Il est difficile
de savoir si lascendant dun médecin sur autrui et sur son entourage
lui vient de son don de sympathie - dans le sens étymologique : participation
à la souffrance - ou de la connaissance de lhomme que lui confère
lexercice de la médecine.
Le fait est que, dès la première rencontre avec le Docteur Joseph
Weill, on a limpression quil en sait plus sur vous que vous-même.
Sa façon de parler, toujours calme, jamais passionnée, et son habitude
dobserver son vis-à-vis avec un intérêt manifeste, mettent
à laise.
Sa culture générale, sa culture juive, sont très étendues. Le Docteur a su nous transmettre dans ses exposés et dans des cercles détudes, des connaissances qui nous resteront. Il a donné aux études religieuses à Strasbourg un élan qui y faisait défaut depuis des générations, en promouvant, au début des années trente, un Institut des Etudes Juives.
Rien détonnant à ce que le Docteur ait été un conseiller remarquable. Lorsque, peu avant la guerre, nous déclenchons une politique de la jeunesse dans la communauté, ses conseils et ses encouragements sont des plus précieux.
Négociateur hors pair, il le prouvera, entre autre après la Débâcle, lorsque certains milieux chrétiens commenceront à sémouvoir de la situation dans les camps dinternement. Ses interventions et ses initiatives auprès du Comité de Nîmes, groupant trente oeuvres nationales et internationales, confessionnelles ou laïques, seront très efficaces.
Le pessimisme du Docteur Weill nous étonnait toujours. Chaque fois, nous devions admettre quil avait raison. Cétait un pessimisme tout particulier, car constructif. En France, il est alors courant de penser "que lantisémitisme de type nazi est impensable", mais il nous encourage à nous organiser, à prévoir lauto-défense. Lui-même use de son autorité pour inciter à plus de modération les Juifs ayant des relations daffaires avec les populations rurales.
Il met à la disposition des E.I.F. sa propriété proche de Saumur où, pour la première fois, les projets de Robert Gamzon seront mis en pratique et seront à lorigine, après la Débâcle, du réseau des fermes de la Zone Sud.
Il soriente vers les questions sociales, début 1940, en rejoignant les évacués dAlsace en Dordogne. Il y crée de toutes pièces un ensemble médico-social qui attire lattention des autorités et même dune commission anglaise qui remarque que le Docteur "était le seul à dire la vérité", sous-entendu : sur la misère des évacués.
Lorsquà la suite de la défaite, une bonne partie des Juifs dEurope Occidentale se trouvent en Zone Sud, soit à titre de réfugiés, soit à titre dinternés dans des camps, le Docteur se met à la disposition de lO.S.E. Grâce à ses nombreuses relations, et malgré un antisémitisme institutionnalisé, il maintiendra des contacts avec des personnalités officielles et intéressera au destin juif des organisations humanitaires internationales.
Il obtient même des secours substantiels
pour notre ferme de Taluyers où, pendant les deux premières années,
se poseront de graves problèmes de ravitaillement et de financement.
Dune façon générale,
il parvient à aider tout travail positif : Les maisons daccueil
pour "internés en congé non libérable" de lAbbé
Glasberg, par exemple.
Dès 1941, le Docteur Joseph Weill prévoit lextension de lactivité de la Gestapo au-delà de la Ligne de Démarcation. Il prévoit la nécessité de préparer le passage dans la clandestinité de lO.S.E., la dispersion et des planques pour les pupilles des maisons denfants, raison dêtre du Circuit Garel.
Le docteur, et quelques-uns de ses collaborateurs, Andrée Salomon, Julien Samuel, Directeur de lO.S.E. Marseille, sont recherchés. Il parvient à faire revenir le préfet sur sa décision en faisant vibrer la corde patriotique; mais lui et son équipe devront dorénavant éviter cette ville.
A Limoges latteint le message du secrétaire de mairie de Terrasson : "Coco est très malade". Cette fois, cest la Gestapo qui le recherche. Il décide daller en Suisse, où il deviendra lune des personnalités les plus actives pour le sauvetage des populations juives. Il gardera le contact avec les oeuvres internationales pour leur rappeler leur devoir et, en particulier, avec la Croix Rouge. Il collaborera avec les institutions juives, notamment avec le Joint, pour quelles augmentent leur aide aux populations persécutées et il touchera également des personnalités suisses afin quelles fassent pression sur la Confédération pour améliorer les conditions daccueil des réfugiés. En un mot, il deviendra lambassadeur du Judaïsme européen à Genève.
La France nest pas encore libérée quil prépare déjà laprès guerre en fondant, avec un de ses amis de lUnitarian Service Committee, une école de formation sociale pour des cadres destinés aux survivants des camps et des communautés. Les candidats seront recrutés parmi les meilleurs éléments des camps dinternement suisses.