Souvenirs du Petit Séminaire Israélite de Limoges
Lucien LAZARE s'entretient avec Michel ROTHÉ
2019


© Le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine

[…] initiative caractéristique de la "‘Houtspa" juive : créer une école secondaire juive en pleine occupation, allemande, avec un programme commun aux autorités d’occupation et aux autorités gouvernementales françaises, celles de Pétain et de Laval, qui consistait à anéantir tout ce qu’il y a de juif dans le monde, en commençant par l’Europe.

C’était en à la fois une preuve de courage et de confiance dans l’avenir, de préparation des lendemains, qui serait une espère de préparation de renouveau et judaïsme, dont le rabbin Deutsch était passionné, et qu’il a réalisée en dépit de l’occupation. Il pensait à tout çà déjà avant l’occupation.

C’était une initiative personnelle du rabbin Deutsch : il a cherché des appuis, il n’avait pas non plus d’argent, il n’avait pas non plus de soutien chez les autorités. Les autorités n’étaient pas forcément évidemment pas prêtes à participer à un avenir juif après la guerre. Or, lui, il voulait préparer des Juifs beaucoup plus ouverts à leur culture traditionnelle, ce qui était plutôt en voie de disparition en France à ce moment-là. Et lorsqu’il a recherché des possibilités matérielles de créer cette école, il l’a créée d’ailleurs avec des moyens de fortune la plupart du temps. Ce qui l’a soutenu, c’est qu’il y a eu des enseignants, très misérablement payés (1), et quelques élèves dont les familles ont fait confiance au rabbin Deutsch, et qui ont peuplé finalement et fait fonctionner cet établissement.

L’école a été ouverte à la rentrée des classes en 1942, c’est-à-dire, déjà après deux mois d’occupation [allemande de la zone libre].
Il a finalement été aidé par l’Ecole rabbinique, ou plutôt le Séminaire israélite de France, dont le siège était à Paris, mais du fait de l’occupation, était replié à Clermont-Ferrand, et dont l’autorité principale était le grand rabbin Maurice Liber, qui était le directeur du Séminaire israélite. Et cette institution qui dépendait du Consistoire israélite de France, du Consistoire central, a considéré l'établissement créé par Deutsch comme étant une école préparatoire au Séminaire israélite : le PSIL, Petit Séminaire Israélite de Limoges.

J ’ai été recruté en ce qui me concerne, j’habitais à l'époque à Lyon, par un rabbin originaire de Strasbourg, replié à Saint-Etienne à l’époque, qui s’appelait Samy Klein za’l, qui n’a pas survécu à la guerre, parce qu’il a été assassiné par des miliciens en 1944 alors qu’il rejoignait un maquis. Il a entièrement soutenu le projet de Deutsch. Lui-même était d’une culture juive qui était exceptionnelle pour la France. Après ses études au Séminaire rabbinique en France (avant la guerre, bien entendu) ; il avait poursuivi ses études dans une yeshiva en Lituanie, et c’était une source d’un niveau bien supérieur à ce que l’on pouvait trouver en France, et il a apporté cela à ce qui restait du judaïsme en France.

C'est ainsi que j'ai passé deux années de scolarité, incomplètes d'ailleurs, interrompues par l’arrestation du rabbin Deutsch à la veille de Pessah 1944, et mes souvenirs sont liés essentiellement à cela. Parce que j'avais encore une occupation en plus de mes études au Petit Séminaire Israélite de Limoges : c’était mon activité dans le réseau clandestin des Eclaireurs Israélites de France pour cacher des enfants qui étaient poursuivis par les arrestations, effectuées d'ailleurs par la police et la gendarmerie françaises, comme c’était le cas dans l’ensemble de la France, mais en particulier en zone dite "libre", la zone non occupée. On l’appelait dans notre jargon de clandestins la "Zone Nono".

