Activité sociale
Son avancement est largement dû à sa thèse LEsclavage selon la Bible et le Talmud (1867), qui lui vaut la reconnaissance de ses pairs et, en 1889, il est nommé grand rabbin de France. Son cumul du mandat de grand rabbin de Paris et du Consistoire de France l'amène à faire face aux événements difficiles qui marquent son temps, aussi bien au niveau national qu'à celui du judaïsme. Zadoc Kahn ne bénéficiera jamais réellement d'une totale liberté d'action dans ses entreprises, étant toujours très contesté dans ses actions politiques. En outre, l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine par l'Allemagne, qui suit la guerre de 1870, fait perdre au judaïsme français ses communautés les plus actives, et signifie pour Zadoc Kahn la privation de ses alliés naturels.
Peu de temps après, dans les années 1881-1882, alors qu'une émigration massive se développe en provenance de l'est de l'Europe où s'étaient déroulés de sanglants pogroms, il doit également faire face à l'arrivée en France de nombreux immigrants juifs, généralement démunis. C'est lui qui présente au baron Maurice de Hirsch le projet d'implanter une partie d'entre eux dans une colonie juive en Argentine. C'est ainsi que celui-ci créera en 1891 l'I.C.A. (Jewish Colonisation Association) pour aider à l'établissement de Juifs en Argentine puis au Brésil, au Canada et en Palestine.
Le grand rabbin est aussi actif dans les organisations philanthropiques, et il joue un rôle primordial dans la création du Refuge du Plessis-Piquet (une école d'agriculture pour les enfants de familles défavorisées), et la Maison de Retraite de Neuilly pour les jeunes filles.
Naissance du sionisme
La création du mouvement Hibath Tsivyon (l'"Amour de Sion"), qui représente l'étape intermédiaire entre le sionisme primitif du 19ème siècle et le sionisme politique qui suivra le Congrès de Bâle, en 1897, trouve en Zadoc Kahn sa personnalité marquante au niveau français.
Dès 1881-1882, celui-ci prend fait et cause pour l'établissement de pionniers en Palestine, malgré les avis défavorables qui lui sont lancés afin de le dissuader d'intervenir en faveur d'une oeuvre jugée peu viable. Il estime qu'il est important de promouvoir l'éducation agricole.
Edmond de Rothschild s'entretient, dès 1883, avec le grand rabbin de Paris de la tentative hasardeuse de Juifs russes qui cherchent à s'établir à Rishon-le-Zion. C'est ainsi qu'il est amené à s'intéresser aux localités juives de Palestine. Après un séjour à Mikweh Israël, et devant les obstacles rencontrés, un terrain est acquis à Ekhron, première localité où des Juifs pourront faire fructifier le sol.
Ces activités de militant sont très sévèrement critiquées par les notables du judaïsme français, ce qui ne l'empêche pas de s'impliquer dans les problèmes concrets posés par l'établissement des Juifs en Palestine. En 1889, par exemple les pionniers de Mikweh Israël veulent cesser le travail pour une année entière, à l'occasion de l'année sabbatique, ce qui menace d'anéantir l'oeuvre accomplie. Zadoc Kahn, devenu grand rabbin de France, apporte ses bons offices pour apaiser le conflit.
On a reproché à Zadoc Kahn de ne pas s'être jeté davantage dans la mêlée. Sa situation officielle, compromise par ses prises de position dans l'affaire Dreyfus, l'entravait. Tout en sympathisant avec le mouvement lancé par Théodore Herzl, il demeure un fervent patriote français, et il adopte officiellement la position représentative qui veut que les Français de religion juive soient, avant toute autre considération, de loyaux citoyens et qu'ils rejettent, en conséquence, l'idée d'une émigration en Palestine.
EXTRAIT DU JOURNAL DE THEODORE HERZL
Paris, 17 novembre 1895. Laprès-midi chez Zadoc Kahn. Leven, que javais déjà rencontré à Salzbourg, sy trouvait également, falot, mou, lent à la détente, comme il lavait été à Salzbourg. Jai reconnu à ses objections que ni à Salzbourg, ni maintenant, il navait rien compris à mon projet. Plus tard, vinrent quelques autres Juifs ; il me semble que Zadoc les avait invités à se joindre à nous Derenberg, Feinberg, et un jeune rabbin, qui est le gendre de Zadoc (1). Au cours de la conversation, jai dû répéter toute la gamme de mes arguments. Aucun thème nouveau dans la discussion. Visiblement, on ne peut pas gagner, à lheure actuelle, les Juifs français à ma cause. Ils ont encore la vie trop belle. A lencontre de Leven, jai été très catégorique : "Jai limpression de mexprimer dune manière très malheureuse. Car vous ne comprenez toujours pas des choses que je vous explique pour la deuxième fois." Lorsquil mit laccent sur sa nationalité française, je lui dis "Comment ? Est-ce que vous et moi, nous nappartenons pas à la même nation ? Pourquoi avez-vous frémi à la nouvelle de lélection de Lueger ? (2) Pourquoi ai-je souffert quand le Capitaine Dreyfus était accusé de trahison en France?" Au moment de nous séparer, je lui dis "Vous et vos semblables, vous nirez jamais avec moi !" Le jeune rabbin (1) dit "Moi, jirai avec vous". Journal de Théodore Herzl, 3 vol. Berlin 1922-23, tome
1, p. 313. |
L'Affaire Dreyfus
Lorsqu'éclate l'affaire Dreyfus, Zadoc Kahn est l'un des premiers à soupçonner la campagne antisémite, mais il ne réussit cependant pas à persuader les dirigeants juifs français d'adopter une autre politique que celle du silence. La défense de Dreyfus est donc, malgré toutes ses tentatives, abandonnée aux initiatives individuelles (le même phénomène se reproduira lors des événements antisémites d'Algérie). Zadoc Kahn est certainement le personnage le plus visé de la communauté parisienne pendant l'affaire Dreyfus, en raison du poste qu'il occupe ou du pouvoir plus ou moins réel qu'on lui attribue.
