Asser Lion, fils du Shaagath Arié R. Lion Mayer Lambert, un des premiers directeurs de l'Ecole rabbinique R. Mayer Lazard, un des premiers directeurs de l'Ecole rabbinique G.R. Abraham Cahen, directeur-adjoint de l'Ecole rabbinique de Metz G.R. Lazare Wogue, professeur à l'Ecole rabbinique R. Isaac Lion Trénel dernier directeur de l'Ecole rabbinique de Metz Salomon Ulman G.R. du Consistoire central Zadoc Kahn G.R. du Consistoire central Dr Zacharie Wolff, Rabbin à Colmar Isaac Weil, G.R. de Metz et de Strasbourg Adolphe Simon Ury , G.R. de Metz et de Strasbourg |
(...)
Le développement des Lumières et l'Émancipation posèrent de nouveaux défis au rôle traditionnel du rabbin. Là où l'Émancipation fut acquise (27 septembre 1791 en France, 1869 pour la Confédération germanique qui abolit toutes les restrictions politiques et civiques concernant les Juifs) les rabbins perdirent leur fonction juridique, les questions de croyance et d'observance durent être reconsidérées et les pratiques traditionnelles connurent des réformes croissantes dans des cercles de plus en plus larges. Le rabbin se vit alors confronté à la nécessité d'acquérir un savoir profane outre ses connaissances en matière de judaïsme, besoin qui se fit sentir aussi bien dans les cercles orthodoxes que réformistes. Pour ce faire, on fonda des écoles et des séminaires rabbiniques animés d'un esprit de modernisation et destinés à l'instruction des rabbins.
Le contexte étant dressé, où se trouvaient ces principaux séminaires ? Quelle était l'origine de leurs élèves ? Quel était le contenu de la formation des futurs rabbins de ces établissements ? Quelle était l'orientation de ces séminaires ? Quelles relations ces futurs rabbins entretenaient-ils avec leur pays ou région d'origine ? L'engagement professionnel des rabbins de cette époque allait-il dans le sens de la dynamique patriotique de l'époque ? En quoi ces établissements supérieurs religieux pouvaient-ils constituer un pont ou un fossé entre la France et l'Allemagne ?
C'est donc en raison du mouvement d'émancipation des Juifs d'Europe occidentale et d'Europe centrale que le besoin de séminaires modernes destinés à l'instruction des rabbins se fit sentir au 19ème siècle. Avec l'Émancipation, les communautés juives commencèrent à s'intégrer culturellement et politiquement dans la société environnante. La formation poussée mais étroite dispensée par les yeshivoth se révéla donc en partie dépassée. La fonction de rabbin devint comparable à celle des ecclésiastiques et les gouvernements qui surveillaient avec attention les autorités religieuses exigeaient des communautés juives qu'elles nomment des dirigeants spirituels ayant reçu une éducation moderne.
Au 19ème siècle, des séminaires rabbiniques ouvrirent donc leurs portes en Europe centrale et occidentale en vue de former avec rigueur les chefs spirituels des temps nouveaux. Outre l'école rabbinique de Metz, fondée en 1829 et transférée à Paris en 1859, il convient de mentionner le séminaire rabbinique de Zacharias Frankel (1801-1875) (Breslau, 1854), l'école supérieure pour la Wissenschaft des Judentums du réformé Abraham Geiger (1810-1874) (Berlin, 1872), le séminaire rabbinique pour le judaïsme orthodoxe d'Azriel Hildesheimer (1820-1899) (Berlin, 1873), le séminaire de Budapest (1877), et le Jews College de Londres (1855). Des institutions similaires virent également le jour au États-Unis, tels le Hebrew Union College réformé (Cincinnati, 1875) ou le Jewish Theological Seminary of America conservateur (New York, 1886).
Le Concordat de 1801 complété par les Articles Organiques de 1802 régla les rapports des cultes catholiques et protestants et de l'État. Quelques années plus tard (1808), Napoléon ler donna au judaïsme français ses structures et sa représentation qui remettaient en cause la communauté de base et son autonomie juridique et religieuse traditionnelle, répondant à la volonté de l'État de favoriser la centralisation et le contrôle des autorités religieuses par des notables assimilés. L'unité administrative fut le consistoire de 6000 âmes avec, à sa tête, un président laïc élu et, sur le plan religieux, un rabbin consistorial ou grand rabbin rémunéré par un impôt sur les fidèles. Au niveau national, le consistoire central israélite de France, élu par les plus imposés dirigeait le culte israélite (1).
