Malgré l'Exode....
par Michel Abib
Avocat et Notaire à Jérusalem

Abib Je suis un enfant de Bab-el-oued, quartier d'Alger considéré comme le dernier bastion de l'Algérie française, où nous vivions heureux, Juifs, Chrétiens et Arabes sans que nos différences n'affectent les relations humaines de tolérance et de respect mutuel.

C'est la mémoire d'un enfant de 13 ans à l'âge où je quittais Alger qui s'exprime.
Nous habitions au "Trois horloges" en plein coeur de Bab-el-oued, à proximité du Talmud Tora et de la synagogue de la rue Suffren.

Nous vivions paisiblement Papa, Maman, Roland, Marlène et moi dans un vaste et bel appartement et nous étions heureux. Maman ne travaillait pas, Papa était représentant de commerce en produits alimentaires et domestiques.
Nos familles paternelles et maternelles vivaient aussi à Alger et nous étions en contact avec eux au moins deux fois parsemaine, le jeudi et le samedi.
Mon frère étudiait au collège Guillemin, ma soeur à l'école communale de la rue Franklin et moi au lycée Bugeaud.


La famille Abib à Alger - Michel au premier rang au centre
Famille Abib

Notre vie juive, bien que non stricte, était intense : depuis notre plus tendre enfance, nous étions imprégnés et bercés au rythme du Talmud Torah au moins deux fois par semaine et nous fréquentions beaucoup la synagogue qui se trouvait à proximité de notre demeure; quant à moi, qui avait déjà une attirance particulière pour la liturgie, je me rendais, seul, dès l'âge de 7-8 ans à la synagogue, même aux offices peu fréquentés de la semaine où les seules personnes qui s'y trouvaient étaient du troisième âge, mais étant l'exception, je jouissais de l'affection de multiples grand-pères.

Michel Abib au Lycée Bugeaud à Alger (année 1960-61)
Lycee
En juin 1962, pour mon frère aîné âgé de 15 ans et moi de 13 ans, l'heure du départ a sonné.
Je ne dois pas omettre les souvenirs des derniers mois de terrorisme sanglant entre l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS) et le Front de Libération Nationale (FLN) qui s'opposaient les uns aux autres cruellement et comme je le disais au coeur du dernier bastion de l'Algérie Française, mes yeux ont vu, pendus aux "Trois horloges", gémir sur les places et centres urbains d'Alger des cadavres de l'un ou l'autre bord et même des membres de l'OAS tirer à bout portant sur des mauresques en habit musulman qui naïvement avaient osé pénétrer datas notre quartier.

Papa, Maman et notre jeune soeur sont restés pour essayer de réaliser les biens de la famille, véritable leurre, alors que mon frère aîné et moi quittions l'Algérie seuls, en partance pour Marseille d'abord puis presqu'aussitôt pour Strasbourg.
        
Déracinement familial, déracinement géographique, déracinement climatique, déracinement traditionnel et malgré tout, nous avons été accueillis à Strasbourg par l'Association des jeunes Israélites Réfugiés d'Algérie {AJIRA}, composée de plusieurs personnalités de la communauté juive de Strasbourg, séfarades et ashkénazes et donc je citerai quelques noms tels que le grand rabbin Albert Hazan, le professeur et rabbin André Neher, Maître René Weil et George Weill, le professeur Beno Gross, le Docteur Lucien Lazare et évidemment leurs épouses dévouées et prêtes à nous prendre en charge comme l'auraient fait nos propres parents qui n'étaient alors pas en mesure d'assurer notre éducation à un âge crucial de notre existence.

Autant que je me souvienne pour mon frère et moi le contact avec la communauté de Strasbourg fut suscité par ma Bar Mitsva qui a eu lieu à Alger. Dès le lendemain, nous partions pour la France.
Comme je vous le disais, j'avais 13 ans et mes parents avaient envoyé des faire-parts notamment au grand rabbin Hazan dont le père était rabbin à Cherchell, petite ville du département d'Alger où Maman a grandi.
Bar Mitswa En guise de voeux, le grand rabbin Hazan a aussitôt adressé à mes parents un télégramme de félicitations dans lequel il suggérait qu'au lendemain de ma Bar Mitsva, nous soyions directement dirigés vers Strasbourg. C'est ce qui fut fait, et au mois de juin 62, Roland était envoyé en colonie d'été à Sainte-Croix-aux-Mines, alors que moi, plus,jeune, était envoyé en colonie d'été à Hagueneau.

Les derniers mois de notre année scolaire 61/62 ayant été sensiblement perturbés par les derniers événements qui ont précédé la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, il nous a fallu être repris en mains par des cours de rattrapage qui nous ont permis de reprendre le chemin de l'école sans trop de dommage.

Le nombre d'enfants et de familles qui avaient été accueillis par la communauté juive de Strasbourg et plus particulièrement par l'AJIRA, s'élevait à plusieurs centaines de personnes, hommes, femmes, enfants et vieillards et je me rappelle que lorsque nous sommes arrivés au centre communautaire de la rue de !a Paix à Strasbourg, le grand hall du "basement" avait été aménagé en un grand dortoir pour permettre à ces personnes de ne pas s'éparpiller dans la cité non juive, si différente de la mentalité de cette population qui avait en grande partie vécu en milieu islamique.

Les jeunes qui comme nous n'étaient pas accompagnés par leurs parents ont été logés dans le centre Charles Netter d'Obershaefolsheim, banlieue se trouvant à une dizaine de kilomètres de Strasbourg et où nous avons passé une année entre jeunes garçons d'Alger, Oran, Tlemcen, Ain-Temouchent, Constantine, Tiaret, Mostaganem, Sidi Bel-Abbès, et j'en passe. Je me souviens de notre cher directeur et de sa famille, Monsieur David Abenaim, qui avait fort à faire avec une jeunesse qui du jour au lendemain se trouvait privée de la. chaleur et de la. présence de leurs parents.

Oui, nos parents étaient pendant ce temps-là bien préoccupés par leur avenir professionnel et leur reclassement social et même si nous étions encore insouciants, nous appréhendions d'être à leur contact pour ne pas les solliciter encore et leur occasionner des soucis supplémentaires.

Voilà des centaines de personnes qui auraient pu disparaître dans la tornade de l'assimilation et de l'oubli de leur tradition en présence d'une civilisation nouvelle qui était sourde et aveugle aux conséquences de ce déracinement.
Mais grâce à cet accueil, il fut bon et agréable de se retrouver ensemble entre frères dont le dénominateur commun est l'étude et la foi dans la Tora d'Israël.
Au-delà des différences non négligeables dans beaucoup de domaines, la communauté de Strasbourg a su accueillir nos communautés, non seulement au moyen d'une chaleur spontanée mais aussi avec une réelle volonté de voir ses frères d.'un autre monde se joindre à eux pour mener ensemble une existence commune permettant ainsi d'être un exemple pour les Nations : "Or la Goyim".


© A . S . I . J . A .