André Schwarz-Bart à Metz
(mai 1928 - avril 1940)
par Jean DALTROFF
Cérémonie du dévoilement de la plaque |
Simone Schwarz-Bart et Dominique Gros, Maire de Metz inaugurent la plaque dédiée en hommage à André Schwarz-Bart au 23, en Jurue devant sa maison natale. © J. Daltroff
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Discours de Simone Schwarz-Bart en l'honneur de son mari.
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Gros plan sur la plaque élevée par la ville de Metz à la mémoire d'André Schwarz-Bart, prix Goncourt 1959 pour le Dernier des Justes. © J. Daltroff
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Simone Schwarz-Bart entouré du Maire de Metz et des membres de sa famille. On reconnaît notamment devant à l'extrême-gauche Marthe Schwarz-Bart, la soeur d'André Schwarz-Bart et Bernard Schwarz-Bart au deuxième plan à droite. © J. Daltroff
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Simone Schwarz-Bart entourée des principaux intervenants à la table ronde de l'après-midi à la Mairie de Metz.
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Une journée commémorative et d'étude consacrée à l'œuvre d'André Schwarz-Bart et de Simone Schwarz-Bart a eu lieu le mardi 31 mai 2011 à Metz. Cette journée était organisée par l'Université Paul Verlaine et la ville de Metz avec notamment à 14h00, l'inauguration d'une plaque commémorative face à la Maison natale d'André Schwarz-Bart 23, en Jurue suivie de communications à l'Hôtel de Ville, salle de Guise lors d'une des tables rondes de l'après-midi. Le texte suivant est un Extrait de notre communication faite à cette occasion, qui sera publiée dans un des prochains Cahiers Lorrains, Revue trimestrielle de recherches régionales, Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, Metz.
André Schwarz-Bart naquit à Metz le 23 mai 1928 sous le nom d'Abraham Szwarcbart. Son père Uszer Szwarcbart, négociant (en réalité un modeste colporteur vendeur de bas et de chaussettes) qui habitait le 23 en Jurue, signa l'acte d'état-civil à onze heures et demie du matin avec Victor Weydert, conseiller municipal, officier de l'état-civil par délégation (1).
Il passa son enfance à Metz jusqu'en avril 1940, juste avant la campagne de France, sa famille et lui partirent se réfugier à Angoulême dans le département de la Charente.
Deux communautés spécifiques
Deux communautés avaient leurs propres caractéristiques cultuelles et socioprofessionnelles :
- D'un côté, les Juifs autochtones intégrés voir même assimilés, des "Français israélites" étaient passés en un siècle et demi de la besace à la boutique, voir aux professions libérales (2). Ces Israélites étaient en général commerçants et tenaient des magasins plutôt bon marché. Cependant, parmi les jeunes, commençait à émerger une élite qui se destinait aux professions libérales. Ces juifs messins étaient politiquement plutôt au centre-gauche.
Ils fréquentaient la grande synagogue consistoriale qui avait un rite spécifique avec chœurs et orgue. Cette communauté avait comme autorité spirituelle depuis 1900, l'érudit le grand rabbin Nathan Netter, et Eugène Weil comme président de communauté depuis 1925. L'avocat Georges Samuel deviendra la figure emblématique de ce judaïsme francisé et intégré dans la vie de la cité en devenant adjoint du maire Paul Vautrin et président du consistoire de la Moselle de 1927 à 1955 (3).
En septembre 1935, Elie Bloch âgé de 26 ans fut nommé à Metz, rabbin adjoint chargé de la jeunesse auprès du grand rabbin Nathan Netter. Il devint le lien entre deux communautés qui se côtoient sans se fréquenter, les "yékés", Juifs messins assez francisés, voir même assimilés, et les "polacks", nouveaux arrivés d'Europe de l'Est qui affichaient pour la plupart avec force leur judaïsme. Il tenta, avant-guerre de rapprocher et la jeunesse messine et la jeunesse immigrée encourageant un retour à la tradition par la réflexion sur l'histoire et la religion, invitant les jeunes juifs à étudier et à réfléchir à partir des textes et des commentaires de la Torah (4). Cette volonté de faire du judaïsme une religion ouverte sur le monde plaisait à tous les jeunes Juifs de Metz.
- D'un autre côté, des Juifs de l'Est qui s'exprimait souvent en yiddish fréquentaient pour une partie d'entre eux leurs oratoires, dont "l'Adath Yechouroun" dite synagogue polonaise confiée au rabbin Kahlenberg qui pratiquait un judaïsme très fervent. Ces Juifs"portaient leur religion comme d'autres affichaient leur nationalité".