Outre l'institution du Consistoire central, clef de voûte de l'organisation du culte israélite, il convenait de ne pas laisser aux communautés locales la désignation de leur ministre du culte. Cela supposait une organisation nationale pour la collation des grades, d'où l'institution d'une École centrale rabbinique qui vit le jour en 1829 à Metz par transformation de la vénérable École talmudique de cette commune (2). À titre transitoire, les postulants au titre rabbinique devaient être possesseurs d'une attestation souscrite par trois grands rabbins. A cette obligation s'ajoutait la maîtrise de la langue française exigible à partir de 1820. En outre la préférence était accordée à ceux qui connaissaient aussi le latin et le grec.
C'est en vertu d'un arrêté du 21 août 1829, approuvant les dispositions du règlement de l'École que fut fondée l'École centrale rabbinique à Metz (3). Cette école rabbinique était la continuatrice de l'ancienne et célèbre yechivah de Metz avec une tradition bien établie d'études rabbiniques et de maîtres formés avant la Révolution (Arié Loeb dit le "Sha'agath Arié" né en 1695 en Lithuanie venu à Metz en 1765 pour y mourir en 1785 fut ainsi un des plus célèbres rabbins de son temps). Il faut dire que l'école talmudique de Metz, fermée lors de la Terreur avait été rouverte par la communauté en 1821. Le Consistoire central la transforma en 1827 en "école centrale de théologie", habilitée à dispenser un diplôme rabbinique national.
Pour être admis à l'école, il fallait entre autres alors être français, âgé de dix-huit ans, être porteur d'un certificat de bonne conduite, connaître la langue française, avoir des notions d'arithmétique, d'histoire et de géographie, posséder les principes de la langue hébraïque et être en état d'expliquer un texte du Talmud. Les études duraient cinq ans et se divisaient en deux : études sacrées et études profanes. Les études religieuses comprenaient la langue hébraïque, l'explication avec commentaires du Pentateuque et des autres livres de l'Écriture sainte, l'étude des traités du Talmud qui sont d'une application journalière et le résumé de certaines oeuvres de grands penseurs comme la Main forte de Maïmonide (1135-1204) et le Shoul'han Aruch (la Table mise, c'est-à-dire la Torah à la portée de tous) de Joseph Caro (1488-1575) (4). De plus les élèves recevaient un cours d'histoire des Hébreux jusqu'à nos jours.
Les études profanes comprenaient les langues grecque et latine, la philosophie, la rhétorique, l'histoire ancienne et moderne. En quatrième et cinquième année, les élèves s'exerçaient à la prédication par des discours sur des sujets moraux ou religieux. Chaque année, les élèves passaient un examen public. À la fin de leurs études, l'examen qu'ils avaient à passer portait sur tout le contenu de l'enseignement. Ils devaient soutenir une thèse portant sur des sujets religieux. L'examen était sanctionné par la délivrance de certificats d'aptitude de degrés différents. Le premier conférait le titre de rabbin (ou docteur de la Loi), le second le titre de grand rabbin ou degré supérieur. La première promotion des élèves de l'École centrale rabbinique comprenait des élèves brillants comme Salomon Ullmann originaire de Saverne (1806) qui séjourna à l'école de Metz de 1830-1834 et qui allait devenir rabbin à Lauterbourg, puis rabbin de Nancy et enfin grand rabbin du Consistoire central (1853-1865) ainsi que son condisciple et successeur dans ce poste Lazare Isidor né à Lixheim en 1813 (1866-1888) mais encore Lazare Wogue, né à Fontainebleau en 1817, séjournant à l'école rabbinique de 1831-1842, y occupant un temps le poste de professeur. Il devait apporter une grande valeur à la science du judaïsme.
