La forte personnalité de Léon Askénazi-Manitou (1) et l’originalité de son enseignement lui ont valu certains déboires au sein de "l’establishment" juif. André Neher, qui a toujours soutenu de son autorité mieux assise Manitou, notamment pour la fondation du C.U.E.J. (Centre Universitaire d’Études Juives) en 1959, demande à son ami Jean Poliatschek, de l’université Bar-Ilan en Israël, s’il y aurait une possibilité pour Manitou d’y enseigner.
Mon cher ami,
Tu connais Manitou (Léon Askénazi), tu connais ses éminentes qualités intellectuelles, morales, spirituelles. Tu sais aussi combien il s’est dévoué pour l’école d’Orsay, pour les Étudiants, pour la jeunesse juive en France.
Tu sais aussi que, s’il a connu certaines satisfactions, il a été souvent payé d’ingratitude – et, surtout, il n’occupe pas le poste de responsabilité et d’enseignement qui, normalement, devrait lui revenir.
J’ai toujours pensé que son avenir se situe en Israël. Souffrant, plus qu’autrefois (et c’est naturel, les années passent), de la situation dans laquelle il se trouve, Manitou pense maintenant également à Israël, mais je suis d’avis que nous n’avons pas le droit de le laisser partir à l’aventure et que nous devrions, nous ses amis, préparer le terrain.
À mon avis, Manitou serait un candidat hors pair à un enseignement de matières juives à l’Université Bar-Ilan. Il s’est spécialisé ces dernières années dans les études de Cabale et a atteint, dans ce domaine, certainement le niveau d’un Scholem ou d’un Tishby, avec ce "plus" que lui donne sa profonde foi. Il pourrait naturellement enseigner également d’autres disciplines : Tanakh, Guemara, Philosophie juive ou Philosophie générale.
Manitou n’est pas Docteur. Je pense qu’il pourrait justement, comme tu le fais aussi, profiter de son séjour à Bar-Ilan, comme délégué, pour préparer une thèse qui le mènerait à la titularisation. L’essentiel, ce serait qu’il puisse, dès son alya, occuper à l’Université Bar-Ilan un poste d’enseignement supérieur : il en est particulièrement digne, et je suis tout à fait prêt, pour ma part, à appuyer sa candidature en fournissant les attestations que je puis rédiger à la lumière de mes contacts étroits avec Manitou ces dernières années et qui m’ont permis de juger sa maturité intellectuelle et pédagogique, l’affermissement de ses qualités et de ses méthodes, le niveau exceptionnel de son enseignement (2).
Je te demande donc ceci :
1°) De bien vouloir examiner avec Harold Fisch (en qui, tu le sais, j’ai entière confiance et à qui j’envoie copie de cette lettre) et avec Bar-Ilan et les collègues intéressés quels sont actuellement les besoins en enseignants de votre Université dans les matières précitées, et quelles seraient les chances d’une candidature de Léon Askénazi – candidature fortement appuyée par moi, entre autres.
2°) De bien vouloir m’informer assez rapidement du résultat de votre enquête. Si elle est positive ou, du moins, si une possibilité est envisageable, il faudrait alors profiter du séjour de Manitou en Israël, en août prochain, pour mener les choses à terme.
Il serait souhaitable, du point de vue psychologique, que l’offre soit présentée à Manitou comme émanant de l’Université Bar-Ilan. Je compterais sur toi pour lui parler de Bar-Ilan, lui faire des ouvertures, le mettre en rapport avec le Recteur, etc. Ceci n’est pas seulement une précaution qui me paraît indispensable dans l’état moral actuel de Manitou : c’est encore, j’en suis convaincu et je le dis parce que je le pense profondément, un geste dû à la valeur propre de Manitou, qui apporterait certainement à Bar-Ilan un appoint spirituel considérable.
Cette lettre est CONFIDENTIELLE. Manitou n’est encore au courant de rien et ne sait pas que je t’écris, ni même que je pense à son avenir. Je te prie donc de n’en faire état qu’auprès de Harold Fisch, puis des personnes dont tu penses que leur concours est indispensable à la réussite du projet.
© : A . S . I . J . A. |