilection pour le Midrash. On retiendra notamment ses études sur l’image d’Alexandre dans la littérature juive. Son second centre d’intérêt fut l’histoire des Juifs de France, examinée à la fois sous l’angle des calomnies anti-juives et à travers les écrits des rabbins français du Moyen-Age, dont il admirait l’érudition et le rayonnement. Son affection pour le peuple juif se traduisait également par l’attention qu’il portait aux traditions populaires et à son folklore.
Israël Lévi suivait attentivement les publications juives à l’étranger et il en fournissait des comptes rendus remarquables dans la Revue des Études Juives ou dans l’Univers Israélite. Il a lui-même collaboré à la Monatschrift fur Geschichte und Wissenschaft des Judentums, à la Jewish Quarterly Revue et à la Jewish Encyclopedia.
En 1926, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, lui fut offert un volume de Mélanges, auquel, en plus de ses éminents collègues de l‘Ecole des Hautes Etudes, du Séminaire et du Rabbinat, collaborèrent les professeurs Sylvain Lévy et Théodore Reinach, du collège de France, et les historiens Robert Anchel, Moïse Ginsburger et Cecil Roth. Leurs signatures côtoyaient celles d’autres savants d’Allemagne, d’Angleterre, d’Autriche, des Etats-Unis, de Palestine et de Pologne.
C’est sous le titre L’Ecclésiastique ou la Sagesse de Ben Sira que parurent en 1898 et 1901 les deux tomes du texte hébraïque restitué, annoté et traduit par le rabbin Israël Lévi. L'ouvrage fut bientôt couronné par l'Institut.
La Sagesse de Ben Sira était, de tous les apocryphes, l’oeuvre la plus populaire et malgré l’interdiction talmudique d’utilisation à des fins homilétiques (Sanhédrîn 100 b), elle est souvent citée par le Talmud, comme plus tard par Saadia Gaone et Rabbeinou Nissim. Elle s’est cependant perdue vers le douzième siècle et l’on n’en connaissait que des fragments en grec et en syriaque. Israël Lévi réussit à en reconstituer les deux tiers à l’aide d’une étude critique de fragments découverts dans la Gueniza du Caire et publiés en 1891.
Dans une récente publication de la collection de la Pléiade, le Professeur Philonenko insiste sur l’importance de la période intersticielle entre la Bible et les écrits néo-testamentaires, dont fait partie la Sagesse. Il y voit essentiellement un chaînon du mouvement continu de pensée aboutissant au christianisme. Israël Lévi, tout en soulignant l’aspect juif de l’oeuvre, mettait également en relief les apports philosophiques du paganisme. Au-delà de l’aspect spécifiquement juif, c’est sur cette ambiguïté qu’insistait Israël Lévi dans ses nombreux articles et conférences consacrés à Ben Sira.
Après la découverte par Salomon Schechter, en 1910, de deux fragments de l'Ecrit de Damas, Israël Lévi se livre dans deux articles de la Revue des Etudes Juives de 1912 à une magistrale critique du document. Il y montre notamment la parenté de ce texte, issu de la secte sadducéenne de Damas, avec ce que l’on savait alors des Esséniens. La découverte, en 1947, de fragments de l’Ecrit de Damas dans les grottes de Qumran corroborera les hypothèses d’Israël Lévi. 35 ans avant la découverte des manuscrits de la Mer Morte et la hardiesse, plus tard confirmée, de Dupont-Sommer, Israël Lévi avait déjà entrevu l’importance de l’Essénisme dans la gestation du christianisme ! Le manuscrit permettait aussi de compléter les indications du Talmud et de Flavius Josèphe sur les sadducéens et de mieux comprendre le climat politico-religieux des deux siècles qui ont précédé la destruction du Temple.
Par sa distinction et son art oratoire, le rabbin Israël Lévi s’était rapidement acquis l’estime des fidèles de la synagogue de la Victoire. En 1890 on pouvait s’attendre à ce qu’il succédât à son beau-père au grand-rabbinat de Paris, mais on préféra à l’indépendance du savant et à la modestie du rabbin-adjoint la faconde de tribun de Jacques-Henri Dreyfus, alors grand rabbin de Belgique (Zadoc Kahn avait préféré ne pas se mêler de l’élection). Habitué à travailler efficacement mais dans l’ombre, Israël Lévi resta ensuite adjoint au Grand Rabbin J.-H. Dreyfus et secrétaire particulier du Grand Rabbin Zadoc Kahn, dont il devint le principal confident.