D'importants travaux d'agrandissements furent entrepris à partir de 1849. Ils furent retardés par les hésitations du Consistoire central qui se décida finalement à transférer l'École à Paris, tant en raison de l'importance prépondérante prise par la communauté juive de la capitale que pour soustraire les élèves à des influences jugées trop traditionalistes. Il est vrai que si la communauté juive française atteignait 70000-80000 personnes au milieu du 19ème siècle, vingt mille vivaient à Paris sous le Second Empire et cinquante mille des 80000 juifs de France métropolitaine à la fin du 19ème siècle en raison d'importants mouvements migratoires en provenance d'Alsace-Lorraine annexées.
C'est donc par un décret du 1 juillet 1859 que fut opéré
le transfert de l'École centrale rabbinique de Metz à
Paris qui prit le nom de Séminaire israélite de France.
En fut son directeur dans la deuxième moitié du 19ème
siècle, le grand rabbin Isaac Trénel jusqu'à sa mort
en octobre 1890. Originaire de Metz, il avait été, après
avoir quitté l'École de Metz, rabbin à Besançon
et de là il avait été appelé à Paris pour
être rabbin-adjoint au grand rabbin Isidor. C'était un esprit
très cultivé et un talmudiste remarquable. A sa mort en octobre
1890, c'est le grand rabbin Joseph Lehmann qui lui succéda. Né
à Belfort en 1843, il séjourna comme étudiant au Séminaire
israélite de France de 1862 à 1867, devint rabbin de Paris puis
directeur du Séminaire. Ce Séminaire était dirigé
par le Consistoire de Paris et administré par un comité consistorial
où figuraient le grand rabbin du Consistoire central (Président),
le grand rabbin du Consistoire de Paris (viceprésident) et deux membres
laïcs du Consistoire central. Ce séminaire qui comptait environ
cinquante élèves, forma durant la deuxième moitié
du 19ème siècle des rabbins, des ministres-officiants et des
professeurs d'hébreu pour la France et pour les pays de langue française.
Son ambition était d'assurer un enseignement de la Torah et de donner
également aux jeunes étudiants une culture générale
de bon niveau. Les études religieuses de base comprenaient la Bible,
le Talmud avec commentaires rabbiniques anciens et récents, la philosophie,
la littérature hébraïque ancienne et moderne, l'histoire
juive depuis ses origines à nos jours, l'homilétique et la liturgie.
Le programme des études profanes incluait et la philosophie et la littérature
française. Les études duraient cinq ans après l'obtention
par le jeune étudiant de son baccalauréat.
Durant de nombreuses années, les élèves qui n'avaient
pas obtenu le baccalauréat, purent suivre les cours d'une section préparatoire
à l'entrée au Séminaire, connue sous le nom de Talmud
torah ou petit séminaire. Ouverte en 1853, cette section fut dirigée
de 1862-1866 par le rabbin Zadoc Kahn puis par le rabbin Lazare Wogue. Une
autre section à l'intérieur du Petit Séminaire pour former
des ministres-officiants (École de Pédagogie et de Liturgie)
fut créée en 1889. Au début du 20ème siècle,
le personnel du Séminaire israélite de France et du Talmud
Torah comprenait un personnel d'un haut niveau : le directeur était
le grand rabbin Joseph Lehmann, le directeur-adjoint n'était autre
qu'Abraham Cahen. Parmi les enseignants, on relevait la présence d'Israël
Lévi, d'Hartwig Derenbourg, membre de l'Institut de France, Mayer Lambert,
Jacques Kahn, Joseph Halévy, Julien Weill et Simon
Debré (7).
Au milieu du 19ème siècle, la cause de l'émancipation totale des Juifs était devenue partie intégrante de la profession de foi des libéraux qui luttaient pour leur liberté nationale ou un gouvernement constitutionnel. Dans toute l'Europe, les Juifs se joignirent à eux, partageant leurs combats et leurs souffrances.
En Allemagne où vivaient vers 1840, 350000 juifs dont 200000 en Prusse, la plupart d'entre eux se considéraient comme des sujets fidèles, respectant la loi du pays en vertu de la tradition talmudique. Ils ne voulaient pas être des Allemands juifs mais des Juifs loyaux envers la patrie et ceux qui les gouvernaient. Pour cette majorité, l'assimilation à laquelle aspiraient les juifs éclairés et réformateurs mettait l'autonomie juive en danger. Ce n'est qu'à partir de 1860 que la culture allemande s'intégra dans la vie spirituelle des juifs, suite à l'obtention de l'égalité civique.