Certains étaient des militants communistes et avaient leur propre organisation de jeunesse, lisaient la Naie Presse et ne fréquentaient guère les offices. D'autres voulaient allier judéité et socialisme les Bundistes. D'autres enfin faisaient partie des premiers cercles militants sionistes. Mais communistes, socialistes ou sionistes étaient peu nombreux à Metz entre les deux guerres et les tenants de la stricte observance étaient en majorité parmi les Galiciens et les Russo-Polonais (5).
Les professions des juifs d'origine polonaise étaient multiples : menuisiers, tailleurs d'habits, cordonniers, peintres en bâtiments, ferblantiers, voyageurs, commerçants ou marchands. Ils vivaient nombreux au Pontiffroy.
La famille d'André Abraham Szwarcbart à Metz
•Uszer Szwarbart, le père d'André né le 14 juin 1900 était originaire de Leczyca, petite localité de Pologne centrale qui se situe à 40 km au nord de Lodz et à 130 km à l'ouest de Varsovie. C'était l'une des plus vieilles villes de Pologne qui intégra en 1807 le duché de Varsovie fondé par Napoléon et qui par la suite fit partie du royaume du Congrès. La ville était un centre économique important, notamment en développant le textile. Les Juifs y avaient formé dès 1453 une des plus anciennes communautés de Pologne. La commune comptait encore 4051 Juifs en 1921 soit 40% de la population. Uszer y avait fait des études talmudiques. Il parlait le polonais et le yiddisch. Louise née Lubinsky, la mère d'André Szwarcbart était née à Zurich (Suisse), le 28 février 1902 était aussi originaire de Pologne.
Ils vinrent s'installer à Metz en 1924. et prendront domicile dans la vieille ville divisée en deux par la Fournirue autour de son berceau primitif, la colline de Sainte-Croix, s'étendant entre la Moselle et la Seille et son prolongement au-delà de la Moselle du côté du quartier du Pontiffroy. Il semble que ses parents ne soient pas bien intégrés à la communauté des immigrés polonais car nous n'avons pas trouvé de traces de fréquentation aux oratoires de prières. En effet, à notre connaissance, la famille Szwarcbart n'était rattachée ni à la grande communauté ni à la communauté polonaise (6). Le jeune André Szwarcbart et sa famille ont vraisemblablement fréquenté d'une manière occasionnelle la synagogue polonaise en particulier aux grandes fêtes.
Le couple eut huit enfants dont sept fils et une fille. Sept enfants naquirent à Metz : Samuel Jacques le 1er octobre 1926, Abraham (André), le 23 mai 1928, Léon, le 17 novembre 1930, Félix, le 4 septembre 1932, Maurice et Armand qui étaient des frères jumeaux le 24 décembre 1934, Marthe, le 1er mai 1938. Seul Bernard, le petit dernier naquit à Angoulême (Charente) le 14 février 1942.
La famille Szwarcbart vécut donc à Metz de 1924 à avril 1940. Uszer Szwarcbart avant de se marier habita successivement à partir du 28 novembre 1924 au 31, rue de l'Arsenal puis au 9, rue de la Gendarmerie et au 17, rue de Nancy. Le couple habita du premier avril 1926 jusqu'en avril 1932 le 23, En Jurue, une rue étroite en pente, menant des hauts de Sainte-Croix à la Fournirue. C'était l'habitat des Juifs de la ville, attestés dès 888, disparus au 13ème siècle et réapparus au 17ème siècle (7). C'est là que vinrent au monde Jacques, Abraham (André) et Léon.
"Ma langue maternelle est le yiddish. J'ai appris le français dans la rue et à l'école communale"
déclarait André Szwarcbart au lendemain de la remise du prix Goncourt pour son livre
Le dernier des Justes en 1959
(8). Son père parlait difficilement la langue française et n'avait pas de livres chez lui. Dans la thèse de
Francine Kaufmann qui cite une interview au
Bulletin de l'Education nationale (17/12/59) accordée à Olga Wormser :
"André disait qu'il ne parlait français qu'à l'école communale mais parlait uniquement yiddish à la maison"
(9).
André fréquenta l'école primaire Taison et de la rue Chambière à proximité de ses lieux d'habitation, et fit ainsi l'apprentissage de la langue française.