Le sort veut que l'auteur véritable du bordereau qui fait condamner Dreyfus ait été, à plusieurs reprises, l'obligé du grand rabbin. Esterhazy avait reçu, par son intermédiaire, d'importants secours de la baronne Clara de Hirsch, à l'époque où il passait pour un esprit chevaleresque et philosémite (il n'était pas juif). Quand Le Matin publie le fac-simile du bordereau, le 10 novembre 1896, le fils aîné de Zadoc Kahn, alors principal clerc d'avoué à l'étude Cahen, est frappé de la similitude d'écriture, entre ce document et une lettre d'Esterhazy, envoyée à l'étude afin de demander des délais de paiement.
Zadoc Kahn, consulté, repousse cette affirmation, qu'il aurait pu étayer par la lecture de lettres d'Esterhazy reçues par lui et conservées par son secrétaire. Ce n'est que plus tard, en 1897, qu'il verse au dossier des poursuites intentées contre l'officier faussaire une lettre reçue de lui, en juillet 1894. La presse nationaliste l'accuse alors de faire partie du "syndicat" formé pour délivrer, à coups de millions le "traître Dreyfus".
Il est mis en cause à la Chambre des députés, à l'occasion des débats sur le budget des cultes, le 21 janvier 1898, quelques jours après l'acquittement d'Esterhazy.
Deux députés proposent une réduction indicative du traitement budgétaire du grand rabbin, à titre d'avertissement. Un troisième député lit à la tribune l'article 24 de l'ordonnance du 23 mai 1844, ajoutant que "les rabbins sont mis au rang de fonctionnaires officiels d'un culte reconnu par l'État, mais que c'est surtout pour rappeler en toutes circonstances à leurs coreligionnaires l'obéissance aux lois, et notamment celles relatives à la défense de la patrie". Zadoc Kahn ne s'émeut pas, car il estime n'avoir pas manqué aux devoirs de sa charge en aidant, pour sa part, à démasquer un traître.
En 1899, pendant l'instruction de la Cour de cassation à propos du pourvoi en révision de la décision du Conseil de guerre de Paris, qui a condamné Alfred Dreyfus, Zadoc Kahn s'attire une lettre de blâme du président du Conseil, pour avoir eu une conversation avec un officier juif, lequel se plaint à ses supérieurs que le grand rabbin a voulu exercer une pression sur sa conscience.
La presse nationaliste menace Zadoc Kahn, fait de lui le sujet de caricatures, où il se trouve en compagnie d'hommes dévoués à la cause d'Alfred Dreyfus. On veut le faire tomber dans un piège, lui faire acheter des documents forgés, lui confier de prétendues révélations pour utiliser ensuite contre lui d'imprudentes démarches, mais il ne tombera dans aucun de ces traquenards.
L'affaire Dreyfus constitue, pour beaucoup de Juifs assimilés, un rappel brutal de leur condition juive, et une prise de conscience salutaire, notamment dans les milieux intellectuels. L'énergie du grand rabbin assure au judaïsme français un nouvel éclat. La vie religieuse et culturelle s'intensifie et se développe.
Publications
En 1880, Zadoc Kahn soutient la création de la Société des Etudes juives, qu'il préside, et dont l'organe, la Revue des études juives, une revue savante qui devient le périodique le plus réputé de l'époque pour l'étude du judaïsme (il fait encore autorité aujourd'hui).
Il est aussi à l'origine de la traduction en français de la Bible dite "du Rabbinat" qui prévaut toujours, ainsi que de la Bible de la jeunesse, toutes deux parues en 1899. Il participe également à l'élaboration de la Jewish Encyclopaedia.
Certains de ses sermons seront édités dans un recueil célèbre : Sermons et allocutions (4 volumes). De plus, il publie deux ouvrages : Etudes sur le livre de Joseph le zélateur (1887) ; et Titus d'après le Talmud et d'après l'histoire.
Il aura été le dernier des grands rabbins de France "de
l'intérieur", dont le traitement était payé par l'État
(la séparation de l'Église et de l'État étant intervenue
peu de temps après sa mort). Malgré les nombreux conflits qu'il
dut affronter au cours de sa carrière, son rayonnement lui valut
une grande considération dans la population française, et
il fut fait chevalier (1879) puis officier (1901) de la Légion d'Honneur.
Son gendre, le grand rabbin Julien Weill
lui a consacré une biographie : Zadoc Kahn, Paris, Félix
Alcan 1912. Il y écrit :
"Lorsque, le 19 février 1838, Lazare Kahn,
accompagné du vieux Samuel Kahn, trafiquant come lui, et d'un
petit tailleur du voisinage, Salomon Flexener, vint déclarer
devant Joseph Schiffestein, maire du village, le petit Zadig, né
de la veille, nul n'eût pu rêver que le nom de ce frêle
enfant, voué apparemment à l'existence médiocre
et besogneuse, acceptée sans murmure de père en fils,
auréolerait un jour, un peu transformé (en Zadoc) d'une
véritable gloire. Pourtant dès le berceau, les parents
avaient le droit d'espérer pour lui un avenir plus élevé.
C'était l'ambition de tout Juif alsacien à la naissance
d'un fils, d'en faire, D. aidant, un instituteur ou un rabbin."
Sources :