Memorbuch, le Livre de la Mémoire
Grand Rabbin Max Warschawski
Extrait de UNIR, n°145, 1997


Massacre de Juifs "empoisonneurs de puits", vu par
Engelhard de Haselbach, chronique d'Eger, après 1571

Deux Shabatoth sont appelés en Alsace "Schwarz chavess" "Shabath noir" ou "Shabath de deuil". Le premier précède le 9 ab, le second la fête de Shavouoth.
C'est quelques jours avant cette fête que j'écris ces lignes.

Si le "Shabath 'Hazon" (vision d'Isaïe, d'après la Haphtara que nous y lisons, Isaïe ch.1), est jour de tristesse pour les juifs du monde entier, celui qui marque la fin de l'Omer n'est commémoré que dans le judaïsme ashkénaze, originaire d'Europe occidentale et, dans une mesure moindre, des pays d'Europe centrale, en souvenir des massacres de 1096 perpétrés par les Croisés en route vers la Terre sainte, en vue de libérer le Saint sépulcre et ce sont ces massacres qu'on commémore.

Plus tard, on y ajouta les martyrs des hécatombes de la Peste Noire, en 1348-49. Pour empêcher que ne disparaisse le souvenir de ces victimes, on rédigea les memorbücher, dans lesquels étaient consignés les noms des martyrs.
De nombreuses communautés au passé lointain, possédaient ces registres. D'autres, plus récentes, avaient copié le memorbuch d'une des grandes communautés.
Malheureusement la dernière guerre a fait disparaître ces registres, mémoires du martyrologe du judaïsme européen.

Lors des deux Shabatoth que nous évoquions, plus tard, on lisait les listes des martyrs, en les faisant précéder par les plus illustres des maîtres, depuis la période de la Michna, jusqu'au moyen âge. On y ajoutait le nom de ceux qui s'étaient consacrés au bien être ou à la défense de leurs contemporains. Les communautés inclurent, localement, leurs rabbins ou ceux de la province (la médina) et les noms de certains parnassim [dirigeants de communautés].

Le memorbuch est ainsi devenu à la fois le nécrologe et le martyrologe du judaïsme ashkénaze. Dans les memorbücher des grandes communautés, on introduisit plus tard les prières dites par l'officiant après la lecture de la Torah et les "michébérakh" [bénédictions] divers qu'on y prononçait.

Ainsi, le memorbuch - du moins celui qui était complet -se composait de trois parties : - il était le livre des prières récitées par l'officiant ;
- il était le registre nécrologique des personnages laïcs ou religieux ;
- il était enfin le martyrologe des victimes des Croisades et de la Peste noire.

Très rares sont les memorbücher qui évoquaient les massacres perpétrés par Chmielniki et ses cosaques en 1648 ou quelques victimes d'une accusation de meurtre rituel.

Le memorbuch était donc le registre de la commémoration (de la mémoire), d'où son nom !
Comme ce registre était placé sur la téva, le pupitre de l'officiant ou du lecteur de la Torah (qu'on appelle chez nous l'almémor, nom provenant de l'arabe ?) on a fait de l'alme-morbüch le memorbuch.

Certaines communautés évoquaient, chaque Shabath, le nécrologe. Le martyrologe n'était lu que lors du Shabath coïncidant avec les dates des massacres de 1096.
Le Shabath 'Hazon on reprenait le martyrologe local comme une introduction aux élégies de tisha beav (les kinoth) qui couvrent toute l'histoire des malheurs du peuple juif.

La plupart des communautés de nos régions ne savent plus ce qu'était le memeren, la lecture du memorbuch. Cette lecture s'achevait par la prière pour les martyrs (Av Hara'hamim), dite uniquement ces deux jours dans l'année.

Selon le minhag des communautés originaires d'Europe Centrale et Orientale le Av Hara'hamim est récité chaque Shabath avant la prière de Moussaf, et termine le Yiskor (l'évocation des défunts de la famille) lors des fêtes de Pessa'h, Shavouoth, Shemini Atzereth et Yom Kippour. Dans nos régions ces jours de fêtes étaient ceux du "matnath yad" appel à soutenir ceux qui se consacrent à l'étude et à la prière en Eretz Israël. Nous ne connaissons pas le Yiskor.

La cérémonie consacrée aux morts de l'année que nous disons le Yom Kippour est une institution provenant d'Allemagne au cours du 19e siècle.ez"e

Nous avons, à Strasbourg, repris la tradition du memmere en évoquant, non pas individuellement mais collectivement nos victimes du passé et celles de la dernière guerre. Nous y avons inclus le Av Hara'hamim, fidèles au minhag en vigueur en Alsace durant des siècles.


Shoah Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I . J . A .