À cette majorité silencieuse s'opposait une minorité
combative, consciente de l'évolution de l'époque et favorable
à l'intégration culturelle. Certains militants réclamaient
la pleine émancipation et l'égalité civile.
Le combattant le plus remarquable de la cause juive fut Gabriel Riesser (1806-1863).
Ayant fondé à Hambourg la revue Le Juif, "Périodique
pour la liberté de pensée et de religion" qui renforçait
la conscience juive dans toute l'Allemagne, ayant étudié le
droit mais ne pouvant s'inscrire au barreau d'Heidelberg à cause des
stipulations discriminatoires, il se consacra entièrement à
l'émancipation, attaquant les agitateurs antisémites et revendiquant
constamment pour les droits des juifs. Après la Révolution de
1848, il fut l'un des quatre juifs élus à l'Assemblée
Nationale de Francfortsur-le-Main et sera le premier juge juif du pays. Mais
il fallut encore vingt années de lutte pour que l'émancipation
devint une réalité (9).
Ainsi dans le grand duché de Bade, l'émancipation complète des Juifs fut acquise depuis 1862. C'est à Francfort-sur-le-Main, que l'Assemblée du Conseil municipal vota la "Loi organique", le 7 octobre 1864, accordant "l'égalité civile aux citoyens de religion israélite" (10).
Cinq ans plus tard, le 3 juillet 1869, Bismarck fit promulguer une "loi
sur l'égalité des confessions, au plan civil et civique",
qui s'appliquait à la Confédération de l'Allemagne du
Nord. Après la proclamation de l'Empire en 1871, cette loi fut valable
dans toute l'Allemagne qui avait à cette date quarante et un millions
d'habitants pour une superficie de 541000 km2 (Prusse 347000 km2
et vingt quatre millions d'habitants) (11).
Dès 1870-1871, 12 000 juifs allemands, considérés comme
des citoyens à part entière, participèrent avec enthousiasme
à la guerre franco-allemande. Ils estimaient que leur citoyenneté
allemande se fondait tout naturellement sur une synthèse germano-juive.
Mais une grande partie de la population et en particulier la bourgeoisie ne
l'entendait pas de cette oreille.
Le contexte historique de l'intégration des juifs à cette époque
étant dressé, il convient maintenant d'expliquer le développement,
les caractéristiques et l'originalité des séminaires
rabbiniques en Allemagne.
L'ambition du séminaire était donc de réconcilier le juif avec lui-même en lui donnant les instruments scientifiques pour comprendre le plus objectivement possible le judaïsme. Il édita, jusqu'en 1868, le Monatsschrift für Geschichte und Wissenschaft des Judentums (Mensuel pour l'histoire et la science du judaïsme) qu'il avait créé en 1851 et qui fut la revue d'érudition juive marquante de cette époque. Il fut largement impliqué dans les différends qui opposèrent l'orthodoxie au judaïsme réformé. Il condamnait l'opposition catégorique des orthodoxes tant à la recherche scientifique qu'à des changements mineurs dans le rituel, militant pour le maintien de l'hébreu comme langue liturgique. Il insistait sur le rôle que le peuple avait à jouer dans la Halakha (droit rabbinique), dans la fidélité à l'esprit et à l'intention de celle-ci afin de préserver le judaïsme historique (= école historico-positiviste). Avocat passionné de l'établissement juif en Palestine, il a été un précurseur du sionisme politique en publiant, bien avant Théodore Herzl, des essais qui en faisaient déjà l'esquisse. Parmi les personnalités de renom engagés au Séminaire de Breslau, figure Heinrich Graetz, le célèbre historien juif (né le 31.10.1817 à Xions en Posnanie) qui y occupa un poste de professeur de 1854 à 1891 (17).
2.2. Le séminaire rabbinique de Berlin
Les juifs orthodoxes allemands sourds aux attaques antisémites de tout bord, trouvaient le réconfort dans les rituels qui commandaient la vie juive et constituaient la plus grande exigence éthique imposée aux croyants. De nombreuses communautés avaient leurs instituts d'enseignement. Outre les centre de formation des rabbins orthodoxes (yeshivoth), il existait dans beaucoup de villes des salles de prière pour les juifs de l'Est, où érudits et simples croyants se réunissaient pour une étude commune de la Bible et du Talmud.
