108. au Professeur Jean HALPÉRIN, Genève

En avril 1975, la nomination d’André Neher comme Chevalier de la Légion d’Honneur paraît au Journal Officiel. À la suite de cette annonce, il reçoit de très nombreuses lettres de félicitations. Parmi celles-ci, notamment un télégramme de Jean Halpérin, auquel il tient à répondre.


Jérusalem, le 8 avril 1975
Yom ha-Choa

Mon cher Jean,


Votre télégramme, si chaleureux et formulé dans l’esprit "jérusalémite" dans lequel j’accueille ce ruban rouge, a suivi de peu un télégramme de Jacques Lazarus. Vous n’avez donc été précédé que d’une petite longueur, sympathique d’ailleurs, n’est-ce pas ? Dans "Jean", j’englobe naturellement l’ensemble "Halpérin" qui figure en guise de signature au bas du télégramme, apporté pendant havdala par un facteur-exprès et avant que, le lendemain, j’aie pu trouver confirmation dans Le Monde.


J’avoue que c’est seulement parce que je suis en Israël que cette nomination me fait plaisir. Elle montre que le Gouvernement français conserve un reste de cette Liberté en laquelle "j’avais cru", et ne garde pas rancune à ceux qui disent et écrivent ce qu’ils pensent de sa politique (1). Et puis, à travers ma personne, c’est un hommage aux études hébraïques dans les Universités de France, ce qui est important pour l’avenir de ces études, auxquelles Sirat (2) travaille avec tant de dévouement.


Enfin, quoique Renée ait fait souvent entrevoir qu’elle serait bien fâchée de cette mésaventure et était heureuse à l’idée que, la Méditerranée franchie, il n’en serait plus question (je n’avais plus rempli, l’an dernier, les formulaires de présentation par l’Université et refusé de signer lorsque le Secrétaire les avait remplis pour moi !), le souvenir de son père (3) la réconcilie avec la réalité qu’elle accepte avec d’autant plus d’émotion vraie que les témoignages viennent de cousins éloignés, avec lesquels nous n’étions plus guère en contact, mais qui nous télégraphient maintenant pour nous féliciter ; et ces Bernheim et Wellhoff (4) adressant leurs vœux à Jérusalem nous permettent de percevoir dans ce petit ruban rouge un lointain écho de la déclaration de Bonaparte lors de la campagne d’Égypte : "La Palestine, Royaume des Juifs…".


C’est de l’histoire vécue. De cette histoire que nous avons vécue si intensément en ce Pessa'h en Israël en famille car Hélène-Nathan [Samuel] étaient à notre Seder, et Richard-Julienne [Neher] au Seder de leurs enfants à Haïfa !


[…] J’aimerais m’entretenir encore beaucoup avec vous, mais il est près de minuit ! Nos amitiés affectueuses – et, en ce 27 Nissan(5), pleines de souvenirs graves – vont vers vous, votre chère Maman, tous les vôtres.

Votre

André Neher

Notes :
  1. Après la conférence de presse de 1967 du Général de Gaulle, André Neher a publié, en 1968-1969, plusieurs articles dans lesquels il exprimait sa profonde déception de l’attitude de la France vis-à-vis d’Israël, en particulier un article intitulé "Nous avions cru" (article publié dans Information Juive en janvier 1969 et repris dans le recueil Dans tes portes, Jérusalem en 1972), auquel il fait ici allusion. Il y écrivait notamment : "Aujourd’hui, à l’aube de 1969, la France opère un lâchage simultané d’Israël et de la Tchécoslovaquie. L’un est aussi odieux que l’autre".
  2. Le grand rabbin et professeur René-Samuel Sirat a poursuivi l’œuvre d’André Neher pour le développement des études hébraïques en France. Professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), il dirige la section d'études hébraïques et juives de 1965 à 1992. Il a notamment obtenu la création de l’Agrégation d’Hébreu.
  3. Le Dr. André Bernheim avait reçu la Légion d’Honneur à titre militaire des mains du Général Gouraud dans une cérémonie aux Invalides à laquelle Renée Bernheim-Neher avait assisté lorsqu’elle avait trois ans.
  4. Wellhoff : nom de jeune fille de la mère de Renée Neher.
  5. Date hébraïque du Yom ha-Choa.ngregtuj(ruèj
Lexique :


© : A . S . I . J . A. judaisme