[…] Je n'ai pas eu de contacts avec la communauté ou avec d'autres institutions juives à Limoges, parce que j’étais à la fois dans les deux mondes, celui de l'études et celui du sauvetage des enfants. J'étais convoyeur, convoyeur d'enfants, c'était tout un réseau qui était constitué pour, soit cacher les enfants dans des institutions ou des familles non juives, l'un et l'autre, qui acceptaient de prendre le risque de les recueillir chez eux et de les cacher avec de fausses identités bien entendu, ou bien de leur faire passer la frontière, la frontière suisse et la frontière espagnole. On faisait passer la frontière essentiellement à ceux qui avaient un problème particulier. Il y avait deux catégories de problèmes particuliers, l'un c'était la santé : les enfants incontinents on ne les plaçait pas, on les faisait passer en Suisse ; et les enfants qui avaient grandi dans des familles qu'on aurait appelé aujourd'hui (l'expression n'était pas utilisée à l'époque) "haredim" et donc ne pouvaient pas assumer une identité non-juive, ceux-là non plus on ne les plaçait pas, on leur faisait passer la frontière. Moi personnellement je n'ai pas été mêlé au au passage de frontière.

Je sais qu'il y avait un internat [du PSIL] à l’impasse Casimir Ranson. Aujourd'hui c'est devenu une rue. Limoges s'est beaucoup développée par rapport à ce qu'elle était sous l'occupation, la Limoges urbaine ! Et le PSIL était... ma mémoire n'a pas conservé le souvenir. C'était aussi bien l’internat, où il n’y avait pas l’eau courante, qui était très primitif, c'était une masure. Il fallait casser la glace qui se trouvait à la pompe dans la cour, pour faire sa toilette le matin en hiver. L'école elle-même était aussi localisée à un endroit très primitif.

Mais étant donné que j’étais déjà titulaire du baccalauréat, avec quatre de mes camarades qui eux aussi étaient post-baccalauréat, nous constituions une classe particulière du PSIL, qui était une école secondaire : une classe particulière qui recevait ses cours dans le bureau du rabbin Deutsch, boulevard Gambetta. Et çà j'en ai parfaitement le souvenir. En 2004 j'ai effectué un voyage "de racines" avec mes enfants, et on a fait une station à Limoges bien entendu, et nous avons un album de photos et un film, qui ont été réalisés pendant même ce voyage de recherche des racines pour les enfants. Mon fils a filmé l'immeuble du boulevard Gambetta où se déroulaient les cours du PSIL pour les quatre titulaires.

Alors ce qui est intéressant, c'est qu'en fin de compte les quatre étudiants aînés du PSIL, qui donc se rencontraient pour leurs études dans le bureau du rabbin Deutsch, un seul d'entre eux est devenu rabbin, et qui a fait même une carrière extrêmement brillante : c'est celui qui est devenu le grand rabbin Max Warschawski […]. 
Les autres étaient Théo Dreyfus et Jean-Paul Bader. C'était ce quatuor qui constituait la classe des aînés du PSIL.

Ce bureau était un lieu absolument extraordinaire. C’était une très vaste pièce, dans un immeuble bourgeois dont le rabbin Deutsch était locataire. C’était à la fois son bureau, le secrétariat de ce bureau, il y avait une personne qui était bénévole et qui s’occupait avec un acharnement et un attachement qui ne connaissait pas de relâche, et recevait toute sortes de Juifs qui venaient solliciter. C’était vraiment un centre de la résistance juive à Limoges. 
Un jour je me souviens que ce bureau qui était donc la salle d’études où il enseignait ! Quand il fallait qu'il intervienne pour une sollicitation d’un juif en détresse, il s'interrompait le moment qu'il fallait, mais il reprenait le cours ensuite !
C’est dans ces conditions-là qu'on a étudié. On a appris par cœur, par exemple, des chapitres entiers des prophètes Isaïe et Jérémie. J’en ai des souvenirs qui sont ineffaçables. C'est lui qui enseignait, il était le seul à enseigner ! Il enseignait et le Tanakh et la Guemara. J’étais un total débutant en Guemara à cette époque-là.

Emeric Fiser : philosophe de renommée européenne, juif d’origine hongroise,
qui sera déporté en février 1944 - coll. © Max Warschawski.