Azriel Hildesheimer, le plus prestigieux leader intellectuel de l'orthodoxie juive croyait pouvoir concilier les sciences profanes, longtemps réprouvées avec l'étude du Talmud. Il fut avec Samson Raphaël Hirsch (1808-1888) le fondateur de la néo-orthodoxie, qui eut une résonance bien au-delà des frontières allemandes. Né en 1820 à Halberstadt, il est le fils d'un maître réputé Loeb G. Hildesheimer. Il fut admis dès quinze ans à la yeshivah du rabbin Jacob Ettlinger d'Altona, diplômé d'études universitaires de Wurzbourg en philosophie, et langues sémitiques pour y poursuivre une éducation rabbinique traditionnelle, suivant en même temps les conférences du savant Isaac Bernays à Hambourg, le maître de Samson Raphaël Hirsch (19). En 1840, il retourna à Halberstadt, passa son diplôme au "Dom-Gymnasium" et se rendit à Berlin pour y suivre de front des études juives et universitaires. Il entama ainsi des études supérieures à l'Université de Berlin, étudiant les langues orientales, la philosophie, l'histoire (chez le réputé professeur Ranke) et les mathématiques. Il fut reçu docteur à l'Université de Halle en 1844. Puis Il retourna à Halberstadt, épousa Henrietta Hirsch, la soeur de Joseph Hirsch. Il s'orienta alors vers une activité communautaire et fut nommé en 1851, rabbin d'Eisenstadt dans l'Empire austro-hongrois où il créa une yeshivah.
Voilà donc un homme qui croyait en la possibilité de concilier
le judaïsme traditionnel et la culture moderne en réclamant une
rigueur inébranlable et inconditionnelle dans la foi et les pratiques
du judaïsme d'où sa lutte contre le mouvement réformé
d'Abraham Geiger dont le travail avait touché tous les domaines de
la Wissenschaft des Judentums ("Science du judaïsme")
et qui pensait que l'approche scientifique donc critique du judaïsme
débarrassé de tout préjugé théologique
représentait un combat pour l'émancipation tourné à
la fois vers l'intérieur de la communauté traditionnelle, et
vers l'extérieur pour insérer le judaïsme dans la culture
universelle.
Dans sa nouvelle école rabbinique d'Eisenstadt il développa
un programme modernisé de formation de rabbins qui comprenait des études
profanes. Mais la véhémence des attaques des zélotes
ultra-orthodoxes lui interdit de demeurer à Eisenstadt et, en 1869,
il accepta un poste de rabbin dans la congrégation Adass Yisroël
récemment fondée à Berlin, où il vécut
le reste de ses jours jusqu'en 1899.
Champion de la cause orthodoxe, il conçut un programme d'enseignement
pour les rabbins et les laïcs pieux, qui fut mis en pratique au séminaire
rabbinique de Berlin, créé en 1873. Il fut le fondateur et le
premier directeur de ce séminaire, auquel succéda David Hoffmann,
recruta ses enseignants et assura un enseignement juif de haut niveau où
l'orthodoxie était compatible avec une étude scientifique des
sources juives (20).
Tous les étudiants du séminaire pour y être admis devaient
avoir le baccalauréat et les études duraient six ans. Le Séminaire
comptait encore cinquante étudiants en 1930 originaires d'Allemagne
et de l'étranger et la bibliothèque se composait environ de
20000 ouvrages (21).
Une édition des Halakhoth gedoloth (1888-1890) fondée sur un manuscrit du Vatican forme la principale oeuvre de Hildesheimer dans le domaine de l'érudition juive. Il fut enfin un partisan très déterminé du sionisme et de la colonisation juive dans la Palestine de l'époque.
De nombreux élèves-rabbins allemands et étrangers furent admis au Séminaire Hildesheimer de Berlin. Ce fut par exemple le cas du Dr Marcus Horowitz (1844-1910), originaire de Hongrie qui devint par la suite le rabbin orthodoxe de la communauté de Francfort à partir de 1878 à une époque où il y avait dans la ville, une communauté juive s'élevant à 11000 personnes (22).
