Stèle du Rabbin Isaac Baer au cimetière juif de Bischheim, numéro 648, rang 12. Le texte (principalement en hébreu) est partiellement effacé mais donne suffisamment d’indication pour son identification (Remerciements pour la traduction de l’hébreu à Steve et Judith Hirsch et Dinka |
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Cette vigoureuse génération israélite datant du commencement de ce siècle, dont les racines plongeaient dans les profondeurs de la science talmudique et dont les fleurs étaient panachées de toutes les sciences philologiques et philosophiques modernes, génération qui a produit des Munit, des Geiger, des Philippson, des Graetz, des Benisch et tant d'autres, - non pas moins savants, mais qui ont reculé devant la publicité, - cette génération s'en va de jour en jour.
Isaac Baer, le rabbin de Bischheim, qui vient de mourir à l'âge de soixante-douze ans, était de ce nombre. Orphelin dès l'âge de deux ans, élevé dans un Héder, il étonna, tout jeune encore, ses maîtres et protecteurs par la sagacité de son esprit et sa rage d'apprendre. Je l'ai connu très-jeune, d'abord à Wiesbade et puis à Francfort, à la Jeschibah de Reb Salomon Trier, dont une grande partie des élèves étaient Alsaciens et, à l'exception de deux, M. Kaufmann de Bouxwiller et moi, sont tous devenus rabbins en Alsace, après avoir passé un examen à l'école rabbinique de Metz. Baer, qui était en outre un élève favori de Reb Aron Fould, bien connu dans le monde talmudique, était aussi fort comme hébraïsant que comme talmudiste. Il connaissait par coeur tous les midraschim, ainsi que les traités philosophico-religieux des grands maîtres du moyen âge.
Il passa longtemps pour un esprit critique et quelque peu sceptique; et de fait, en dehors des discussions officielles, il exerçait une grande influence sur ses jeunes condisciples, qui, eux, sont restés fidèles à ses inspirations, bien que lui-méme se soit maintenu dans la foi sans raisonnement pour toutes les pratiques talmudiques. Ce fut lui surtout qui, à mon grand étonnement, dans les conférences rabbiniques de 1855, s'opposa à toutes les réformes projetées et finit par entraîner la majorité.
M. Baer était, comme nous tous, un autodidacte, c'est-à-dire qu'il a appris tout seul le latin, le grec, l'arabe, l'anglais, l'allemand, le français, et je crois, par ma foi, aussi l'italien. Il dévorait toutes les grammaires et tous les dictionnaires. Nous ne dînâmes ni ne déjeunâmes jamais sans étudier une langue quelconque, et nombre de nos condisciples, revenant de l'Université où l'on s'amusait, ne pouvaient entrer en lutte avec nous sur ce terrain. Seulement, tout en sachant plusieurs langues, nous n'en parlions aucune correctement.
M. Baer, M. Klotz, plus tard rabbin à Lunéville, et moi, nous avions établi à Francfort des conférences où tour à tour, en français et en allemand, chacun de nous improvisait un discours ou un sermon. Plusieurs rabbins vinrent nous entendre, et, finalement, nos improvisations furent interdites. Il paraît que nous étions trop hardis. Que diraient-ils donc aujourd'hui?
M. Baer a été rabbin à Bischheim pendant quarante-quatre ans. Il s'y est distingué par sa grande douceur de caractère et par une charité exemplaire. Ce ne fut jamais en vain que les malheureux s'adressèrent à lui. Ce qu'il ne pouvait faire par lui-même, il le faisait faire par d'autres. Il partait en tournées de charité et revenait toujours chargé de bienfaits.
Il n'a jamais rien publié. Mais on m'assure que tout son ש"ס (Livres de la Mishna), ainsi que son תנ"ך (Bible), et ses livres de théologie, sont annotés par lui. Il serait curieux de connaître ces notes, car M. Baer avait beaucoup d'esprit. et beaucoup de savoir.
Sa mort a été un deuil pour l'Alsace (1).
Il ne sera pas facilement remplacé par nos modernes bacheliers rabbinisés, dont la science religieuse, à de rares exceptions près, est noyée dans les soucis mondains, soucis que nous autres idéalistes du commencement de ce siècle ne connaissions pas, par la simple raison que, niant tout matérialisme, nos besoins matériels n'entraient jamais en compte pour notre avenir. Nous ne cherchions que la justice, le reste nous est venu par surcroît. Mais, hélas, ce reste est peu de chose !
ומותר האדם מן הבהמה אין כי הכל הבל "La supériorité de l'homme sur l'animal est nulle, car tout est vanité" (2) |