Son rôle historique commence en 1895 ; s'il a pu le jouer, il le doit à son génie, à son esprit de sacrifice, et aussi à sa beauté impressionnante. Zangwill la décrit ainsi : "On croit voir un de ces rois Assyriens, dont les têtes sculptées ornent nos musées, le profil de Téglath-Phalasar. En réalité c'est la belle figure sombre d'un rêveur royal..." . Nordau écrit : "Il était beau, il était grand et bien fait de sa personne, avait le front noblement pensif, l'œil noir dominateur, le sourire charmant..." Bertha Von Buttner parle dans une nécrologie presque exclusivement de sa beauté. "Elle faisait partie", dit-elle,"de l'harmonie de cette forme humaine si harmonieuse, dont rime aussi n'était que beauté. Et du même genre que tout son ensemble, fierté et délicatesse".
Epoux d'une femme avec laquelle il vivait heureux, du moins à cette époque, père de trois enfants qu'il adorait, il semblait qu'il n'avait qu'à se laisser vivre. L'affaire Dreyfus mit fin à sa tranquillité. Il était encore à Paris, quand elle éclata, et il assista en qualité de journaliste au premier procès et à la dégradation de la malheureuse victime des antisémites. Elevé dans un milieu d'assimilateurs, assimilé lui-même, lui qui jusqu'alors ne s'était guère préoccupé de la question juive, la vit ce jour sous un de ses aspects les plus tragiques.
Dans d'autres passages de son ouvrage, Herzl explique, qu'une Jewish Company qui devra avoir son siège en Angleterre s'occupera des avoirs des Juifs dans les régions que ceux-ci doivent évacuer et qu'elle organisera le nouveau pays au point de vue économique, qu'une Society of Jews, anglaise aussi, choisira le territoire sur lequel L'état juif devra être créé, qu'elle prendra les mesures nécessaires pour l'obtenir, élaborera un code et promulguera une constitution. Cette seconde société prendra toutes les mesures politiques qui s'imposeront jusqu'à ce que le nouvel Etat puisse diriger ses affaires lui-même. Dans les dernières pages de son ouvrage Herzl s'occupe de différentes questions de détail, entre autres de la constitution qui devra être républicaine et aristocratique, de la langue qui ne devra être ni l'hébreu ni le jargon ; il demande comme langue celle qui sera "la plus utile pour les relations avec l'étranger", et Il termine en affirmant :
Fait important : les idées de Herzl sur la langue que les Juifs devront parler quand ils auront leur Etat, ne furent jamais acceptées par le sionisme, mais Herzl leur resta toujours fidèle. Peu de temps avant sa mort, en 1902, il publia un roman sioniste "Vieux pays, nouveau pays", dans lequel les citoyens de la nouvelle Sion ne parlent pas l'hébreu. La thèse principale que Herzl défend est en somme celle que Hess, Eliot et Pinsker et d'autres ont défendue avant lui. Mais tandis que ses prédécesseurs se contentèrent d'écrire, lui agit et consacra toutes ses facultés, son intelligence, son énergie et sa fortune pour créer un Etat juif.
Avant de publier sa brochure, il fit un voyage de propagande en France et en Angleterre au cours duquel il parvint à gagner Zadok-Kahn, Max Nordau, les Chovévé Zion, anglais, et leur chef le colonel Goldsmid par contre, Leven, qui était le président de l'alliance israélite et de l'Ica, refusa de le suivre. Plus tard Claude Montefiore, le Président de l'Anglo Jewish Association, et Edmond de Rothschild agirent de même. Max Nordau (1849-1923), le célèbre auteur des "Mensonges conventionnels" et de "Dégénération", allait devenir son allié le plus précieux, son conseiller le plus avise et le plus sûr. Claude Montefiore restera un adversaire du sionisme jusqu'a sa mort (mort en 1938), tandis que Rothschild s'en rapprochera plus tard. "Sans moi", dira-t-il plus tard, après la création du Foyer National, en parlant de Herzl, "il n'aurait pas pu commencer, sans lui, je n'aurais pas pu continuer."
Depuis la mort de Charles Netter et de Crémieux, l'Alliance n'éprouvait plus le besoin de faire "la conquête pacifique de la Palestine", et n'affirmait plus que la création de l'école agricole de Jaffa, ne devait être considérée que comme "le premier pas vers une réunion sur la terre des ancêtres". La création d'un Etat juif, que ce fût en Palestine ou dans une autre région, n'entrait plus dans ses vues. Selon la doctrine des hommes qui la dirigeaient, l'assimilation ne devait pas borner son action à l'Europe et à l'Amérique, mais agir partout ou vivent des Juifs. Ils proclamaient que les persécutions cesseraient quand les peuples qui habitent la partie orientale de notre Continent reconnaîtraient aux Juifs les droits de citoyens, et quand ceux-ci ne se considéreraient plus que comme Juifs de religion ; et ils se berçaient de l'espoir que ces résultats magnifiques seraient obtenus par "l'influence de la raison, de l'intérêt, de l'éducation et de la conscience". Les dirigeants de l'Anglo Jewish Association pensaient de même. Un abîme séparait donc Herzl de ces deux organisations, dont la puissance était énorme, non seulement parce qu'elles étaient soutenues par une grande partie du rabbinat, par des publicistes et des financiers juifs, mais aussi parce qu'elles nommaient la plus grande partie des membres du Conseil d'Administration de l'Ica. Elles tenaient donc les cordons de la Bourse, et leur hostilité aidera a faire échouer le travail politique que Herzl entreprendra.