Plusieurs rabbins alsaciens fréquentèrent le Séminaire Hildesheimer. Pourquoi ces futurs rabbins allèrent-ils faire leurs études à Berlin ? Depuis 1871, l'Alsace était allemande. Jusqu'à cette date, les rabbins alsaciens étaient formés à l'École rabbinique de Paris. Mais, l'École rabbinique de Paris, faute d'élèves désirant retourner en Alsace, ne pouvait plus "constituer la pépinière où seraient formés les rabbins alsaciens" (23). D'où la création du "petit séminaire" de Colmar ouvert par les consistoires de l'Est financé par le gouvernement allemand pour former des rabbins alsaciens pour l'Alsace et d'y préparer l'Abitur, le baccalauréat à la fin du siècle dernier. À la fin de ce Séminaire dirigé par le Docteur Zacharias Wolff, il était prévu que les élèves quittent cet établissement pour suivre des cours de langues orientales à l'Université de Strasbourg, tout en menant auprès de maîtres désignés par les trois grands rabbins de l'Est, des études strictement rabbiniques. Mais ce programme ne fonctionna que quelques années, car les études rabbiniques de Strasbourg associées aux études d'orientalisme suivies à l'université étaient nettement insuffisantes. C'est pourquoi les élèves de Colmar durent suivre les cours de l'une des deux principales écoles rabbiniques en Allemagne: celle de Breslau ou celle de Berlin (24).
Parmi la quinzaine de futurs rabbins qui optèrent pour Berlin nous
avons plus particulièrement retenu les itinéraires d'Armand
et de Joseph Bloch.
Armand Bloch, né à Strasbourg en 1865
est l'un des petits-fils du rabbin Moïse
Bloch d'Uttenheim. Après avoir fréquenté l'école
élémentaire juive de Strasbourg puis le gymnase protestant de
cette même ville de 1877 à 1886, tout en étudiant le Talmud
auprès de son père et le phénicien à l'université
auprès de l'orientaliste Julius Euting, il acquiert sa formation rabbinique
au très orthodoxe Hildesheimer Seminar de Berlin où enseignaient
alors Azriel Hildesheimer, son fils Hirsch, son beau-frère Jacob Barth
et Abraham Berliner. Il obtient son diplôme rabbinique en 1891 et mène
de front des études profanes sanctionnées par une thèse
de doctorat soutenue à Leipzig en 1890, Neue Beitrüge zu einem
Glossar der phônizischen Inschriften (Nouvelle contribution
à un glossaire des inscriptions phéniciennes). Son premier
poste rabbinique est celui de Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin), où
il est nommé en 1891 dès son diplôme obtenu et qu'il quitte
en 1896 pour Obernai y restant 25 ans jusqu'en 1919. Il devient alors rabbin
de Saverne. Pendant la guerre, à partir de septembre 1942, il devient
le rabbin de la petite communauté des Alsaciens-Lorrains réfugiés
à Alger. Il fut enterré dans l'antique cimetière de Saverne
en mars 1952.
Voici donc un rabbin d'une culture classique et scientifique qui resta fidèle à ses engagements orthodoxes d'ancien élève du Séminaire de Berlin et à l'esprit de l'établissemnt orienté vers l'amour d'autrui. Il aurait pu en effet se couper des communautés campagnardes parfois frustres mais préféra vivre proche de sa communauté. Il symbolise par là, le rabbin attaché de tout son coeur au judaïsme rural du Bas-Rhin (25).
Posons-nous alors la question de notre problématique de départ
: ces séminaires théologiques et écoles
rabbiniques constituèrent-ils un pont ou un fossé entre la France
et l'Allemagne ?
Nous avons déjà apporté à travers nos développements
des éléments de réponses.