Après la mort de son beau-père en 1905, c’est lui qui, sans titre officiel, mit en place les nouvelles structures nées de la Séparation des Églises et de l’État. En 1907 il laissa sa chaire d’Histoire à l’Ecole Rabbinique à son disciple Maurice Liber. Membre du comité central de l’Alliance Israélite Universelle, il fut envoyé la même année au Moyen-Orient pour y inspecter les écoles et put ainsi pour la première fois visiter la Palestine.
On envisageait à cette époque la suppression du grand-rabbinat du Consistoire Central, mais l’action fructueuse de Zadoc Kahn avait rendu la fonction indispensable. Aux élections de 1908 pour le grand-rabbinat du Consistoire Central, Israël Lévi partait favori. En tête au premier tour, il était encore à égalité avec le grand rabbin de Lyon, Alfred Lévy, au second tour. Mais au troisième tour, sous la pression des délégués de province, on préféra au rabbin parisien le candidat de Lyon. En cette même année 1908, le rabbinat français choisit Israël Lévi comme son représentant au sein du Consistoire central.
En 1914 dès la déclaration de guerre, le Consistoire central créa pour Israël Lévi un poste de grand rabbin adjoint au grand rabbin du Consistoire Central. Comme la santé du Grand Rabbin Alfred Lévy se détériorait de plus en plus, c’est pratiquement lui qui, pour la seconde fois, assura de 1917 à1919 l’intérim de la direction spirituelle du judaïsme français.
Dans cette période
difficile, Israël Lévi se dévoua inlassablement pour la Communauté et pour la
France.
Un épisode ignoré de sa vie a été
rapporté par son fils Robert Lévi, décédé récemment : accrédité en qualité
d’aumônier militaire volontaire, il fut envoyé en 1915 par le président du
Conseil, ministre des Affaires Étrangères, en mission spéciale à Salonique, en
compagnie du Baron Henri de Rothschild et du docteur Léon Zadoc Kahn, son
beau-frère, tous deux médecins militaires. L’entrée en guerre de la Grèce au
côté des Alliés suivit de près cette mission. En 1916, pour remplacer Maurice
Liber mobilisé, le grand rabbin reprit en outre son cours d’Histoire au
Séminaire et, suite au décès du Grand Rabbin Joseph Lehmann, il assura à titre
intérimaire de 1917 à 1919 la direction de cette institution.
L’armistice ne laissa pas Israël Lévi inactif : reconstruction des communautés éprouvées par la guerre - rétablissement des liens avec les consistoires des provinces retrouvées - reconstitution du corps rabbinique (étendu aux départements du Rhin et de la Moselle) - réapparition de la Revue des Etudes Juives - accueil des réfugiés d’Europe centrale, etc. De toutes ces tâches, Israël Lévi s’est acquitté d’une façon si remarquable qu’on ne pouvait dorénavant songer à quelqu’un d’autre pour le poste devenu vacant de grand rabbin du Consistoire central.
Israël Lévi fut élu au premier tour et à l’unanimité moins une voix (la sienne). Il assuma ses nouvelles fonctions avec la noblesse et l’érudition que les fidèles de la Victoire et les lecteurs de ses quatre cents articles lui connaissaient depuis près de quarante ans. Animant inlassablement la communauté et les oeuvres, il accepta aussi d’assurer un cours d’Homilétique au Séminaire. En 1925, il représenta le judaïsme français à l’inauguration de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Strasbourg s’est longtemps souvenue de l’enthousiasme soulevé par la présence et le sermon du Grand Rabbin Israël Lévi lors de l’office solennel du 26 novembre 1918.
Il comprit dès 1933 le danger que faisait courir le nazisme aux Juifs et à la civilisation. Le Consistoire craignant qu’un militantisme trop visible n’alimentât l’antisémitisme, il dut se résoudre à oeuvrer dans la semi-clandestinité, ce qui ne l’empêcha pas de lutter avec une énergie farouche. Il se donna aussi corps et âme à l’accueil des réfugiés allemands, au point d’y laisser sa santé et, en 1936, il dut abandonner ses fonctions. L’intérim fut assuré par son beau-frère, Julien Weill, grand rabbin de Paris, et son disciple Maurice Liber, Directeur de l’Ecole Rabbinique de France.
La carrière d’Israël Lévi s’est déroulée au moment de l’Affaire Dreyfus et durant les décennies qui ont précédé et suivi la séparation des Églises et de l’État. Dans l’exaspération des passions, il n’était pas question d’accaparer ou de sermonner les gouvernements ! On peut cependant affirmer qu’avec son indépendance d’esprit, Israël Lévi, dans des circonstances plus favorables, aurait occupé au niveau national une place de premier rang, comme ce sera le cas, plus tard, pour ses successeurs. Y.K