"L'État juif" parut le 15 février 1896 à Vienne. Il suscita l'enthousiasme des masses juives, des Chovévé Zion et de beaucoup d'intellectuels. C'est alors que Herzl apprit que le Judaïsme ne s'intéressait qu'à un Etat à créer en Palestine ; il modifia son projet en ce sens et c'est vers la Palestine qu'il dirigea ses principaux efforts. Le révérend W.H. Hechler, aumônier de l'ambassade britannique à Vienne, avait publié quelques années auparavant un opuscule, dans lequel il cherche à prouver que le retour aurait lieu en 1897 ou 1898. Après avoir pris connaissance du contenu de "l'État juif", Il acquit la conviction qu'il ne s'était pas trompé, que l'événement qu'il attendait était proche, et que la Providence avait donné à Herzl la mission de mener le retour a bonne fin ; et il prit la décision de se mettre à sa disposition et de l'aider de toutes ses forces. Précepteur du jeune prince Louis de Bade, il avait été admis jadis dans l'intimité du père de son élève, du grand duc de Bade, Frédéric (1826-1907), et sa mission à la cour grand-ducale terminée, il n'avait jamais cessé d'entretenir des rapports d'amitié avec celui-ci. Il se rendit auprès de lui, lui expliqua que l'œuvre entreprise par Herzl amènerait "une crise prophétique", que les temps étaient révolus, et que les hommes, qui contribueraient a instaurer le nouvel état des choses voulues par Dieu, feraient œuvre sainte ; et il conclut en lui demandant de recevoir Herzl. Le grand duc de nature mystique comme Hechler, accepte, et accorde le 23/4/96 à Herzl une audience, à laquelle Hechler assiste aussi. Au cours de celle-ci Herzl explique ses projets et ses idées et le grand-duc lui affirme que le sionisme a toutes ses sympathies et qu'il lui promet son appui. Il insista avec force sur le fait que sa bienveillance avait toujours été acquise au judaïsme et qu'il avait toujours agi comme ami des Juifs. "Mais mes sujets juifs", ajouta-t-il, "ne pourraient-ils pas supposer que mes sentiments vis-à-vis d'eux ont changé quand ils apprendront que je soutiens un mouvement qui doit ramener les Juifs en Palestine ?" Rassuré sur ce point par ses deux interlocuteurs, le noble vieillard déclara qu'il ne doutait pas que la réalisation du sionisme serait une bénédiction pour une partie de l'humanité ; il demanda à Herzl de l'informer régulièrement des progrès de son œuvre, et lui promit d'intervenir auprès de son neveu, l'empereur Guillaume, pour que celui-ci le reçoive aussi. Il tint religieusement sa promesse, mais n'obtint gain de cause qu'en 1898.
Et maintenant Herzl cherche à agir sur la Turquie. Il arrive le 18 juin 96 à Constantinople, accompagné du polonais Michel de Newlinski qui lui a promis de le présenter au sultan et aux ministres turcs. Newlinski avait été dans sa jeunesse attaché à l'ambassade d'Autriche, mais avait du se démettre de sa charge pour cause de dettes, et vivait depuis des subsides que lui accordait le gouvernement turc dont il était devenu l'agent politique. Avait-il encore ses entrées auprès du sultan, comme les avait eu au temps de sa splendeur ? On ne le sait. Mais il est certain, qu'il connaissait les hauts fonctionnaires turcs, et qu'il traitait avec eux d'égal à égal. Grâce à lui, Herzl put rencontrer des hommes d'état turcs et les mettre au courant de ses projets, mais il ne put pas obtenir une audience du Sultan. Newlinski par contre prétendit que lui avait été reçu et il raconta à Herzl que Abdul Hamid s'était exprimé dans ces termes : "Je ne peux même pas donner un pouce de ce pays, car ce n'est pas à moi qu'il appartient, mais a mon peuple. C'est mon peuple qui l'a conquis et fertilisé de son sang..., il faudra l'arroser de notre sang de nouveau, et alors seulement on pourra avoir ce pays... Que les Juifs conservent donc leurs milliards. Il est possible que mon empire sera une fois morcelé, ils pourront alors avoir la Palestine sans payer... mais notre cadavre sera morcelé auparavant". Il est bien possible que ces phrases aient été inventées de toutes pièces par Newlinski, mais elles étaient certainement le reflet de la pensée du sultan.
Envers et contre tous Herzl continue à espérer qu'il obtiendra son audience, et quand Newlinski l'informe qu'il ne sera pas reçu, il ne quitte pas encore la place et ne se décide que le 29 juin a prendre le chemin du retour. Fin mars 99 Newlinski se rendra une seconde fois à Constantinople sur la demande de Herzl pour agir dans l'intérêt sioniste, mais il mourra subitement à peine arrivé.