Il avait recueilli dans son appartement un réfugié d’Europe orientale, qui était un érudit de la Guemara et qui étudiait seul ; il avait une toute petite pièce dans l’appartement et il étudiait là-bas. Il ne pouvait pas enseigner car il ne savait que le yiddish. […] Il a survécu à l'occupation ; il n'a pas été arrêté en même temps que le rabbin Deutsch, il était pratiquement inconnu du voisinage et de la police. Le rabbin Deutsch ne pouvait pas être inconnu et son bureau était un véritable centre de la résistance.

Un jour il y a eu un mariage clandestin, un mariage houpa-kidoushim, et il a utilisé deux de ses élèves comme témoins du mariage. J’étais l’un des deux.
Il y avait d'autres épisodes qui se sont déroulés dans ce bureau ; je n'en ai pas un souvenir assez précis pour pouvoir les raconter.

Cela se limite à peu près à çà mes souvenirs de Limoges. Enfin non ! Il y avait un épisode qui s’est déroulé à Montintin, qui était une maison de l’OSE, située à une trentaine de kilomètres de Limoges. Il y avait là-bas un éducateur-chef de cette maison d'enfants qui était générée par l’OSE, l'Oeuvre de Secours aux enfants. Il s'appelait Emeric Fiser, il était d’origine hongroise, il savait parfaitement le français d'ailleurs. Il enseignait la philosophie, il était professeur de philosophie. J'ai un souvenir très précis de lui, j'ai suivi ses cours de philosophie à Montintin, et j'ai une estime et un respect, qui fait qu'il est l'un des rares enseignants dont j'ai gardé le souvenir du nom, de l'identité, pendant ces années-là, ces années d'occupation. Nous y étions d'ailleurs tous les quatre ! Quand il y avait une session à laquelle on participait à Montintin avec Emeric Fiser, on suivait les cours d'Emeric Fiser et il y avait Jean-Paul Bader, Théo Dreyfus, Max Warschawski et moi-même. Nous avons partagé ensemble un respect très intense de Emeric Fiser.

[…] Je me souviens d’un restaurant tenu par une famille qui appartient aussi à l'histoire de l'après-guerre dans des conditions très très tragiques (2). C'était un restaurant qui était géré par la famille Sandler. Et nous y avons assez souvent consommé, c'était lié à la gestion de l'internat dont nous faisions partie. […] C'était également un centre dans lequel se rencontraient des Juifs de passage, des Juifs qui résidaient de manière passagère à Limoges et notamment donc les élèves du PSIL. 

Il y avait une autre institution dont je garde un peu le souvenir : c'était une maison d’enfants de l’OSE également, qui était réservée à des jeunes filles, et qui était sous la direction d'une famille originaire d’Alsace, qui était en parenté avec le rabbin Deutsch, je crois que la directrice était la sœur du rabbin Deutsch, épouse d’un Monsieur Lévy qui était huissier de sa profession, et qui avait exercé son ministère d'huissier à Colmar. Il était originaire donc de Colmar, évacué lors de l’évacuation de l’Alsace, dans un des départments du Limousin, donc à Limoges.

[…] Dans toute la carrière éclatante qu'il [le rabbin Deutsch] a eu après la guerre pour participer de manière vraiment pionnière à une renaissance et à un renouveau du judaïsme, la passion de Deutsch c'était l'éducation et l'enseignement. Il l'a appliquée au long de toute sa carrière de manière prioritaire. La grande oeuvre de Deutsch à Strasbourg, çà n'a pas été ce qu'il a fait au cimetière ou pour assurer la casherouth ; c'était la fondation de l'Ecole Aquiba, qui vraiment est un symbole qui caractérise quelles étaient ses priorités en tant que dirigeant juif..

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Notes :
Les notes sont de la Rédaction du site

  1. Il s'agissait pour la plupart d'enseignants révoqués de l'Education nationale par le Statut des Juifs.
  2. A cours de la tuerie à l'école juive Ozar Hatorah de Toulouse (19 mars 2012), Jonathan Sandler, rabbin et professeur de l'école, a été abattu en dehors de l'école alors qu'il essayait en vain de protéger du tueur ses deux jeunes fils, Gabriel, 3 ans, et Arié, 6 ans, en levant ses mains nues.
Lexique :

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