LA FAMILLE DE SAMY ET MARGUERITE (1)
Quelques semaines avant notre mariage, mes parents nous invitent, Fourmi et moi, à célébrer la fête de Chavouoth à la pension Klein du Hohwald ; à cette occasion, je ferai la connaissance de Samy. Il assure tous les offices, lecture de la Thora comprise. Encore aujourd’hui, le Chabbath ou aux jours de fête, j’entends au Psaume 19, la voix claire de Samy – âgé alors de dix neuf ans et élève de l’École Rabbinique – prononcer avec attention et avec enthousiasme chaque mot du Psaume. Pour la première fois de ma vie, je vois un vrai chlia’h tsibour, "émissaire de la communauté", entraîner les fidèles à une prière fervente.
Notre premier contact date d’une longue promenade qui nous conduira, avec d’autres hôtes de la pension, par les sapinières vosgiennes jusqu’au sommet du Champ du Feu. Nous nous sommes, ensuite, perdus de vue ; et pour cause : Samy interrompt, de propos délibéré, ses études à l’École Rabbinique pour étudier dans une yechiva de Lituanie, à Telsch, convaincu que des études juives intensives ne sont possibles qu’au contact d’une communauté bien vivante. En France, et à Paris en particulier, il n’existe plus de communauté dans le vrai sens du mot. La décision d’aller chercher à l’étranger ce qu’il ne trouve pas en France est considérée à l’époque comme révolutionaire.
LE MILITAIRE
Au bout d’un an, Samy revient à Paris, très satisfait de ses études en yechiva. Il passera sans difficulté les examens de fin d’études de l’École Rabbinique pour entrer aussitôt à l’École d’Officiers d’Infanterie de Saint-Maixent satisfaire à ses obligations militaires ; la guerre le trouvera sous-lieutenant d’infanterie, et son unité sera stationnée au nord-est de Paris, dans la région de Soissons. Au moment de la Débâcle, l’armée reflue vers la Loire, soi-disant pour y former une nouvelle ligne de défense. Samy est volontaire pour les Corps Francs. A leur arrivée sur la Loire, le colonel du régiment décide de se rendre. Samy et un autre officier refusent et ils se replient avec leurs hommes. Ils seront surpris par l’Armistice, alors qu’ils engagent le combat avec les avant-gardes de Von Rundstedt.
Samy retourne à la vie civile. La Conférence Rabbinique doit faire face à une situation nouvelle et imprévue. La démographie juive de France est bouleversée. Des communautés disparaissent. Des communautés naissent ; d’autres verront gonfler leurs effectifs d’une façon démesurée. Il faudra nommer des adjoints aux rabbins débordés par le flot des réfugiés, et donner des chefs spirituels aux communautés nouvelles. Plusieurs jeunes rabbins étant prisonniers, ce qui ne simplifie pas les choses ; il est question, pour la première fois en France, de créer un poste d’aumônier de la jeunesse et si Samy ne l’avait pas accepté, aucun rabbin n’en aurait voulu.
L'AUMONIER
La raison essentielle qui poussera Castor à confier cette mission à Samy, est le désarroi des Juifs algériens devant le retrait de la nationalité française par le gouvernement de Vichy (annulation du décret Crémieux de 1870). L’accueil des fonctionnaires de Vichy sera on ne peut plus chaleureux. Par contre, le chef E.I.F. métropolitain sur place signifiera aux chargés de mission qu’il ne voit pas d’un très bon oeil que l’on foule ses plates-bandes...
L’attitude des E.I. de Relizane est caractéristique du désarroi des Juifs nord-africains : La sortie est prévue pour un dimanche. La Légion (organisation pétainiste sans rapport avec la Légion étrangère), annonce un "défilé patriotique" pour le samedi après-midi. Le président de la communauté s’oppose à la sortie, les Juifs redoutant une manifestation antisémite. Samy rencontrant par hasard le commissaire de police, reconnaît en lui un camarade de Saint-Maixent. Grande joie. Le commissaire invite Samy et Marguerite. Bien entendu, tout le monde est au courant. L’après-midi du Chabbath, la Légion défile comme prévu... et la communauté juive avec elle ; personne ne voit plus d’inconvénient à la sortie scoute du lendemain.
Pendant ce temps, beaucoup de familles juives sont expulsées de Vichy, dont des proches du couple rabbinique. Samy décide de devancer le renvoi et demande à Claude Gutmann de lui trouver un logement à Lyon. Le Consistoire Central l’ayant nommé rabbin à Aix-en-Provence, son séjour à Lyon sera de courte durée. Pour exercer les fonctions d’aumônier de la jeunesse, d’aumônier des E.I.F. et de rabbin d’Aix, il s’installera dans une ville d’accès facile. Samy choisira Marseille.
A cette époque, Marseille est un des carrefours du Judaïsme français. Samy fait la connaissance de Jules Isaac, de Raymond Lindon, de Guastalla, de Benvéniste – tous intellectuels juifs s’étant éloignés du Judaïsme avant la guerre et que le choc de l’antisémitisme y ramènera. Collaborer avec eux est une expérience enrichissante pour eux et pour Samy.
Il prend l’initiative de créer un Comité de Coordination de la Jeunesse Juive de France, comprenant des délégués de toutes les organisations : sionistes, orthodoxes, neutres, pluralistes. Comme nous tous, il se déplace beaucoup.
NAISSANCES
Sa première fille, Annie-Rose, naît peu de jours après l’invasion de la Zone Sud. Dès qu’elle a la force d’affronter les désagréments du voyage, Marguerite rejoindra sa belle-mère à Saint-Symphorien-de-Layes, à dix sept kilomètres à l’est de Roanne, désormais le port d’attache de Samy. C’est là que naîtra, en février 1944, sa deuxième fille, Elsie. Autant que ses obligations le permettent, Samy passera le Chabbath auprès des siens... jusqu’au jour où Marguerite signalera à son mari qu’il y a péril en la demeure. A Saint-Symphorien, la gendarmerie française recherche des hommes de la classe d’âge de Samy et par dessus le marché, Théo, le frère de Marguerite, membre de la Sixième, vient voir sa soeur avec des papiers ne portant pas le tampon "Juif". Le gendarme local qui contrôle les papiers s’étonne de l’absence de cette mention, ce qui prouve que la famille est repérée.
Elsie a deux mois lorsqu’une des filles de « l’Aide aux Mères » viendra chercher Marguerite de la part de Juliette et de Marinette pour l’emmener, elle et ses enfants, dans une colonie de vacances de cette organisation. Marguerite se doute qu’il s’est passé quelque chose de grave, mais elle n’apprendra avec précisions les circonstances de la mort de Samy que début septembre, lorsqu’elle verra les photos et qu’elle lira le signalement vestimentaire. Elle se trouve alors à Roanne et, comme le prescrit l’usage, observe pendant une heure les pratiques des sept jours de deuil. Elle nous enverra la copie du dernier message de Samy, avec l’exergue qui figure au début de cette monographie.