Sur le conseil de Newlinski, Herzl décide de ne plus demander une Palestine indépendante et de se contenter d'une Palestine qui conserverait des liens de vassalité avec la Turquie. Mais de grands capitaux sont nécessaires aussi pour cette solution, et pour les obtenir, il s'adresse en juillet 96 aux dirigeants de l'ICA, Narciss Lewen et Claude Montefiore, et en plus à Edmond de Rothschild et Sir Samuel Montagu. Les chefs de l'ICA déclarèrent qu'un état juif n'était ni possible, ni désirable. Rothschild affirma qu'il ne croyait pas aux promesses turques, et que même s'il y croyait, il ne s'engagerait pas dans une aventure semblable. Il ajouta qu'il serait impossible de régler l'arrivée des masses en Palestine, qu'il viendrait d'abord 150000 indigents qu'il faudrait nourrir. Et Montagu donna une promesse sous conditions. Il aiderait, promit-il, avec ses capitaux, si Rothschild et l'Ica fourniraient des fonds aussi, et si les grandes puissances déclaraient ne pas s'opposer à la création d'un état juif.
Herzl essuya ainsi un refus sur toute la ligne. Mais il ne se considéra pas comme définitivement battu et résolut pour continuer la lutte de prendre contact avec ses partisans plus qu'il ne l'avait fait jusqu'alors. Il créa dans en but un hebdomadaire "Le Monde", et convoqua un congrès sioniste. Celui-ci devait primitivement se réunir à Munich, mais devant l'opposition violente de la communauté de cette ville, Herzl modifia ses projets et prit la décision de le réunir à Bâle. Et maintenant les chefs du rabbinat allemand s'agitent. "La religion et le patriotisme", déclarent-ils, "nous imposent le devoir de demander à tous ceux auxquels l'avenir du judaïsme tient à cœur, de repousser les visées sionistes et d'éviter tout contact avec le congrès auquel on ne renonce pas malgré nos avertissements. Herzl leur donna dans son journal une cinglante réplique qu'il termina par la phrase : "pour les distinguer dorénavant des bons rabbins, nous nommerons ces fonctionnaires de la synagogue qui cherchent à empêcher la libération de leur peuple - les rabbins qui ont protesté".
Le congrès eut donc lieu à Bâle, comme du reste cinq autres congrès que Herzl convoqua plus tard ; un seul, le 4ème, siégea à Londres. Le 22 août 97 les congressistes se rassemblèrent sous la présidence de Herzl dans la salle du Casino de Bâle. Parmi eux se trouvèrent Max Nordau, le romancier anglais Zangwill, le mathématicien Schapira, les publicistes Sokolow et Achad Haam, le chef des Chovévé Zion russes Ussischkin et Wolffsohn, commerçant d'origine polonaise qui avait fondé un groupe genre Chovévé Zion à Cologne. Herzl et Nordau parlèrent dans la première séance. Quand Herzl s'approcha de la tribune, une scène impressionnante se déroula. L'écrivain russe, Rabinowics, qui en fut témoin, l'a décrite en ces termes :
Quand le calme fut rétabli Herzl prononça le discours d'ouverture, dont nous extrayons le passage suivant :
Puis ce fut le tour de Nordau de parler. Il décrivit dans le style merveilleux qui lui était propre la misère physique du Juif de l'Est, et la misère morale du Juif de l'Ouest, et dans sa péroraison il s'écrie…
Des séances de travail suivirent au cours desquelles on adopta entre autre le programme connu depuis sous le nom de programme de Bâle, qui affirme que "le sionisme a pour but de créer en Palestine pour le peuple juif un Foyer National, garanti par une loi internationale". Max Nordau qui est l'auteur de ce programme explique après la guerre pourquoi il choisit le terme de Foyer et non celui d'état.
Le congrès suggéra à ce dernier les réflexions suivantes :
Ce que Herzl a entendu et appris à ce premier congrès, lui donne la certitude qu'il est sûr le bon chemin, qu'il doit continuer à combattre la colonisation des Chovévé-Zion et d'Edmond Rothschild et qu'il doit persévérer dans ses efforts pour obtenir l'aide de l'Ica et de la haute finance juive. Il s'exprime dans ce sens dans un article intitule "Congrès de Bâle" dans lequel il écrit :
Le dernier passage du discours de Herzl que nous avons cité laissait supposer que des négociations étaient déjà engagées avec le Sultan ou allaient l'être. Beaucoup de sionistes étaient d'avis qu'elles étaient sans valeur. Un sioniste chrétien, le professeur de théologie, Hémon, qui avait assiste au congrès, se fit leur porte-parole et s'exprima ainsi dans une brochure "Le réveil de la nation juive", qu'il publia en octobre 97.
C'est donc, comme on voit, la doctrine d'Armand Lévy qui reparaît. Achad Haam, qui désarma devant le sionisme de Herzl aussi peu qu'il avait désarmé devant celui des Chovévé Zion écrit de son côté :
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