Abraham André Swarzbart a passé douze années de sa vie à Metz. Né en Jurue, il a vécu de sept à douze ans dans le quartier du Pontiffroy au 8 rue de la Tour aux Rats dont il a gardé des souvenirs. "L'essentiel dans l'éducation, ce n'est pas dans la doctrine enseignée, c'est l'éveil" a dit Ernest Renan dans Souvenirs d'enfance et de jeunesse (10).
Ce déclic, il l'a exprimé dans une lettre. Il écrivait ainsi dans une correspondance du 30 juillet 1975, qu'il n'y a pas eu cinq versions du dernier des Justes, mais une version la dernière construite sur le terrain de cette expérience (11).
"On peut y voir une expérience religieuse ; toutefois, il y eut en même temps une sorte de jaillissement de mon enfance. L'idée du Juste m'avait touché dans mon enfance. Je croyais que tous les Lamed-waf (les 36 Justes) étaient des Justes inconnus : j'en comptais un grand nombre dans notre quartier".
Ces justes pouvaient être des voisins d'André Schwarz-Bart de la rue de la Tour-aux-Rats peut-être à l'image de David Bestermann, menuisier de son état habitant en 1936 au 8, rue de Tour-au-Rats, avec sa femme Rose, marchande ambulante et ses deux enfants Samuel et Amélie
(12).
"Les Lamed-waf ajoutait André Schwarz-Bart dans sa lettre, étaient plus que de parfaits servants de Dieu. Je me suis souvenu que mon père prononçait ce mot avec une tendresse particulière. Peut-être les ai-je confondu avec certaines figures hassidiques."
À sa façon, André Szwarcbart aimait la vie dans son rapport discret et lucide à l'altérité, à la pluralité du genre humain. Ce rapport à la vie s'est forgé en partie dans son enfance avec le regard d'un enfant sur son environnement familial et sur la société plurielle qui l'entourait vécu véritablement comme une richesse dans l'espace et dans le temps de la cité de Gershom ben Yehouda plus connu sous le nom Rabbenou Guerchom, le "luminaire de l'exil" et de Paul Verlaine.
Notes :
- Archives départementales de la Moselle, 7 E 467/281, Acte N° 934 du 23 mai 1928.
- Claude ROSENFELD et Jean-Bernard LANG, Histoire des juifs en Moselle, Ed. Serpenoise 2001, p.150. Ces deux personnalités étaient nées en Alsace : Nathan Netter en 1866 à Niedernai et Eugène Weil en 1880 à Ribeauvillé.
- Bulletin de nos Communautés, N° 19, 24 septembre 1948, p. 11 et N° 4, 20 février 1964, p.18. Né à Metz le 16 avril 1882, Il fut membre du Consistoire israélite de la Moselle depuis le lendemain de la Première Guerre mondiale, et son président à partir de 1927. Il fut encore pendant trente ans, avocat à la Cour, ancien bâtonnier, membre du Conseil Municipal depuis la première guerre, premier adjoint, il perd sa femme assez jeune et la guerre lui enleva sa fille, son fils, son gendre, le rabbin Elie Bloch et sa petite fille par déportation. Officier de la Légion d'honneur.
- Paul LEVY, Elie Bloch, Etre juif sous l'occupation, La Crèche, Geste Editions / Histoire, 1999, p. 23-25.
- Claude ROSENFELD, Jean-Bernard LANG, ouvrage cité, p. 151.
- Sur la plaque commémorative des morts, victimes du nazisme, placée à l'intérieur de l'oratoire "Adass Yechouroun" de Metz, nous n'avons trouvé aucune trace de la famille Szwarcbart dont au moins quatre membres ont péri en déportation.
- "Jurue" signifie rue des Juifs en latin vicus judaerum, Jeurue en vieux français de Metz.". Voir Jean Bernard LANG, "La Jurue et le quartier juif médiéval", dans Patrimoine et culture des Juifs de Moselle, Metz, Conseil Général de la Moselle, Consistoire israélite de la Moselle, Metz, 2003, p. 16.
- Le Monde, 2 octobre 2006.
- Thèse de Francine KAUFMANN, Thèse de Doctorat citée, 1976 qui cite une interview au Bulletin de l'Education Nationale (17/12/1959) accordée à Olga Wormser, p. 27.
- Ernest RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Paris, Gallimard, 1983 (Edition de Jean Pommier).
- Archives privées Francine KAUFMANN, Lettre adressée par André Schwarz-Bart à Francine Kaufmann le 30 juillet 1975.
- Archives municipales de Metz, 1F/d2, Tableau de la population, section 2, "rue de la Tour-aux-Rats", 1936, p. 267