De l'origine du Minhag askenaze Cette conférence a été prononcée en 1987 par le grand rabbin Warschawski, peu avant son départ à la retraite et son installation en Israël. |
Les coutumes et les traditions du judaïsme alsacien sont sensiblement celles des communautés rhénanes (Minhag Rheinouss). Elles sont très proches de celles de Francfort et leur origine se trouve dans le livre des Minhagim du Maharil, Les coutumes du Maharil (Rabbi Moshé Halévi Mölln), rédigé au 15e siècle par un élève du grand Maître de Mayence.
Jusqu’à la Révolution française, beaucoup de jeunes étudiants d’Alsace allaient s’instruire auprès des rabbins de Francfort, de Mayence ou de Karlsruhe. Metz aussi avait à sa tête des rabbins souvent originaires de ces régions. Les étudiants rapportaient probablement, avec l’enseignement reçu, la manière de vivre et d’agir de leurs maîtres.
Vie familiale
Ketouba (contrat de mariage), Niedernai 1779 coll. © A.& M. Rothé |
Les relations entre les communautés alsaciennes et celles du pays de Bade,
de l’autre côte du Rhin, étaient très étroites et
les mariages étaient courants entre les familles. Les fiançailles
étaient l’engagement pris par deux familles de marier leurs enfants.
Elles n’avaient aucun caractère religieux, car les Erussim
(fiançailles légales) se faisaient depuis le moyen-âge
au moment du mariage.
Au cours d’un repas de famille (Knass-MahI) on plaçait les jeunes fiancés au milieu d’un cercle tracé à la craie et, en brisant une assiette (non un verre), on marquait l’engagement par un Mazal Tov (bonne chance) repris par les assistants. Jusqu’au milieu du 19e siècle on écrivait des Tenaïm rishonim (contrat de fiançailles) fixant la date et les conditions matérielles du mariage. On prévoyait aussi une amende (knass) pour celle des parties qui romprait unilatéralement les fiançailles, d’où le nom du repas : knass mahl. Au moment de la ‘houpa (cérémonie nuptiale), les Tenaïm (le contrat) étaient éventuellement réécrits et complétés en tenaïm a a’haronim (contrat de mariage).La coutume des Tenaïm disparut lorsque les familles firent établir les contrats de mariage par l’État Civil ou par les notaires. Mais je possède encore des Tenaïm du 19e siècle écrits par le rabbin, en allemand, à une époque de transition. Le mariage était précédé par les shiflaunness, déformation de sivlonoth, (cadeaux de mariage), coutume datant de l’époque talmudique. Au cours d’une soirée familiale, les fiancés échangeaient des cadeaux parmi lesquels une ceinture pour le Sargueness (vêtement mortuaire que l’on mettait à Rosh Hashana et à Yom Kippour) et un beau talith (châle de prières) pour le ‘hatan (le fiancé), un Sidour à reliure précieuse pour la kalla (la fiancée). A partir de ce moment, les fiancés ne se voyaient plus jusque sous la ‘houpa (le dais nuptial). Le mariage avait lieu à la synagogue ou dans sa cour (Schulhof), lorsque le local était trop exigu pour contenir les invités. Cette coutume datait du moyen âge, où l’on célébrait les danses du mariage devant la synagogue, mais on prononçait les bénédictions nuptiales à l’intérieur de la schuhle (synagogue) en y faisant entrer un minyan (les dix personnes indispensables pour célébrer un office public) pendant que la foule attendait dehors. Pour annoncer des fiançailles ou un mariage, le ‘hazan (ministre officiant), le vendredi soir précédent, chantait sur un air spécial le Malkhutekha (extrait de la prière du soir) que les fiancés écoutaient debout. Voir notre dossier : Le mariage juif en Alsace et en Lorraine | Détail d'une mappa peinte pour Jacques Weil (1923). Le couple se dirige vers la 'houpa, le dais nuptial
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Naissance
Pour la naissance d’une petite fille, c’est un Shabath matin que le père
était appelé à la Torah et que la mère sortait
pour la première fois. Le ‘hazan l’accueillait en chantant
le passage Sme‘him betzétam (“Ceux qui se réjouissent
en sortant”, extrait de la prière du Shabath matin). Le même
jour en général, avait lieu une réception au domicile
des parents.
En soulevant le berceau (la crèche), les enfants présents proclamaient
le nom de la petite fille. D’où le nom de cette cérémonie
"‘hol krach", ‘hol
se référant au prénom non-juif de la petite et krach
au mot allemand kreischen ("proclamer à haute voix").
Une autre interprétation, celle-ci française, décrit
cette exclamation par "Haut la crèche" parce qu’on soulevait
l’enfant dans son berceau.
Puis le rabbin disait quelques versets bibliques et bénissait la fillette.