D'une part, les séminaires rabbiniques de France et d'Allemagne avaient formé un personnel qualifié pour rayonner dans son espace national. Le patriotisme des deux côtés du Rhin formait des futurs rabbins des défenseurs de la cause de leur pays respectif à l'image d'Isaac Lévy né à Marmoutier en 1835, formé à l'École rabbinique de Metz de 1851-1857, grand rabbin du Haut-Rhin entre 1868 et 1871 qui loua en pleine guerre de 1870 la "France bien aimée" qui la première "avait émancipé nos pères et reconnu leurs droits" (27). Son amour pour la France n'en était que plus avivé par la défaite. Comment non plus ne pas évoquer l'exemple des rabbins engagés pour une cause comme Zadoc Kahn, le grand rabbin de France engagé pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus dans un climat de haine et de tension entre la France et l'Allemagne. Comment aussi passer sous silence l'engagement des rabbins comme aumôniers dans les troupes allemandes et françaises dans les guerres de 1870-1871 et 1914-1918 ? Pendant la première guerre mondiale, 100000 juifs allemands furent mobilisés parmi lesquels des rabbins et 12000 moururent au combat (28). Comment enfin comprendre que le rabbin alsacien Émile Nathan Lévy (1879-1953) formé au Séminaire de Berlin puis rabbin et professeur de religion à Berlin (1904), docteur en philosophie en 1905, aumônier de la 2e armée allemande (1914), et grand rabbin de Strasbourg et du BasRhin de 1916-1919 ait dû donner sa démission en 1919 pour être nommé rabbin de la communauté de Berlin jusqu'à la prise du pouvoir par Hitler en 1933 ? Sa formation allemande - il avait exercé dans ce pays avant de retourner dans son Alsace natale - fit donc qu'au retour des provinces de L'Est à la France, il fut obligé de quitter Strasbourg, alors qu'il ne s'était jamais occupé de politique montrant bien qu'un rabbin pouvait être victime des antagonismes franco-allemands de l'époque (29).
Il est clair aussi que les élèves-rabbins alsaciens ayant étudié aux Séminaires de Breslau et de Berlin se sentaient en général peu allemands mais très alsaciens. Lorsqu'ils revinrent la plupart remplir des fonctions rabbiniques en Alsace, ils n'avaient pratiquement rien emprunté au judaïsme allemand, si ce n'est un attrait pour les études intensifié par la fréquentation à Berlin de savants prestigieux.
D'un autre côté, ces établissements jouèrent
un rôle capital dans la formation d'une élite intellectuelle
préparée à la fois à l'étude traditionnelle
et à l'étude scientifique du judaïsme. Cette riche culture
véhiculée en France comme en Allemagne faisait des ces rabbins
des Européens avant la lettre mettant en relations des hommes et des
idées des deux côtés des frontières.
N'oublions pas non plus les liens de proximité qui se tissèrent
entre les rabbins et leurs élèves à l'instar du rabbin
Hildesheimer de Berlin pour ses étudiants autour d'un homme chaleureux
qui n'hésitait pas en hiver à allumer le feu, à chauffer
l'eau pour le café pour que ses élèves trouvent à
leur réveil une maison agréable et une boisson chaude. Le rabbin
Hildesheimer leur inculqua non seulement une immense érudition mais
aussi l'écoute d'autrui et un amour infini pour leurs semblables. Dans
un discours d'ouverture du Séminaire de Berlin, Ezriel Hildesheimer
exposait sa doctrine : "il n'est pas pensable que la soif du savoir dans
une de ses disciplines ne jette pas un pont vers ses autres branches (...)
Et comme nous disons dans la prière du soir que la science juive représente
notre vie et conditionne la longueur de nos années, il serait impossible
que cet idéalisme ne jette pas l'ancre dans d'autres eaux, aussi, de
la mer spirituelle universelle" (30).
Le savoir profane intégré à la foi se retrouvait aussi
bien dans les écoles rabbiniques de France que d'Allemagne dans la
deuxième moitié du 19e siècle autour d'une pépinière
de savants qui allaient transmettre cette solide étude des textes traditionnels
et cette ouverture à des degrés divers vers l'universel. Ces
valeurs qui rejoignent deux des grandes lignes directrices du judaïsme
: la Torah, pour l'étude de la Loi, des commentaires talmudiques
et rabbiniques et de son application dans la vie quotidienne, et Guemilouth
'Hassadim, signifiant la générosité, l'exigence de
justice, l'amour désintéressé d'autrui n'incarnentelles
pas le mieux ce pont entre la France et L'Allemagne de l'époque dans
le sens où ce message est universel et ne connaît pas de frontières
?