Marcel MAUSS
1872 - 1950


MaussMarcel Mauss est souvent considéré comme le "père de l'anthropologie française".

Il naît à Epinal le 10 mai 1872. Il est le neveu d'Emile Durkheim, le fils de sa sœur Rosine. Son père est originaire de Hattstatt (Haut-Rhin).

Mauss étudie la philosophie à  Bordeaux, sous la férule de son oncle qui surveille étroitement ses études, et qui fait de lui son collaborateur pour ses nombreux projets de recherche. 

Reçu à l'agrégation de Philosophie en 1893, il ne s'oriente pas vers l'enseignement secondaire, mais s'installe à Paris pour y étudier les Religions comparées et le Sanscrit à la 5ème section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes (Histoire des religions). Celle-ci est dirigée par Sylvain Lévi pour lequel il éprouve un grand attachement et qu'il appelle son "second oncle". C'est sous l'influence de son patron que Mauss adopte un style d'étude des religions typique de la Science du judaïsme. Sa première publication en 1896 marque le début d'une carrière féconde qui posera de nombreux jalons dans le développement de la sociologie et de l'ethnologie.

Juif non pratiquant, Mauss n'a jamais renié son appartenance au à la religion de ses pères. Sa maîtrise de l'hébreu et sa connaissance des textes bibliques lui sont, comme on le voit dans plusieurs études et comptes rendus, fort utiles, pour ne pas dire indispensables. Mauss touche ici et là divers aspects du judaïsme : les interdictions rituelles relatives au sang menstruel, les arrêts périodiques de la vie (Shabath), la fête de Pourim, la synagogue comme société de prière, etc. Mais il n'est jamais question pour lui de s'en tenir à l'interprétation traditionnelle. Comme il le montre pour la circoncision dans le seul article qu'il publie dans la Revue des études juives en 1926, le judaïsme est pour lui un sentiment d'appartenance et une culture. 

Mauss se voit confier un poste d'enseignant à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, et en 1901 il recevra le titre de professeur d'Histoire des religions des peuples non civilisés.

En 1898, Mauss fonde avec son oncle  Emile Durkheim l'Année Sociologique, une revue semestrielle dont l'objectif central est "d'être régulièrement informés des recherches qui se font dans les sciences spéciales, histoire du droit, des moeurs, des religions, statistique morale, sciences économiques, etc "… La revue publie de nombreuses monographies spécialisées qui concernent aussi bien les sociétés sans écriture que les civilisations modernes.

Mauss se jette avec passion dans la lutte pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus. C'est dans cette  circonstance qu'il se rapproche de Jean Jaurès, l'ex-condisciple de son oncle, et qu'il va fonder avec lui l'Humanité. Il  collaborera également à d'autres  journaux de gauche comme  le Populaire, et La Vie socialiste. Il restera toute sa vie un militant socialiste  fidèle à ses convictions, qui trouvent un écho dans ses travaux.

Engagé volontaire pendant la première guerre mondiale (à l'âge de 42 ans !), Marcel Mauss est affecté pendant plus de trois ans comme interprète auprès d'unités combattantes anglaises et australiennes. Emile Durkheim décède en 1917 et Mauss s'adonnera par la suite au travail de publication des œuvres posthumes de son oncle avec une grande fidélité.

En 1925, il est le co-fondateur de l'Institut d'Ethnologie à l'Université de Paris avec Lévy-Bruhl et Paul Rivet. Il  obtient une chaire de sociologie au Collège de France en 1931, et déploie une activité sans relâche, multipliant articles et conférences.

A la différence des ethnologues britanniques, qui sillonnent mers et forêts, c'est par ses lectures et les conversations avec ses collègues étrangers que Mauss enrichit sa documentation. Universitaire brillant, il n'a rien d'un homme de terrain.

L'œuvre de Mauss est considérable, mais elle reste disséminée dans un grand nombre d'articles. Plus soucieux d'éveiller des vocations que d'élaborer une théorie propre, il n'achèvera aucun des grands ouvrages qu'il avait entrepris, qu'il s'agisse de sa thèse sur la prière ou de ses travaux sur la monnaie et l'Etat. Sa méthode de travail et d'enseignement consiste à illustrer, par de nombreux exemples, des idées souvent très originales, qui lui sont suggérées par des articles et des conversations.

Si l'  Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, publié en 1925, occupe une place aussi centrale dans l'œuvre de Marcel Mauss c'est que non seulement il offre un renouvellement de la théorie durkheimienne de la cohésion sociale, mais aussi il constitue un point de rencontre de ses préoccupations scientifiques et sociales : ethnographie et politique se rejoignent. En utilisant la méthode de la morphologie comparative, il met en évidence le principe de réciprocité qui est le fondement même de l'économie primitive. L'institution du "potlatch", qu'on observe en Polynésie, en Mélanésie et dans le  nord-ouest américain, illustre l'importance de l'échange dans la vie sociale. L'obligation de donner et de recevoir affecte l'ensemble des représentations et des comportements de la vie quotidienne, jusqu'aux fêtes religieuses, aux aumônes, aux sacrifices et au jeu.  Mauss montre ainsi que les phénomènes économiques ne sont pas dissociables des autres aspects de la vie sociale, et ne peuvent être réduits à des calculs mercantiles dérivés du troc. Pour la première fois, remarque Claude Lévi-Strauss, la réalité sociale apparaît comme "un système entre les parties duquel on peut découvrir des connexions, des équivalences et des solidarités". L'anthropologie quitte ainsi le terrain de l'anecdote

Initié par son oncle à la philosophie néo-kantienne, Mauss cherche dans la vie sociale les fondements de l'activité intellectuelle et religieuse. Il considère que les faits sociaux constituent un ordre naturel, dont il est possible d'étudier les lois : les civilisations lui apparaissent comme des systèmes cohérents et contraignants, au même titre que le monde physique ou biologique.

Dans les sociétés peu évoluées, l'homme est "affecté dans tout son être par la moindre de ses perceptions pour par le moindre choc mental". Mauss soutient que les indigènes australiens meurent très souvent par autosuggestion, simplement persuadés que leur heure est venue, parce qu'on leur a  jeté un sort ou parce qu'ils ont transgressé un tabou. Dans de telles sociétés, les attitudes et les pensées de l'individu sont conditionnées, même pour les plus intimes, par une mentalité collective très fortement structurée. Mauss recherche dans les civilisations sans écriture l'homme total, qui n'a pas encore appris à dominer ses instincts et ses émotions, et qui obéit, dans tous les détails de son comportement, aux représentations symboliques de son groupe.

Refusant les cloisonnements par disciplines, il s'efforce d'envisager l'ensemble des relations "qui existent entre les divers compartiments de la mentalité" et le système de relations qui s'instaure "entre ces compartiments et l'organisme".

Marcel Mauss a formé toute une génération de chercheurs : Denise Paulme publie en 1947 l'essentiel de ses cours sous le titre de Manuel d'ethnographie.
Claude Lévi-Strauss réédite en 1950 certaines études du maître sous le titre de Sociologie et Anthropologie. Marcel Griaule organise entre 1931 et 1933 une première grande expédition anthropologique de Dakar à Djibouti et suscite le livre de Michel Leiris L'Afrique fantôme, journal de route de la mission.

Marcel Mauss mourra le 10 février 1950, à la suite d'une longue période de léthargie.


Bibliographie :

 
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