Voir notre dossier : Les rites de la naissance
Enfance et adolescence |
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A l’âge de trois ans environ, le garçon apportait
sa mappa à la synagogue. La mappa est le lange qui avait servi lors de la mila et qui, découpé et cousu en une longue bande, porte le nom du garçon, sa date de naissance et des voeux pour son avenir. |
Alphonse Lévy : Tsitsith |
Le petit garçon étrennait alors son premier
arba kanfoth (vêtement rectangulaire avec quatre franges rituelles) et accomplissait sa première mitzva (obligation religieuse) publique en enroulant sa mappa autour du Sefer Torah (le rouleau de la Torah). |
Gadiel comment enrouler les tephilîn autour de son bras - Jérusalem, 2000 |
La bar mitzwa était une petite fête de famille,
qui marquait le jour où le garçon, âgé de
13 ans, était appelé à la Torah pour la
première fois. Il ne lisait en général, qu’un court
passage de la Torah. Seul un garçon exceptionnellement doué
lisait la sidra (section hebdomadaire du Pentateuque)
toute entière et prononçait une drasha (exposé
biblique ou talmudique). [ Au bout de quelques années, mon mari a institué la "bath mitzva" et m'a chargée de la préparation de groupes qui réunissaient des jeunes filles qui allaient célébrer leur majorité religieuse ensemble. (...) En plus d'un cours de textes avec un des professeurs du Talmud Torah de la communauté, quelques jeunes filles se réunissaient dans notre salon, chaque Shabath, et d'une façon informelle je les initiai au sens du judaïsme, à sa signification sociale et religieuse. Le tout se terminait par un week-end du groupe en dehors de la ville, pour comprendre le vécu du Shabath. Après un examen devant le rabbin, on fixait la date du Shabath bath mitzwa… et toutes les jeunes filles et leur famille la plus proche se réunissaient après la prière du vendredi soir, pour le repas shabatique. Le lendemain, les pères étaient appelés à la Torah, et le discours du rabbin s'adressait aux Benoth mitzwa. (Mireille Warschawski) ] |
Vie cultuelle
Le rituel
La synagogue de Struth avec la bima devant l'Arche sainte |
Les synagogues
d’Alsace, jusqu’au milieu du 19e siècle, avaient une estrade,
bima, appelée encore al memor, au
milieu de la salle, mais pas de pupitre (ammoud) pour
l’officiant. Le ‘hazan (chantre, ministre officiant) y
dirigeait les offices et y lisait la Torah. C’est aussi sur l’al
memor que le rabbin prononçait ses discours. Dans les
grands centres, par imitation des autres cultes, ou pour dégager
plus de places pour les fidèles, on avança la bima
jusque devant l’Arche sainte et parfois on installa une chaire sur
un des murs.
C’est à la même époque que certaines communautés introduisirent l’orgue, en engageant un non-juif pour en jouer le Shabath et les jours de fêtes. Les choeurs étaient en général composés d’hommes et très rarement mixtes. L’institution de ces réformes provoqua parfois des scissions et la création d’oratoires plus traditionnels. La prière était conforme au rite rhénan et longtemps, les Juifs d’Alsace se servaient des livres de prières, Sidourim et Ma’hzorim édités à Roedelheim. Les piyoutim (poèmes religieux) du rite ashkenaze étaient régulièrement lus aux Shabatoth spéciaux et aux fêtes. Beaucoup de ces piyoutim avaient leur air spécifique et gare à l’officiant qui se trompait d’air ou qui l’ignorait ! Ces airs permettaient de reconnaître le Shabath spécial ou la fête. Il n’y a que dans un domaine que le rite alsacien a conservé son particularisme : c’est celui des Seli’hoth (prières implorant le pardon divin, récitées depuis avant Rosh Hashana jusqu’après Yom Kipour). Il existe depuis le 18e siècle un recueil de Seli’hoth alsaciennes, identiques en général aux Seli’hoth ashkenazes, mais dans un ordre différent de celles des communautés allemandes et auxquelles se sont ajoutées un certain nombre de Seli’hoth d’autres origines. |
La synagogue de Saint-Louis avec la bima au centre de la salle |
Les fêtes juives
Les fêtes étaient célébrées selon la tradition rhénane. On ne connaissait pas le Yizkor (prière pour les morts). Ce n’est qu’après l’annexion de l’Alsace en 1870 que des Juifs allemands introduisirent une prière pour les morts à Kipour. Par contre, le Shabath avant Shavouoth et le Shabath ‘Hazon, avant le 9 av, on évoquait les martyrs des Croisades et de la Peste Noire, ainsi que les victimes des multiples persécutions de l’histoire et en particulier les Kedoshim (martyrs) de la région. On appelait cette évocation Memmere parce que l’on y évoquait la “mémoire” ou parce que l’on lisait ce martyrologe sur l’al memor.Les fêtes étaient marquées par une cuisine spéciale. Pessa’h avait ses mets, sans lesquels on n’imaginait pas pouvoir célébrer la fête. Shavouoth était accompagné de la tarte au fromage dans le sud de l’Alsace, par le koletch (brioche au beurre), dans le nord de la province. On ne pouvait fêter Pourim sans pürimkichele, les beignets (soufganioth) de Pourim (et non pas de Hanouka, comme dans d'autres communautés) pour ne citer que quelques exemples.
Vie sociale
Jusqu’au début du siècle la ‘Hevra s’occupait aussi
de la confection de cercueils et cousait les vêtements mortuaires (sargueness).
Lorsque la communauté était petite, la ‘Hevra désignait
à tour de rôle, les membres de la confrérie qui assisteraient
aux offices dans la maison de deuil, pour garantir le minyan nécessaire.
Voir notre dossier : Le deuil et les rites funéraires
L’arrivée en Alsace de Juifs de toutes les parties du monde, la disparition
des générations qui avaient connu ou vécu les traditions
locales, a vu, progressivement, disparaître certains minhagim
(coutumes) alsaciens.